jeudi 7 janvier 2010

Le débat 73 / 74 en 12 questions / réponses par Claude LISE Secrétaire Général du R.D.M.


1 – Pourquoi changer de cadre institutionnel ?

Pour deux raisons essentielles :

D’abord, pour disposer de moyens d’action plus efficaces pour conduire les politiques publiques.

Le cadre institutionnel actuel a permis d’incontestables progrès - qu’il n’est pas question de remettre en cause -, en matière sanitaire et sociale, dans le domaine de l’éducation, dans la réalisation d’infrastructures et sur le plan de la démocratie et des libertés individuelles. Mais il constitue un frein au développement :

- Parce que le système de région monodépartementale (la coexistence, sur un même territoire de 1 100 km2, de deux collectivités – la Région et le Département -, de deux assemblées – le Conseil général et le Conseil régional - et de deux exécutifs – le président de la Région et le président du Département -) se caractérise par un enchevêtrement des compétences et un morcellement des centres de décision. Cela a pour conséquences un manque de cohérence dans l’élaboration et la conduite des politiques publiques, un manque de lisibilité de celles-ci pour le citoyen, un gaspillage de temps, d’énergie et de deniers publics, un affaiblissement de la représentation politique locale face à l’Etat, face à l’Europe, face aux pays de la Caraïbe ;

- Parce que le régime de l’article 73, qui nous régit actuellement, est celui de l’identité, ou de l’assimilation, législative.

Dans ce système, l’application du droit commun (des lois et règlements conçus pour l’Hexagone) est la règle. L’adaptation est l’exception. Or, le règlement de beaucoup de problèmes auxquels nous sommes confrontés nécessite que les textes qui nous sont appliqués soient adaptés à nos réalités martiniquaises.

Les Martiniquais s’en rendent compte au quotidien. Ils sont régulièrement, et légitimement, demandeurs d’adaptations et de dérogations au droit commun dans de très nombreux domaines (logement, transport, aménagement du territoire, environnement, 50 pas géométriques, coopération régionale, etc.).

Ensuite, pour permettre aux Martiniquais de peser davantage sur les décisions qui les concernent.

Nous avons, en effet, besoin de davantage de moyens locaux de décision :

- pour mieux orienter les politiques vers un développement durable et endogène, c’est-à-dire un développement qui puisse satisfaire le plus possible à la demande et aux besoins de la population, en dépendant le moins possible des importations ;

- pour défendre notre identité – forgée au cours d’une histoire singulière – et donc mieux affirmer la personnalité collective de notre peuple.

Nous devons donc disposer d’un cadre institutionnel tenant compte de nos intérêts propres au sein de la République.

C’est, on le sait, une revendication portée par différentes forces politiques martiniquaises depuis de nombreuses années, notamment par le Parti Communiste et le Parti Progressiste Martiniquais depuis plus de 50 ans.

C’est également le cas, bien entendu, dans les autres départements d’outre mer, singulièrement en Guadeloupe et en Guyane.

C’est, par contre, beaucoup plus récemment qu’une brèche a pu s’ouvrir dans la tradition uniformisatrice et centralisatrice française et qu’a pu être reconnue, aux départements et aux régions d’outre mer, la possibilité de disposer, s’ils le souhaitent, de statuts sur mesure au sein de la République.

C’est ainsi qu’il a été possible d’obtenir que soient inscrits, pour la première fois, dans une loi de la République (la Loi d’orientation pour l’Outre mer de décembre 2000 -LOOM -), tout à la fois (1) :

- le droit pour la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique de bénéficier d’évolutions institutionnelles différenciées au sein de la République ;

- le principe de la consultation des seules populations concernées (inscrit ensuite dans la Constitution, lors de la révision de mars 2003) ;

- la création d’une instance, démocratique et transparente, le Congrès des élus départementaux et régionaux, habilitée à formuler des propositions d’évolution institutionnelle ou statutaire.

Après s’être réunis en congrès en 2001, 2002 et 2003 (2) , les élus martiniquais - qui font au quotidien l’expérience des limites du système actuel - se sont de nouveau saisis de cette instance le 18 décembre 2008 et le 18 juin 2009.
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(1) La LOOM a repris, sur ces points, les propositions contenues dans le rapport remis au Premier ministre, Lionel Jospin, en juin 1999, par le député réunionnais, Michel Tamaya et le sénateur Claude Lise.

(2) Ces réunions du congrès ont abouti à la consultation du 7 décembre 2003. Une intense campagne de désinformation, utilisant les arguments de la peur – à l’instar de ce que l’on peut observer dans le cadre de l’actuel débat sur l’évolution institutionnelle de la Martinique -, avait contribué à provoquer le rejet, à 1000 voix près, de la réforme proposée, à savoir l’instauration d’une collectivité unique gérée par une assemblée unique dans le cadre de l’article 73 de la Constitution.
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Ils ont très majoritairement proposé que la Martinique évolue vers un cadre institutionnel régi par l’article 74 de la Constitution.

Le président de la République, prenant en compte la demande formulée par le Congrès, a décidé de consulter les Martiniquais sur cette proposition le 10 janvier 2010.

En affirmant, dans son discours du 6 novembre 2009, à l’occasion du Conseil interministériel de l’Outre mer : « La diversité irréductible des outre mers, il est temps de la prendre en compte » ; « On peut être égaux sans être semblables » ; « L’unité de la République n’est pas l’uniformité de ses institutions », il a confirmé l’évolution des mentalités que l’on observe, sur ces questions, au sein d’une fraction de plus en plus large de la classe politique française.

Ce qu’ont proposé les élus martiniquais (mais également les élus guyanais), c’est de saisir les possibilités offertes par la Constitution française – à travers son article 74 - d’évoluer vers un cadre institutionnel qui nous permette - beaucoup plus que dans le système actuel - de concilier notre appartenance aux ensembles français et européen (en y conservant le bénéfice de nos acquis et de nos droits) ; l’ouverture sur notre environnement caribéen et américain ; notre droit de pouvoir réellement impulser localement, dans les domaines où cela s’avère le plus nécessaire, des politiques mieux adaptées à nos réalités et à nos besoins.


2 – Les possibilités offertes par l’article 73, notamment depuis la révision constitutionnelle de 2003, ne permettent-elles pas d’atteindre ces objectifs ?

Non. Car les possibilités qu’offre le nouvel article 73 sont, en pratique, difficiles à utiliser.

Que prévoit cet article ?

- Il maintient le pouvoir qu’avaient déjà le gouvernement et le Parlement de procéder à des adaptations des lois et des règlements pour tenir compte « des caractéristiques et contraintes particulières » des départements et des régions d’outre mer (article 73, alinéa 1).

- Il permet l’instauration d’une collectivité unique, se substituant à la région et au département, gérée par une assemblée unique (3). C’est là, il faut le reconnaître, une avancée intéressante(4) .
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(3) Le nouvel article 73 offre, par ailleurs, la possibilité d’instaurer une assemblée délibérante unique gérant les deux collectivités départementale et régionale. Cette formule trouve encore un certain nombre de défenseurs en Martinique, malgré les inconvénients évidents qu’elle comporte. Le maintien des deux collectivités, même gérées par une seule assemblée, signifie, en effet, la coexistence de deux budgets, de deux personnels et de deux patrimoines différents, ce qui ne peut favoriser une gestion cohérente et efficace des affaires de la Martinique.

(4) En effet, le Conseil constitutionnel n’avait pas permis l’instauration d’une telle collectivité unique, que réclamait la gauche martiniquaise au moment de la décentralisation de 1982.
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- Il offre aux assemblées locales (Conseil général et Conseil régional) la possibilité de solliciter des habilitations, c’est-à-dire l’autorisation de voter des règlements locaux :

● Soit pour permettre aux élus d’adapter certains textes législatifs (5) ou réglementaires (6) à nos réalités locales, sauf dans les domaines régaliens de l’Etat (c’est-à-dire les lois et règlements concernant la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l’état et la capacité des personnes, l’organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l’ordre publics, la monnaie, le crédit et les changes, le droit électoral).

● Soit pour leur permettre de mieux exercer leurs compétences, grâce au vote, par les assemblées locales, de règlements ; mais, est-il précisé, « dans un nombre limité de matières » pouvant relever de la loi ou du pouvoir réglementaire (du Gouvernement) ».

Ces dispositions paraissent évidemment très intéressantes à première vue, mais elles ont, en réalité, une portée limitée dans la mesure où les procédures prévues pour leur mise en œuvre sont très encadrées et à l’issue incertaine (alinéas 2 et 3 de l’article 73).

La loi organique du 21 février 2007, votée par le Parlement en application de l’alinéa 6 de l’article 73, est venue préciser ces procédures. Elle n’a fait qu’en renforcer le caractère contraignant. Il est, en effet, prévu :

- une saisine préalable, pour consultation, des deux conseils consultatifs (Conseil économique et social régional et Conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement) ;

- une délibération motivée pour toute demande d’habilitation, à quoi s’ajoute la condition d’une adoption à la majorité absolue pour celles qui visent à fixer localement des règles dans des matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement ;

- la possibilité pour le représentant de l’Etat, dans le mois qui suit la transmission de la délibération, de déférer celle-ci au Conseil d’Etat ;

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(5) Les textes législatifs sont les lois votées par le Parlement.

(6) Les textes réglementaires sont les textes édictés par le Gouvernement, par exemple les décrets d’application des lois.
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- La caducité de la demande d’habilitation le dernier jour du mois qui précède le renouvellement de l’assemblée délibérante.

De plus :

- l’habilitation est accordée pour une durée qui ne peut excéder deux ans à compter de sa promulgation ;

- elle est d’autant plus précaire qu’elle peut être modifiée par une loi votée par le Parlement, lorsqu’il s’agit d’une habilitation accordée dans le domaine de la loi, ou par un règlement élaboré par le Gouvernement, lorsqu’il s’agit d’une habilitation accordée dans le domaine du règlement.

En réalité, l’obtention de chaque habilitation dépend du bon vouloir du Gouvernement :

- c’est évident pour les textes réglementaires, qui dépendent de lui. Il faut noter, toutefois, que la possibilité pour les assemblées locales de recevoir du Gouvernement des habilitations dans le domaine du règlement résulte d’une disposition votée dans le cadre de la dernière révision constitutionnelle, de juillet 2008. Cette disposition n’est pas applicable, aucune loi organique n’ayant encore été votée pour permettre sa mise en œuvre.

- mais c’est également le cas pour les textes législatifs, car il est, en pratique, très difficile de faire venir une demande d’habilitation en discussion à l’Assemblée nationale et au Sénat sans l’accord du Gouvernement. Il est, bien entendu, encore plus difficile de la faire voter (le Gouvernement ayant, on le sait, la maîtrise de sa majorité).

Cela pose d’ailleurs la question de l’intérêt de telles procédures, puisque lorsque le Gouvernement est d’accord, il est beaucoup plus facile d’obtenir de lui qu’il fasse voter un projet de loi ou un amendement à un texte en discussion au Parlement pour aboutir à l’objectif souhaité.

Cela a le mérite, qui plus est, de pouvoir disposer d’un texte législatif qui ne peut, à la différence d’un règlement local, être attaqué devant les tribunaux administratifs.

Le Conseil général et le Conseil régional de Martinique ont, malgré tout, il faut le rappeler, cherché à utiliser ce système d’habilitation prévu par l’article 73.

L’un et l’autre ont, en effet, formulé à l’unanimité, en novembre 2007(7) , une demande d’habilitation en vue d’instaurer, en Martinique, un périmètre unique de transport, terrestre et maritime ; un périmètre qu’aurait à gérer une autorité unique mise en place dans le cadre d’une concertation entre l’ensemble des partenaires concernés.

Ces demandes d’habilitation n’ont jamais été inscrites à l’ordre du jour ni de l’Assemblée nationale ni du Sénat, alors qu’elles répondaient parfaitement aux conditions prévues par la procédure(8).

Le Gouvernement, qui en a pourtant l’obligation, ne les avait même pas inscrites au Journal officiel(9).

C’est finalement l’adoption par le Sénat d’un amendement(10) relayant la demande d’habilitation du Conseil général qui a permis qu’une suite soit enfin donnée (deux ans après !) à une volonté pourtant unanimement exprimée par les élus martiniquais.

Il reste encore, cependant, à franchir l’étape de l’Assemblée nationale.

En définitive,

Il faut retenir que le régime de l’article 73 est celui de l’identité législative. Un régime dont la finalité même est que les collectivités concernées ne s’éloignent pas trop du droit commun(11) .

C’est pourquoi, dans ce système, toute dérogation au droit commun est difficile à obtenir et ne peut intervenir qu’à la marge.
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(7) Le Conseil général ayant, toujours à l’unanimité, renouvelé sa demande d’habilitation, en juin 2008, suite au renouvellement de l’Assemblée départementale intervenu en mars 2008.

(8) Les propositions de loi formulées parallèlement, sur le même sujet, par le Conseil général et le Conseil régional sont elles aussi demeurées sans suite.

(9) Il s’agit là, de la part du Gouvernement, d’un grave manquement à la procédure, notamment souligné par le rapport établi, en juillet 2009, par le sénateur U.M.P. Eric Doligé, au nom de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer.

(10) Il s’agit d’un amendement que j’ai fait adopter en séance du 28 septembre 2009, conformément au mandat que les conseillers généraux m’avaient donné, en tant qu’exécutif départemental, en vue de prendre toutes dispositions nécessaires à l’aboutissement de cette demande d’habilitation.

(11) Un propos de M. Pierre Méhaignerie, personnalité influente de la Droite française et actuel président de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, illustre bien cela : en juillet 2009, lors de l’examen par cette commission d’un amendement de la députée guyanaise, Mme Chantal Berthelot, visant à obtenir des mesures dérogatoires au droit commun dans le cadre du « projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle », M. Pierre Méhaignerie a déclaré : « Il y a déjà beaucoup de dérogations pour l’Outre-mer, n’en ajoutons pas !». ______________________________________________________________________

3 – Qu’apporte l’article 74 ?

Alors que le régime de l’article 73 tend à maintenir les collectivités concernées le plus près possible du droit commun, le régime de l’article 74 admet d’emblée l’existence de spécificités locales et la nécessité de prendre en compte ces spécificités.

L’article 74 précise, en effet, que : « Les collectivités d’outre mer régies par le présent article ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la République ».

Il permet donc une réelle prise en compte des intérêts locaux, sans porter atteinte au principe d’égalité des droits, puisqu’il maintient les collectivités concernées dans la République.

Le régime de l’article 74 permet, bien entendu, l’instauration d’une collectivité unique régie par une assemblée unique.

Mais, au-delà, il ouvre des possibilités beaucoup plus importantes d’adaptation des lois et règlements.

Il permet, en effet, aux collectivités concernées de prendre, dans leurs domaines de compétences, des règlements locaux pour adapter les lois et les textes réglementaires aux réalités locales.

Il leur permet, de plus, d’adopter des règlements locaux permettant la mise en œuvre effective et efficace de leurs compétences.

C’est la différence fondamentale entre le régime de l’article 73 et celui de l’article 74.

Alors que dans le cadre de l’article 73, il faut recourir à des habilitations au coup par coup, accordées de manière temporaire, passant par des procédures complexes et à l’issue incertaine parce que tributaire du bon vouloir du Gouvernement, l’article 74 permet aux collectivités concernées, dans les domaines choisis – et uniquement dans ces domaines -, de bénéficier d’habilitations permanentes.

De tels outils réglementaires - qui donneraient à une Collectivité de Martinique une véritable capacité d’agir - permettraient la mise en œuvre, plus rapide et plus efficace, de politiques mieux adaptées à nos réalités dans tous les domaines où cela s’avère nécessaire(12) .
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(12) Cf. réponse à la question n° 7
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La revendication essentielle formulée à travers le passage au régime de l’article 74 de la Constitution est donc bien l’obtention de cette capacité d’agir dans un certain nombre de domaines. Soit, et c’est le cas le plus souvent, dans des domaines où nous disposons déjà de compétences, soit dans le cadre de nouvelles compétences qui, dans la plupart des cas, ne nécessitent pas de moyens financiers supplémentaires(13) .


4 - Une évolution dans le cadre de l’article 74 n’ouvre-t-elle pas la voie à l’aventure ? Ne comporte-t-elle pas des risques pour les acquis sociaux et pour notre statut au sein de l’Union européenne ?

Non.

D’abord, l’article 74 relève, comme l’article 73, du Titre XII de la Constitution.

C’est le titre qui définit les collectivités territoriales de la République. Il s’intitule d’ailleurs : « Des collectivités territoriales de la République ».

Au sein de ce Titre XII, l’article 72 précise que : « Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre mer régies par l’article 74 ».

Une collectivité régie par l’article 74 ne peut donc, en aucun cas, se situer hors du cadre de la République. Le président de la République, garant des institutions, l’a d’ailleurs rappelé dans son discours de l’Aéroport Aimé-Césaire-Martinique, du 26 juin 2009, et dans son allocution du 6 novembre 2009, lors du premier Conseil interministériel de l’Outre mer.


Ensuite, la révision constitutionnelle de mars 2003 a créé un article 72-3 qui n’offre aux collectivités situées outre mer qu’une seule alternative :

- ou bien se situer dans l’article 73 ;

- ou bien se situer dans l’article 74.

Toute évolution institutionnelle de la Martinique ne peut, par conséquent, se faire, en l’état actuel de la Constitution, que dans le cadre de l’un ou l’autre de
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(13) En tout état de cause, les dispositions de l’article 72-2, alinéa 4, s’appliquent dans les mêmes termes à toutes les collectivités de la république : « tout transfert de compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ».
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ces articles, c’est-à-dire au sein du Titre XII qui garantit le maintien dans la République.

L’idée selon laquelle l’article 74 ouvre la voie à l’aventure – et, comme le prétendent certains, à l’indépendance - n’a donc aucun fondement.

Par ailleurs, le régime de l’article 74 ne fait peser aucun risque sur le maintien des acquis sociaux.

Les exemples des collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, régies par l’article 74 depuis 2007, sont là pour le prouver. Elles n’ont perdu aucun acquis. Il est, qui plus est, prévu que leur soient appliqués des dispositifs, comme le Revenu de Solidarité Active (R.S.A.) et le Contrat unique d’insertion (C.U.I.), créés après leur transformation en collectivités d’outre mer régies par l’article 74(14).

Il faut, en effet, savoir que le régime de l’article 74 permet le maintien du principe de l’identité législative (application de plein droit des lois et règlements) dans tous les domaines que l’on souhaite. Et les résolutions du Congrès de Martinique ne réclament nullement que la législation relative à la protection sociale ne relève plus de l’identité législative.

Dans le cadre du régime de l’article 74, la Collectivité de Martinique continuera donc de relever, au sein de la République, de l’égalité sociale.

Enfin, le régime de l’article 74 ne remet pas en question notre statut au sein de l’Union européenne.

Une récente décision de la Commission européenne, en date du 3 juin 2009, vient d’ailleurs de confirmer que la transformation de Saint-Martin en une collectivité d’outre mer régie par l’article 74 de la Constitution « n’a pas affecté le statut de Saint-Martin par rapport à l’article 299-2 du Traité CE ».

Dans cette décision, la Commission européenne accepte d’accorder à Saint-Martin certaines dérogations en matière fiscale, reconnaissant même à cette collectivité une autonomie fiscale.
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(14) Dans la lettre de mission, en date du 23 octobre 2008, adressée par le Premier ministre, François Fillon, au député de la Réunion, René-Paul Victoria, demandant à ce dernier de formuler des propositions relatives à la mise en œuvre, outre mer, du R.S.A. et du Contrat unique d’insertion, il est, par exemple, indiqué : « Le projet de loi généralisant le Revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion prévoit que le Revenu de solidarité active (RSA) et le Contrat unique d’insertion (CUI) entreront en vigueur dans les départements d’outre mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin d’ici la fin de l’année 2010 ».
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Le président de la République, dans son discours du 26 juin 2009, a, pour sa part, clairement rappelé ce qu’il a qualifié de « vérité juridique incontestable », à savoir que « le champ d’application territorial du droit communautaire est fixé par les traités eux-mêmes et ne dépend nullement des décisions internes des Etats membres ».

C’est ce que le « Traité de Lisbonne modifiant le Traité sur l’Union européenne et le Traité instituant la Communauté européenne » est venu confirmer de manière incontestable.

Dans ce traité, rentré en vigueur le 1er décembre 2009, la Martinique (tout comme l’ensemble des autres régions ultrapériphériques) est nommément citée. Cela signifie qu’elle conserve son statut de Région ultrapériphérique et que les traités européens lui sont applicables, indépendamment de l’évolution de son statut au sein de la République(15).

Il est important de souligner, par ailleurs, que les régions ultrapériphériques en question ne peuvent sortir de l’Europe que par une décision unanime des 27 pays membres.


5 – L’article 74 est-il celui de l’autonomie ?

Cet article permet l’accès à différents degrés d’autonomie ; en fonction du nombre de domaines dans lesquels la collectivité concernée dispose d’outils réglementaires locaux d’adaptation des lois et des textes réglementaires, d’une part, d’exécution de ses compétences, d’autre part.

C’est d’ailleurs pourquoi le président de la République a réaffirmé, le 6 novembre 2009, lors du Conseil interministériel de l’Outre-mer, que la question posée aux électeurs, en janvier 2010, « est bien celle du juste degré d’autonomie de la Martinique et de la Guyane dans la République ».

L’article 74 permet, en effet, un dosage entre domaines relevant de l’identité législative (application de plein droit des lois et règlements) et domaines relevant de la spécialité législative (où la collectivité dispose d’une faculté permanente de réglementer).

Il est intéressant de constater que, par exemple, pour Saint-Martin, la Loi organique définissant le statut de cette collectivité prévoit que : « les dispositions législatives et réglementaires sont applicables de plein droit à Saint-Martin, à
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(15) L’article 311 bis de ce Traité dispose, en effet, que : « Les dispositions des traités sont applicables à la Guadeloupe, à la Guyane française, à la Martinique, à la Réunion, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, aux Açores, à Madère et aux îles Canaries, conformément à l’article 299 ».
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l’exception de celles intervenant dans les matières qui relèvent de la loi organique en application de l’article 74 de la Constitution ou de la compétence de la collectivité… ».

Dans le cadre de l’article 74, on peut donc aller d’une formule type Saint-Pierre-et-Miquelon, très proche d’un département d’outre mer de l’article 73, à des formules du type de celle de la Polynésie, en passant par des formules comme celles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.


6 – N’y aurait-il pas à préférer une autre voie d’évolution institutionnelle ?

La revendication d’une « 3ème voie » (hors articles 73 et 74) est, de fait, introduite dans le débat en cours sur l’évolution institutionnelle de la Martinique.

● Ses promoteurs préconisent un statut de large autonomie pour la Martinique (plus poussé que ce que permet le régime de l’article 74) dans le cadre d’un article particulier à créer dans la Constitution. Ils parlent, de ce fait, d’« autonomie constitutionnalisée ».

Cela nécessiterait donc une révision constitutionnelle créant un article propre à la Martinique en dehors du Titre XII (qui définit les collectivités territoriales de la République), comme c’est le cas pour la Nouvelle Calédonie qui est régie par le Titre XIII de la Constitution.

Une telle révision n’est pas d’actualité. Le Président de la République l’a très nettement affirmé. On imagine mal qu’elle puisse avoir lieu pour la seule Martinique, en dehors d’une mobilisation populaire telle, qu’elle parvienne à créer un rapport de force suffisant pour imposer un statut aussi différent du statut actuel.

Il faut rappeler que la Nouvelle-Calédonie n’a obtenu un statut particulier dans la Constitution française qu’à la suite des graves événements d’Ouvéa, d’avril-mai 1988.

● Les partisans de la « 3ème voie » se font fort d’obtenir, dans le cadre de cet article de la Constitution propre à la Martinique, l’inscription de dispositions garantissant l’égalité des citoyens de la nouvelle collectivité autonome avec l’ensemble des citoyens français ; avec, comme corollaire, le maintien de tous les acquis, notamment les acquis sociaux.

Une telle revendication n’a, selon les autorités de l’Etat et nombre de constitutionnalistes consultés, aucune chance d’aboutir.
Tous font d’ailleurs valoir que le principe d’égalité est inscrit dans la Constitution.

Il est inscrit dans le préambule de la Constitution, préambule qui a une valeur constitutionnelle.

Il y est, en effet, précisé que : « La République offre aux territoires d’outre mer qui manifestent le désir d’y adhérer des institutions nouvelles fondées sur un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique ».

Par ailleurs, l’article 1er de la Constitution indique que la République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens ».

L’article 2 dit que : « La devise de la République est Liberté, Egalité, Fraternité ».

L’article 72-3 dispose que : « La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité ».

● Les partisans de la « 3ème voie » prévoient la mise en œuvre du statut d’autonomie qu’ils préconisent dans un délai de 5 à 6 ans.

Cette période serait notamment mise à profit pour utiliser le droit à expérimentation offert par la Constitution aux collectivités territoriales ; cela, en vue de la définition la plus pertinente des compétences et des pouvoirs propres qui seraient dévolus à la collectivité autonome de Martinique.

Cet argument ne tient pas.

L’article 72, alinéa 4, prévoit, certes, la possibilité pour les collectivités territoriales ou leurs groupements d’être habilités, par la loi ou par le règlement, à déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives et réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences.

Mais la loi organique du 1er août 2003, qui définit les conditions de mise en œuvre de ces dispositions, précise notamment que :

« Avant l’expiration de la durée fixée pour l’expérimentation et au vu de son évaluation, la loi détermine selon le cas :

- les conditions de la prolongation ou de la modification de l’expérimentation pour une durée qui ne peut excéder trois ans ;

- le maintien et la généralisation des mesures prises à titre expérimental ;

- l’abandon de l’expérimentation. »

Il apparaît donc clairement que les mesures dérogatoires au droit commun mises en œuvre par une collectivité dans le cadre de l’expérimentation sont destinées, le cas échéant - après évaluation(16) -, à être généralisées à l’ensemble des collectivités territoriales.

L’expérimentation vise donc, comme son nom l’indique, à « expérimenter » temporairement, à l’échelle d’une ou plusieurs collectivités, des mesures dérogatoires au droit commun en vue, si l’expérience s’avère concluante, d’améliorer le droit commun lui-même.

Elle n’est, par conséquent, absolument pas destinée à permettre la définition des compétences et des pouvoirs propres qui seraient dévolus à une collectivité dans le cadre d’un statut particulier.

● Les partisans de la « 3ème voie » revendiquent de faire soumettre aux électeurs martiniquais le projet de loi organique définissant le statut qu’ils envisagent ; afin de garantir que les électeurs se prononcent sur l’intégralité du projet de statut à mettre en œuvre.

Cela n’est, on peut l’affirmer très nettement, absolument pas possible, puisque cela aboutirait à remettre en cause un principe fondamental : celui de la souveraineté du Parlement. Il ne peut, en effet, y avoir de contrôle législatif du Parlement en dehors de celui exercé par le Conseil constitutionnel, qui est, de toute façon, obligatoirement saisi dans le cadre de l’adoption d’une loi organique.

Les partisans de la 3ème voie invoquent, pour appuyer leur position, ce qu’ils considèrent comme un « précédent corse » : à savoir, la consultation pour avis, en juillet 2003, des citoyens corses, non pas sur le texte d’une loi organique, mais sur les orientations proposées dans l’annexe à la loi(17) « organisant une consultation des électeurs de Corse sur la modification de l’organisation institutionnelle de la Corse»(18).
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(16) Il s’agit notamment de vérifier les effets des mesures prises sur le coût et la qualité des services rendus aux usagers, sur l’organisation des collectivités territoriales et des services de l’Etat ainsi que leurs incidences financières et fiscales.

(17)Loi du 10 juin 2003

(18) Les orientations contenues dans l’annexe de la loi référendaire précisaient notamment le principe de l’instauration d’une collectivité unique se substituant à la collectivité territoriale et aux deux départements en place ; le fait pour cette nouvelle collectivité d’exercer les compétences de celles qu’elle était amenée à remplacer, le mode d’élection de l’Assemblée Corse et des deux conseils territoriaux envisagés,…
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Il faut clairement souligner que cette référence au « précédent corse » ne tient pas ; ce cas de figure ne pouvant absolument pas être comparé à un changement de statut dans le cadre de l’article 74 de la Constitution (pas plus d’ailleurs qu’au statut de large autonomie préconisé par les tenants de la « 3ème voie »).

En effet, la réforme soumise aux citoyens corses en 2003 concernait – selon les termes mêmes de la loi référendaire - une simple modification de l’organisation institutionnelle de la Corse : une simplification administrative consistant en l’instauration d’une collectivité unique - à la place de la collectivité territoriale de Corse(19) et des deux départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud - pour donner plus de cohérence aux politiques publiques.

Cette réforme ne prévoyait aucun transfert de compétences supplémentaires propres à la Collectivité de Corse. Elle ne prévoyait pas non plus de doter les élus corses d’un pouvoir réglementaire d’adaptation ou d’exécution des compétences de la collectivité unique (ce que l’Assemblée de Corse s’était, en réalité, déjà vu attribuer par une loi de janvier 2002 – sans recours d’ailleurs à une consultation des citoyens).

Cette réforme ne nécessitait aucun recours à une loi organique.

Rien de comparable donc avec la réforme qui sera soumise à l’approbation des électeurs martiniquais le 10 janvier prochain sur la base de l’article 74 de la Constitution, selon une procédure qui prévoit, en cas de réponse positive, le recours obligatoire à une loi organique (article 72-4, 1er alinéa).

Par contre, le projet de « modification de l’organisation institutionnelle de la Corse » de 2003 est, par son contenu et par sa portée, tout à fait comparable au projet de réforme qui, en cas de vote négatif le 10 janvier, ferait l’objet d’une consultation des Martiniquais le 24 janvier 2010 : la création, en Martinique, d’une collectivité unique exerçant les compétences dévolues au Département et à la Région et régie par l’article 73 de la Constitution.

On comprend mal, dans ces conditions, que les partisans de la 3ème voie puissent, sans sourciller, se déclarer favorables au « oui » à la question qui serait posée le 24 janvier.

Ils devraient logiquement arguer du « précédent Corse » pour réclamer que cette consultation se fasse – ce qui n’est pas le cas - sur la base d’une loi référendaire précisant l’organisation et le fonctionnement d’une éventuelle collectivité unique régie par l’article 73.
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(19) La Corse constitue une collectivité territoriale à statut particulier depuis la loi du 13 mai 1991.
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7 – Qu’a proposé le Congrès ?

Le Congrès des élus a proposé que la Martinique soit érigée en une collectivité unique - gérée par une assemblée unique – régie par l’article 74 de la Constitution.

Concernant l’organisation et le fonctionnement de la nouvelle collectivité, il est prévu la mise en place de véritables mécanismes de contre-pouvoirs, pour répondre pleinement aux exigences de la démocratie.

Dans ce cadre :

● le Congrès a proposé, d’une part, la création d’un conseil exécutif séparé de l’assemblée.

Cela permet à l’assemblée d’exercer un véritable contrôle sur l’action de l’exécutif. Il est notamment prévu qu’en cas désaccord sur la politique menée, l’exécutif puisse être renversé par le vote d’une motion de défiance constructive.

● Le Congrès a proposé, d’autre part, la création d’un Conseil des communes, garantissant la représentation des composantes du territoire de la Martinique.

Au-delà d’un rôle consultatif, celui-ci serait également appelé à exercer une fonction de contre-pouvoir : il serait obligatoirement consulté notamment sur les questions touchant aux communes ; et, surtout, il donnerait un avis conforme (c’est-à-dire identique à celui de l’assemblée(20)) sur les questions qui concernent l’aménagement du territoire.

Le Congrès a, par ailleurs, proposé la création d’un conseil consultatif : le Conseil économique, social, culturel, de l’éducation et de l’environnement.

Pour permettre la mise en œuvre de politiques plus efficaces et réellement adaptées aux réalités de la Martinique :

Le Congrès a établi l’éventail des compétences que la nouvelle collectivité pourrait se voir attribuer, étant entendu qu’en la matière, le Gouvernement et le Parlement sont portés à accorder moins que ce qui est demandé.

Il s’agit, en fait, des compétences actuellement exercées par la Région et le Département et de quelques compétences supplémentaires.
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(20) Cela signifie que, sur ces questions, un accord est obligatoire entre l’Assemblée et le Conseil des communes.
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Au sein des domaines de compétences concernés, le Congrès a précisé les secteurs dans lesquels, pour traiter plus efficacement les problèmes, il apparaît nécessaire que la Collectivité de Martinique dispose d’une faculté de réglementer localement.

C’est ainsi, entre autres, que, sur la base des propositions du Congrès :

- dans le domaine de l’habitat et du logement, en gérant les budgets concernés et en définissant les produits logement, la Collectivité de Martinique pourrait, par exemple, prendre des règlements permettant de répondre rapidement à la demande des opérateurs sociaux de voir fixer des prix plafond tenant compte des réalités locales et rendant plus attractives les opérations de construction de logements sociaux ; elle pourrait, par ailleurs, dans le cadre du FRAFU (Fonds régional d’aménagement foncier et urbain) prendre des règlements permettant de mobiliser des sommes plus importantes sur des opérations urgentes en matière de réparation et de réhabilitation de logements (notamment de personnes âgées) ;

- dans le domaine du transport, la Collectivité de Martinique pourrait prendre les règlements nécessaires à la mise en place d’un périmètre unique de transport réclamé, à l’unanimité, depuis 2 ans, par les élus du Conseil général et du Conseil régional. D’une manière générale, elle pourrait, dans ce domaine comme dans d’autres, disposer d’outils réglementaires actuellement dispersés entre plusieurs autorités (Etat, collectivités territoriales, structures intercommunales).

- dans le domaine de l’action sociale (compétence déjà détenue par le Conseil général), la Collectivité de Martinique – grâce aux outils réglementaires qu’offre l’article 74 - pourrait, s’agissant de la petite enfance, adapter les normes en vigueur à nos réalités, de manière à augmenter la capacité d’accueil des structures de modes de garde. Elle pourrait également, en adaptant les critères des cahiers des charges aux réalités locales, augmenter l’offre en matière d’Etablissements d’hébergement de personnes âgées dépendantes (EHPAD) ;

- dans le domaine de l’éducation, la Collectivité de Martinique pourrait prendre des dispositions permettant d’adapter une partie des programmes scolaires à nos réalités (s’agissant notamment de la culture, de l’histoire, de notre environnement caribéen, de la biodiversité, etc.) ;

- dans le domaine de la culture, la Collectivité de Martinique se verrait clairement reconnaître la faculté de mettre en œuvre une politique de développement de la culture et de promotion de l’identité martiniquaises ;

- dans le domaine de l’énergie, de l’écologie et de l’environnement, la Collectivité de Martinique pourrait adapter les règles applicables. Elle serait, entre autres, chargée du contrôle de l’utilisation des pesticides et des produits phytosanitaires. Elle élaborerait le classement et le déclassement en zone de réserve naturelle, contribuant ainsi à la préservation de la biodiversité,… ;

- Dans le domaine de l’aménagement du territoire, la collectivité de Martinique pourrait, par exemple, prendre des règlements permettant d’adapter des textes qui posent problème à des milliers de Martiniquais. S’agissant des 50 pas géométriques, elle pourrait notamment régler les problèmes posés par le chevauchement des dispositions des lois de 1986 et de 1996. Elle pourrait, par ailleurs, disposer d’un pouvoir réglementaire lui permettant de mettre un terme à la disparité de traitement entre zones urbaines et zones rurales naturelles ; disparité qui résulte de l’émiettement des compétences qui existe aujourd’hui en la matière. En effet, dans le cadre actuel, les zones urbaines relèvent de la compétence de l’Agence des 50 pas et les zones rurales naturelles de la compétence de l’O.N.F.

- Dans le domaine de l’emploi et de la protection du patrimoine foncier, la Collectivité de Martinique pourrait utiliser les dispositions de l’article 74 indiquant que « des mesures justifiées par les nécessités locales peuvent être prises par la Collectivité en faveur de sa population » (21). S’agissant du domaine de l’emploi, certaines annonces faites par le président de la République, à l’occasion du 1er Conseil interministériel de l’Outre-mer, traduisent cette même volonté d’assurer, en la matière, le rétablissement d’une véritable égalité des chances.

Le Congrès a également proposé que la Collectivité de Martinique « partage » certaines compétences avec l’Etat : l’objectif est que les Martiniquais soient véritablement associés à la définition des grandes orientations prises dans des domaines relevant essentiellement de la compétence de l’Etat, mais qui ont une importance particulière pour le développement d’un territoire comme le nôtre.

Deux exemples :

- Compte tenu des risques naturels de toutes sortes auxquels nous sommes soumis, la Collectivité de Martinique participerait avec l’Etat à la définition d’un plan ainsi que de programmes de prévention des risques naturels ;

- dans le domaine de la coopération régionale et internationale, en plus des importants moyens d’expression et des instruments de coopération actuellement reconnus par la LOOM aux départements et aux régions d’outre mer, la Collectivité de Martinique pourrait notamment participer,
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(21) De telles mesures pourraient être mises en œuvre dans des conditions négociées avec l’Union européenne. Elles seraient, par ailleurs, appliquées dans le cadre d’un régime, celui de l’article 74, où le Conseil d’Etat est amené à exercer un contrôle sur les actes pris par la Collectivité.
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avec l’Etat, à la négociation de certains traités internationaux et participer à un espace de coopération judiciaire et douanière.

8- Les élus martiniquais ont-ils élaboré un projet de développement pour la Martinique ?

Oui.

Le Conseil général a initié, en 2005, un projet de développement durable pour la Martinique, intitulé « Agenda 21-Martinique ».

Cette démarche a donné lieu à une grande enquête d’opinion et à près de 200 réunions de 10 ateliers thématiques au sein desquels élus, représentants d’associations, acteurs économiques et citoyens ont confronté leurs idées, leurs expériences et leurs propositions.

Les préconisations auxquelles cette démarche a abouti ont fait l’objet d’un document, « l’Agenda 21 Martinique », adopté à l’unanimité par l’Assemblée départementale, au mois de juin 2007. Ce document a été transmis au Gouvernement lors de la session du Grenelle de l’environnement qui s’est tenue, en Martinique, en octobre 2007.

Le Conseil régional a, pour sa part, lancé, en 2006, l’élaboration d’un Schéma martiniquais pour le développement économique de la Martinique (S.M.D.E.) qui a, lui aussi, fait l’objet d’une très large concertation.

Le S.M.D.E., qui dégage de grandes orientations pour le développement de la Martinique pour les 15 ans à venir, a également été transmis au Gouvernement.

L’existence de deux projets de cette nature s’explique par la coexistence, sur notre territoire, de deux collectivités disposant de compétences fixées par la loi et de deux assemblées disposant chacune de sa légitimité propre.

Mais les deux assemblées ont décidé d’élaborer une synthèse de ces projets, d’autant que ceux-ci comportaient de nombreux points de convergences.

Cette synthèse, intitulée « Orientations stratégiques pour le développement de la Martinique », a été adoptée à l’unanimité par les élus martiniquais, lors d’une réunion commune du Conseil régional et du Conseil général, le 18 décembre 2007.

Ces orientations s’articulent autour de 4 axes majeurs :

- renforcer le lien sociétal en mettant l’être humain au cœur du projet ;

- favoriser l’aménagement équilibré et concerté du territoire ;

- s’ouvrir à l’international pour participer à sa dynamique ;

- se mettre en capacité de s’adapter au changement.

Elles renvoient à un ensemble de préconisations, par grands secteurs d’activités, contenues dans « l’Agenda 21 Martinique » et le S.M.D.E.

Ce projet de développement pour la Martinique a été remis au Premier ministre, François Fillon, le 5 janvier 2008, par les deux exécutifs, au nom des élus martiniquais.

Il est indispensable de disposer localement de nouveaux outils institutionnels et réglementaires pour favoriser la mise en œuvre efficace de ce projet martiniquais.


9 - Les élus martiniquais disposaient-ils d’une légitimité pour proposer un changement du cadre institutionnel ?

Oui.

Le Congrès des élus départementaux et régionaux est une instance qui, de par la loi, est habilitée à formuler des propositions – et seulement des propositions - en la matière (article 62 de la Loi d’orientation pour l’Outre-mer du 13 décembre 2000).

Les conseillers généraux, les conseillers régionaux, mais également les parlementaires (disposant d’une voix consultative) qui ont participé aux réunions du Congrès de décembre 2008 et de juin 2009 ont tous été élus après la création de cette instance.

Ils avaient donc, au moment de leur élection, clairement vocation à aller siéger au sein de celle-ci.

La question de la légitimité dont disposaient les élus, pour siéger dans une telle instance, pourrait se poser s’agissant des congrès précédents (ceux qui se sont réunis en 2001, en 2002 et en 2003) ; les membres du congrès n’ayant pas tous, à l’époque, été élus après la création de cette instance.

Mais on ne peut, en réalité, sérieusement considérer que la position des élus concernés n’était pas connue de leurs électeurs sur un sujet - la question institutionnelle - qui est au cœur du débat politique martiniquais depuis de très nombreuses années.

En tout état de cause, l’avantage que le congrès présente, de ce point de vue, c’est celui de constituer une instance parfaitement transparente. Une instance dont les débats peuvent être suivis par les citoyens et au sein de laquelle, grâce au vote à main levée – comme cela se passe dans la très grande majorité des assemblées démocratiques -, les élus se prononcent au vu et au su de leurs électeurs.

Par ailleurs, il importe de souligner que, dans un système de démocratie représentative, les élus ont, en toute hypothèse, le devoir de proposer des solutions favorisant une plus grande efficacité de l’action publique et la définition de réponses, globales et durables, aux problèmes auxquels les citoyens sont confrontés au quotidien.

Ce qui importe – s’agissant notamment d’un sujet aussi important pour l’avenir de la Martinique -, c’est que les citoyens martiniquais puissent se prononcer, en conscience et en connaissance de cause, sur les propositions formulées par leurs représentants légitimes.

10 – Si les Martiniquais répondent « oui » à la consultation du 10 janvier, que va-t-il se passer ?

Le 10 janvier 2010, les Martiniquais auront à répondre par « oui » ou par « non » à la question suivante : « Approuvez-vous la transformation de la Martinique en une collectivité d’outre mer régie par l’article 74 de la Constitution, dotée d’une organisation particulière tenant compte de ses intérêts propres au sein de la République ? ».

Si les Martiniquais répondent « oui » à cette question, il est prévu, selon les indications du président de la République, de procéder à l’élection de l’assemblée délibérante de la collectivité de Martinique, régie par l’article 74 de la Constitution, en fin d’année 2011 (a priori dans le courant du mois d’octobre).

Les élections régionales auront lieu, comme prévu, au mois de mars 2010. Les conseillers Régionaux seront donc élus pour une durée de 18 mois.

Le mandat des conseillers généraux, normalement renouvelable en mars 2011, sera prolongé de quelques mois, jusqu’à la mise en place de l’assemblée délibérante de la nouvelle collectivité.

Au lendemain de la consultation, des discussions vont s’engager entre une délégation représentant le Congrès des élus départementaux et régionaux et le Gouvernement en vue d’élaborer - sur la base des propositions formulées par le Congrès - le projet de loi organique indispensable à la mise en œuvre du nouveau statut de la Martinique.

Le projet de loi organique sera obligatoirement soumis à l’avis des deux assemblées locales, qui en débattront publiquement, et donc en toute transparence, avant son examen et son vote par le Parlement.

Ce n’est qu’en cas de victoire du « Non », le 10 janvier, que les Martiniquais auront à se prononcer, le 24 janvier, sur l’éventualité de « la création, en Martinique, d’une collectivité unique exerçant les compétences dévolues au département et à la région tout en demeurant régie par l’article 73 de la Constitution ».

En cas de victoire du « oui », la nouvelle collectivité serait mise en place selon le même calendrier.

Mais, dans ce cas, certaines dispositions de la réforme territoriale prévue pour l’ensemble de la France, en 2014, s’appliqueraient à la Martinique.

La collectivité unique ne disposerait plus de la clause de compétence générale, c’est-à-dire de la faculté d’impulser, au-delà de ses compétences strictes – celle du Département et de la Région – des politiques répondant à l’intérêt général martiniquais.

Les structures intercommunales (au nombre de 3 en Martinique) seraient, en revanche, dotées de cette faculté et pourraient, chacune sur son territoire, impulser des politiques générales.

La Martinique devrait alors faire face à une aggravation du morcellement des centres de décision qu’elle connaît déjà. Une situation particulièrement préjudiciable à son développement.

11 – Qu’est-ce qu’une loi organique ?

C’est une loi qui précise la Constitution sur certains points. Elle est donc au-dessus des lois ordinaires.

C’est pourquoi elle se caractérise par des conditions d’adoption et de modification particulières.

Il est notamment prévu qu’en l’absence d’accord entre les deux assemblées parlementaires, le texte ne puisse être adopté par l’Assemblée nationale en dernière lecture qu’à la majorité absolue de ses membres.

Les lois organiques sont automatiquement déférées au Conseil constitutionnel.
Elles ne peuvent, en effet, être promulguées qu’après la déclaration par celui-ci de leur conformité à la Constitution.

Elles sont nécessaires à la mise en œuvre de tout changement institutionnel et statutaire, sauf quand il s’agit de simples réformes administratives, comme la création d’une collectivité unique dans le cadre de l’article 73. En effet, dans le cas de ce type de réforme mineure, une loi ordinaire suffit.

12 - Est-ce le moment de changer de cadre institutionnel ?

Oui.

La question de l’évolution institutionnelle est au cœur du débat politique martiniquais depuis plus de 50 ans. Singulièrement, depuis qu’à la fin des années 1950, on a notamment vu apparaître la revendication autonomiste, face au constat que le cadre institutionnel issu de la réforme de 1946 s’avérait incapable :

- de sortir la Martinique de sa situation de mal-développement ;

- de garantir l’épanouissement d’une véritable identité martiniquaise ;

- d’assurer au peuple martiniquais une bonne insertion dans son environnement géographique.

Il n’est, de fait, pas possible de promouvoir un véritable développement de la Martinique et de répondre aux aspirations profondes du peuple martiniquais sans domicilier, en Martinique, de véritables leviers de décision.

Ni l’action considérable menée par les élus (des assemblées départementale et régionale, des communes et des structures intercommunales) ni le réel dynamisme des acteurs économiques ne parviennent, dans le système actuel, à atteindre les résultats escomptés.

Les différents plans de développement successivement mis en œuvre ces dernières années n’ont pas davantage répondu aux objectifs qui leur sont assignés.

Le constat des limites du système actuel est établi y compris au sommet de l’Etat.

Le président de la République, Nicolas Sarkozy, a eu l’occasion de déclarer, lors de sa visite en Martinique, en juin 2009, que « le statu quo n’est pas possible ».
Son prédécesseur, Jacques Chirac, affirmait déjà, en mars 2000, au Palais des Congrès de Madiana, que le cadre institutionnel actuel, « fondé sur l’assimilation, et qui a longtemps été synonyme de progrès et de dignité, a probablement atteint ses limites », ajoutant que sa conviction est que « chaque collectivité d’outre mer doit pouvoir, si elle le souhaite, évoluer (…) vers un statut sur mesure ».

Il est indispensable de créer les conditions institutionnelles du changement :

- si nous ne voulons pas voir encore se détériorer une situation qui se caractérise par un taux de chômage (surtout des jeunes et des femmes) beaucoup trop important ; un coût de la vie particulièrement élevé, un taux de Rmistes largement supérieur à ceux de l’Hexagone, le développement de phénomènes de pauvreté, d’inégalité et d’exclusion … ;

- si nous sommes réellement convaincus que nous formons un peuple capable de se prendre en charge, de peser davantage sur son propre devenir pour offrir de nouvelles perspectives et de réelles chances d’épanouissement à sa jeunesse.

Durant les dernières décennies, nous avons raté différentes opportunités d’obtenir des réformes favorisant la mise en œuvre de politiques de développement plus efficaces et plus adaptées.

En 1957, lors de la signature du traité de Rome, qui prévoyait un délai de 2 ans pour adapter l’application de certaines dispositions à nos réalités ;

En 1958, avec la rédaction d’un article 73 qui, selon le Général de Gaulle, était censé permettre une véritable prise en compte de nos réalités particulières, mais qui n’a cessé d’être interprété de manière restrictive par le Conseil constitutionnel ;

Dans les années 1980, avec le rejet de l’assemblée unique par le Conseil constitutionnel et la mise en œuvre d’une réforme de la décentralisation non pensée pour nos réalités ;

En décembre 2003, avec l’échec, à quelque 1000 voix près, de la réforme proposée par le congrès des élus.

Il nous faut donc saisir cette occasion de faire un pas dans la responsabilité, dans le cadre du régime de l’article 74 de la Constitution, pour donner un nouvel élan à la Martinique !


Conclusion

Si nous voulons :

- mettre en œuvre localement des politiques (notamment de développement) plus cohérentes et plus efficaces ;

- disposer de réels moyens d’adaptation des lois et règlements ;

- disposer localement d’outils règlementaires dans certains domaines, actuellement de la compétence de l’Etat ;

- disposer de véritables moyens de promouvoir notre identité et la personnalité collective de notre peuple ;

Tout cela dans le cadre du titre XII de la Constitution qui garantit le maintien dans la République,

La seule voie actuellement à notre disposition (et probablement pendant très longtemps encore), c’est celle offerte par l’article 74 de la Constitution.

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