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mercredi 20 janvier 2010
La colère au réveil, par Lyonel Trouillot
Contre la bêtise des hommes et celle des éléments. La terre a encore tremblé. Dans mon quartier, une maison déjà abîmée par le séisme du 12 janvier s'est effondrée. Quelle terrible sensation pour une population que de se sentir persécutée par un ennemi caché sous ses pieds, qu'elle ne peut ni vaincre, ni convaincre, ni juger. Voilà pour la bêtise des éléments. Celle des hommes, on peut la condamner. Une phrase fait le tour du monde : "La population fuit la violence et la misère et se réfugie dans les provinces." Elle vient d'un organe de presse français. Elle est reprise par une radio haïtienne. L'aliénation, ça existe même en temps de crise. Pour quelques petits bourgeois de Port-au-Prince, experts dans l'art du mimétisme et trop paresseux pour sillonner les rues, si les Français le disent, cela doit être vrai. Moi, j'ai marché dans les rues. La violence ? Soyons sérieux. Par rapport à ce qu'on a pu voir ailleurs. Mais je ne devrais pas écrire cela, peut-être qu'ailleurs aussi une certaine presse a exagéré.
Je suis content qu'Anderson Cooper ait lui-même reconnu que la presse exagère en donnant l'impression que Port-au-Prince est livrée aux pillards. C'est vrai qu'on pourrait parler un peu plus des formes de solidarité développées par la population. Du travail des sauveteurs et des médecins. Des besoins réels. Des comités de quartier qui se mettent en place. Aujourd'hui, je vais à la recherche de l'eau. Le quartier a besoin d'eau potable. Avant le séisme, on en achetait, chacun selon sa bourse. Mais la plupart des gens vivent au jour le jour, et depuis une semaine ils ne gagnent rien. Ils n'ont pas les gourdes qu'il faudrait pour un sachet, une bouteille ou un seau. Et même quand ils les auraient, l'eau est rare. Les camions ne passent plus. Un ami m'a promis de nous faire livrer un camion pour les besoins du quartier. Le comité constitué essentiellement de jeunes s'occupera de la distribution. Ils ont déjà creusé une fosse et s'assurent que les gens qui habitent les rues l'utilisent. J'aime ces jeunes. Ce pays ne leur a rien donné, mais ils ne veulent pas le perdre. Peut-être même souhaitent-ils le changer. Pour eux. Et pour les autres.
Les horreurs ponctuelles et les horreurs structurelles
Le comité s'occupe des problèmes immédiats, mais il pense aussi à l'avenir, quand viendra le temps de reconstruire. Je sors. On parle de l'immense travail accompli par les médecins haïtiens et étrangers. Certains ne dorment presque pas. On parle aussi du travail des sauveteurs. Certains, mais je ne peux pas confirmer, donnent une note excellente aux Israéliens et aux Français. La République dominicaine, notre vieille ennemie, aiderait aussi beaucoup. Sur l'aide, les avis sont partagés. Un grand merci, mais toujours la crainte qu'il se joue autre chose. Des voix, de plus en plus nombreuses, s'interrogent sur la nécessité de tant de soldats américains. Cette affaire d'un avion-hôpital qui n'a pu atterrir n'en finit pas d'inquiéter, d'écoeurer.
Suite à la secousse de ce matin, je reçois beaucoup d'appels de l'étranger. Les amis s'inquiètent. Veulent savoir ce qu'ils peuvent faire. Je ne sais pas quoi leur dire. Aujourd'hui, les problèmes les plus graves restent les abris et les soins médicaux, l'eau et la nourriture. À Port-au-Prince, nous sommes tous sinistrés, mais il y en a qui le sont plus que d'autres. Mon ami m'a appelé. Il devrait nous trouver de l'eau. Pour le quartier. J'ai vu l'eau de puits que la plupart des gens utilisent pour cuire leurs aliments. Il y a quelques années, nous avions demandé une analyse. Elle n'est pas potable. Je réalise qu'un grand nombre de familles l'utilisaient déjà avant le tremblement de terre. Il y a les horreurs ponctuelles et les horreurs structurelles. J'ai demandé aux jeunes du comité de faire campagne contre l'utilisation de cette eau. L'urgence est de leur trouver le mot. J'attends l'appel de mon ami. S'il n'appelle pas, j'irai voir. Il y a des jours et des situations où il serait bête de se répéter : il n'est que d'attendre.
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