"L'année 2010 risque de s'achever en Haïti comme elle y a débuté. Tragique, apocalyptique et chaotique, avec autant de sinistrés dans les camps, de désespoir sur les visages, d'angoisses et de pessimisme dans les esprits. Un cortège de catastrophes naturelles et humaines, voilà qui résume bien l'année finissante pour ce qui fut la perle des Antilles, sinon, le Koweït du XVIIIe siècle.
Définitivement, cette année aura été une 206e maudite pour Haïti. Tremblement de terre dévastateur, OPA des ONG, tutelle de fait, échec de la reconstruction, promesses trahies ou oubliées, épidémie de choléra, enlisement de l'ONU, ouragan Thomas, faillite de l'Etat, putsch constitutionnel et 'potentielle katrina' pour Bill Clinton et Barak Obama. Pour compléter ce tableau apocalyptique, voilà qu'Haïti se trouve à nouveau aspirée par le tragique à la suite d'un scrutin frauduleux, cautionné et financé par la communauté internationale et, de surcroît, organisé dans un décor nécrologique et funéraire.
L'enjeu ? Camoufler l'enlisement et l'échec lamentable de la Minustah, après six ans de présence en Haïti. Celle-ci s'avère, de toute évidence, le Waterloo antillais de l'ONU, qui y a déjà englouti des milliards et essuyé depuis 1994 pas moins de cinq échecs fort lamentables. Les élections du 28 novembre 2010 ont vocation de dédouaner la Minustah et de faire oublier que celle-ci n'a réussi qu'à empirer la faillite d'Haïti, notamment, sur le plan institutionnel. Elles risquent donc de discréditer davantage la Minustah et produire le contraire des résultats attendus.
Par ailleurs, le gouvernement canadien a vécu la même expérience négative et douloureuse en Haïti et ce, depuis au moins quatre décennies. Echec après échec, la situation haïtienne s'empire et la communauté internationale persiste, s'enfonce et réédite les mêmes erreurs sans questionnement et sans autocritique. Si bien qu'elle cautionne désormais une opération électorale antidémocratique certes, mais fondationnelle d'une nouvelle institution politique taillée sur mesure pour Haïti : la 'démoligarchie' un néologisme formé par la contraction du concept de démocratie et celui d'oligarchie. Un scrutin 'démoligarchique' est un scrutin organisé pour l'oligarchie politico-créole haïtienne et la jet-set bureaucratique transnationale onusienne; un scrutin paré d'un faux vernis démocratique en raison d'un processus d'agréments des candidats vicié et inconstitutionnel.
Il suffit d'imaginer des élections générales au Québec, interdites au Parti libéral et/ou au Parti québécois par le directeur général des élections pour comprendre l'absurdité du prochain scrutin en Haïti. Des élections sans 'Fanmi Lavalas'de Jean Bertrand Aristide et sans 'Fas-à-Fas' de Wyclef Jean ne peuvent revendiquer l'épithète 'démocratique' dans le contexte haïtien. Les fraudes massives en faveur du candidat du parti présidentiel dénoncées par l'opposition et l'appel public lancé par cette dernière pour l'annulation du scrutin contrastent avec le cautionnement quasi-inconditionnel d'un tel scrutin par l'OEA et la Minustah. Avant celle-ci, l'on choisissait les Présidents pour les Haïtiens, incluant Aristide bis en 2002 et Préval bis en 2005 et, dans ce dernier cas, suivant un pacte informel avec les partisans de 'Fanmi Lavalas'.
Avec la Minustah et sous la supervision de l'OEA, ne s'apprête-t-on pas à sélectionner le prochain président haïtien pour le peuple haïtien et ce, au ternes d'un processus 'démoligarchique' ? A moins que la candidate Mirlande Manigat parvienne in extremis à éviter le forfait infligé à l'ex-président Lesly Manigat en 2005, le scénario de la sélection apparaît fort prévisible dans le cas du candidat officiel de la présidence, M. Jude Célestin. Autrement, le bris unilatéral par le président Préval de son contrat implicite en 2005 avec 'Fanmi Lavalas' devrait en toute logique favoriser Mirlande Manigat au second tour. Ce qui ferait du même coup de Jean-Bertrand Aristide l'arbitre potentiel de l'issue du prochain scrutin. Ce que redoute le parti présidentiel. Une éventuelle victoire de Mirlande Manigat suppose la neutralisation du clan prévalien dont le cynisme et l'ambition dynastique sont des paramètres incontournables dans le dénouement final de l'équation électorale. A cela s'ajoutent des pratiques et mœurs électorales frauduleuses et bicentenaires, orchestrées avant, pendant et après la votation. En légitimant ex ante le processus électoral, l'ONU et l'OEA se sont piégées elles-mêmes.
LA DÉMOCRATIE ET LES INTÉRÊTS SUPÉRIEURS DU PEUPLE HAÏTIEN SONT BAFOUÉS
Pourtant, ce scrutin, quelle que soit son issue finale, est porteur d'instabilité politique en Haïti. En effet, pour la première fois dans l'histoire de ce pays (Un miracle est toujours possible !), l'on risque d'expérimenter une cohabitation politique, avec Mirlande Manigat comme éventuelle présidente et Jude Célestin comme probable premier ministre. Tout indique que la prochaine législature sera dominée par le Parti Unité de Jude Célestin lequel dispose d'un candidat dans chaque circonscription électorale pour les législatives. La cohabitation politique envisagée ci-dessus constituerait en soi une marmite explosive, en raison de l'incivisme avéré, du déficit de convivialité politique et de la myopie de l'élite politique et créole haïtienne. Ajoutez-y l'illégitimité et l'inconstitutionnalité des arbitrages du conseil électoral provisoire, et vous avez la recette pour le retour au brigandage politique et, par ricochet, pour un enlisement de la Minustah en Haïti. En essayant de faire avaler au peuple haïtien, une pilule 'démoligarchique' dissimulée dans une fausse capsule démocratique, l'OEA et la Minustah auront réarmé la grenade politique haïtienne. En découlera-t-il l'ivoirisation d'Haïti ? L'on ne peut écarter une telle hypothèse.
En cautionnant un processus 'démoligarchique' pour éviter de perdre la face en Haïti et laisser planer l'illusion d'un quelconque progrès dans ce pays depuis 2005, la Minustah ne se dirige-t-elle pas vers son Waterloo dans le bourbier haïtien ? N'aurait-elle pas mieux investi ses énergies en rééditant l'expérience des grands travaux d'infrastructures et de modernisation vécue sous l'occupation américaine mais sans la brutalité et la rudesse d'une telle occupation ? Au lieu de cela, la Minustah a préféré s'arrimer sur l'oligarchie créole haïtienne ; au risque de se faire suspecter d'être à l'origine du choléra en Haïti et, in fine, de cautionner tambour battant, la mise en œuvre de la démoligarchie prévalienne. Et ceci, sans se réaliser qu'après le séisme du 12 janvier, une nouvelle Haïti a émergé, plus complexe, avec une nouvelle géographie sociale plus compliquée et plus fracturée. En effet, une géographie quadridimensionnelle s'est substituée à l'espace social bi puis tridimensionnel qui fut celui d'Haïti. À la bipolarité traditionnelle 'ville', 'campagne', il y a eu depuis 1986, les bidonvilles d'Aristide et en deçà des bidonvilles, il y a désormais les camps de sinistrés avec leurs angoisses, humiliations, agressions et désespoirs. Fas à Fas de Wyclef Jean incarnait l'espoir pour les jeunes des bidonvilles et les sinistrés des camps de la capitale et Fami Lavalas de Jean-Bertrand Aristide, leur salut social. Pourtant, les deux ont été sacrifiés sur l'autel 'démoligarchique' que demeure le scrutin du 28 novembre. La démocratie et les intérêts supérieurs du peuple haïtien sont encore terriblement bafoués et ce, avec la complicité de ceux mandatés par le Conseil de sécurité de l'ONU pour les protéger. Sur ce plan, la Minustah semble désormais faire plus partie du problème haïtien que de sa solution.
C'est au nom d'une éthique de la solidarité et de la dignité humaine que la Minustah aurait du prioriser le retour au seuil de l'humain pour plus d'un million d'individus abandonnés dans des camps de fortune et insalubres ainsi que pour les deux millions de pauvres tapissés dans les nouveaux bantoustans que sont les bidonvilles de Port-au-Prince. Que d'excès onusiens pour si peu de résultats concrets depuis 2005 pour ces millions de déshérités. Le bilan du Canada n'est guère mieux en Haïti. Pourtant, nous continuons, à l'instar de l'ONU, à y rééditer les mêmes erreurs. Erreur de lecture, erreur d'appréciation, erreur de diagnostic, erreur de prescriptions, y compris en matière de soins palliatifs. Les élections du 28 novembre ne sont qu'un éloquent exemple de ces erreurs historiques.
Wilson Saintelmy, expert en gouvernance et doctorant en droit à l'UQAM
– Envoyé à l'aide de la barre d'outils Google"
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