Des organismes internationaux et des organisations locales saluent la disponibilité massive de l’aide humanitaire pendant les trois premiers mois qui ont suivi le séisme du 12 janvier dernier, qui a détruit la capitale et plusieurs villes d’Haiti, mais signalent des faiblesses dans la gestion et la distribution de l’aide.
« L’ampleur de la catastrophe du 12 janvier a rendu nécessaire la distribution de l’aide alimentaire », déclare à AlterPresse Chavannes Jean Baptiste, Coordonnateur du Mouvement Paysant National du Congrès de Papaye (MPNKP), une fédération qui compte environ 200.000 membres à travers le pays.
Selon des sources officielles, plus de 3.5 millions de personnes ont reçu de l’assistance alimentaire, 1.3 millions de l’eau potable et 1 million de personnes déplacées (sur 1,3 million) ont bénéficié d’abris provisoires.
Dans le cadre de ces opérations, Guypsy Michel, Directeur régional Amériques du Centre d’Étude et de Coopération Internationale (CECI) indique que l’organisme « a pu apporter de l’aide de très tôt à des sinistrés grâce à des dispositifs prépositionnés ».
Outre l’eau, les médicaments, les refuges et des kits hygiéniques distribués dans plusieurs régions du pays, l’organisme a facilité l’arrivée dans des centres d’aide de médecins et infirmières étrangers.
Pas d’aide ou presque en dehors de la capitale
Chavannes Jean-Baptiste rappelle que le séisme du 12 janvier, de magnitude 7,3, a causé une « catastrophe nationale », et, selon lui, 95% de la population haïtienne a été affecté.
Les chiffres officiels font état d’environ 600.000 déplacés internes. Un recensement effectué par le MPNKP révèle que 10.000 personnes, certaines d’entre elles très traumatisées, se sont réfugiées dans deux localités du Plateau Central (Est) où vivaient auparavant 8000 personnes.
« Ces gens crèvent de faim et n’ont, en réalité, reçu aucune aide de l’État », dénonce le responsable paysan qui ajoute : « je ne vois pas comment ils vont pouvoir s’en sortir … »
Travailler avec les structures locales
CECI indique qu’il a fourni « de façon permanente » de l’aide alimentaire à 60.000 personnes dans plusieurs régions, en utilisant une part significative de produits locaux, achetés dans l’Artibonite (Nord).
Cette stratégie permet « non seulement d’avoir un impact sur les déplacés, mais aussi au niveau des familles d’accueil », souligne-t-il, puisque ce procédé leur permet d’accéder à des revenus.
A propos de la possibilité d’assurer une bonne distribution de l’aide, Michel indique qu’il est important de travailler avec les structures locales afin de diminuer les risques.
« Tout doit être organisé et planifié avec les gens et les ONGs doivent savoir que, même en situation d’urgence, les gens existent », martèle-t-il.
En outre, selon Guypsy Michel, « il ne faudrait pas prendre le prétexte de la corruption pour ignorer les autorités », même si « les étrangers n’ont pas tout-à-fait tort quand ils pointent du doigt la corruption » au niveau de l’État.
Le principe de la « participation locale » demeure incontournable même dans l’urgence, souligne-t-il.
Les ONGs en ont fait à leur tête
Yolette Étienne, ancienne représentante d’OXFAM Angleterre en Haïti, estime que le gouvernement a été complètement marginalisé en matière d’abris provisoires ». Ce dernier a fait valoir la nécessité de distribuer des tentes, « mais les ONGs ne voulaient pas, parce qu’elles étaient convaincues qu’il fallait distribuer des bâches », avance-t-elle.
« Seules les ONGs disposaient de ressources financières nécessaires et ce sont des bâches qu’elles ont l’habitude de distribuer dans les grands campements de personnes déplacées en Afrique. Alors, beaucoup plus de bâches ont été offertes aux personnes déplacées au lieu de tentes », explique Yolette Etienne.
Penser l’urgence avec une vision de développement
Un autre problème abordé par l’ancienne cadre d’Oxfam est celui de la relation entre l’aide humanitaire et le développement. « Dans le cas de Haïti, il est nécessaire de profiter de cette situation d’urgence pour amener des changements », soutient-elle.
Guypsy Michel admet qu’on peut « penser l’urgence avec une vision de développement, et trouver un équilibre » entre l’humanitaire et le long terme. Il estime qu’on « ne doit pas s’installer dans l’urgence ».
Pour sa part, Jean-Baptiste craint en particulier que l’aide alimentaire ne se transforme en « poison » pour l’agriculture, le développement et la culture d’Haïti, si « un programme de relance de la production agricole » n’est pas mis en œuvre « pour que les produits locaux puissent prendre le relaie après la période d’urgence ».
Pour lui, « il s’agirait de fournir des semences aux paysans, d’entreprendre des travaux de conservation des sols et la construction de routes agricoles », parce que « des récoltes, comme celles du maïs, peuvent être réalisées dans l’espace de trois mois ».
À long terme, « nous devons viser la souveraineté alimentaire », afin de ne pas alimenter une « mentalité d’assisté » qui « existait déjà » et qui « tendrait à être renforcée avec la catastrophe du 12 janvier », prévient-il.
Selon le leader paysan, « nous devons prendre les dispositions nécessaires pour construire ce pays différemment », c’est-à-dire, « en fournissant à la population des emplois qui garantissent sa dignité ».
Le coordonnateur du MPNKP critique, par ailleurs, la « militarisation de l’aide humanitaire » durant les premiers moments de la catastrophe, avec la présence de troupes de plusieurs pays impliqués dans sa distribution. Il considère que la distribution de l’aide humanitaire « sous la menace des armes a déshumanisé » les sinistrés. [gp apr 12/04/2010 20 :00]
Gotson Pierre
[AlterPresse - Haiti]
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