jeudi 9 décembre 2010

Blog officiel de Serge Letchimy » Archive du blog » A quoi sert le football martiniquais?

"Le fiasco des Matininos à la Digicel Cup organisée par la Ligue de Football de Martinique ne laisse ici personne indifférent, et chacun y va de de son analyse personnelle avec une forme de résignation qui m’apparaît plus symptomatique de l’état de notre sport-roi en général que de la performance de nos joueurs proprement dite.

Que dit cette résignation? En quoi nous informe-t-elle sur les rapports de notre société au sport en général, et au football en particulier? Le ballon rond peut-il retrouver sur les stades du pays la place qu’il occupe désormais dans nos salons et sur les écrans satellisés? D’aucun affirme que cette tendance est irréversible et que, gavés d’émotions premium, garanties par les plus grandes stars mondiales, nos chyen-boul locaux ne reviendront plus à la fadeur présumée des joutes d’amateurs où le résultat compte plus que la qualité du jeu. Nos savants techniciens rétorqueront, vexés, qu’il n’y a jamais de résultats durables sans maîtrise collective de l’organisation tactique et de l’engagement physique, ce vers quoi tous leurs efforts ont tendu depuis des années. Sous l’aiguillon, précisément, de la culture télévisuel et de la démocratisation des analyses techniques, oublient-ils d’ajouter. Car en chacun de nous, désormais, s’exprime un Mourinho. Et bien peu s’avoueraient moins qualifié que Domenech pour ramener une Coupe du Monde sur les Champs Élysées (voire sur le Malecòn)… Mais au fond, je ne crois pas que le malaise du foot martiniquais soit strictement une affaire de terrain. Après tout, les résultats bruts du tournoi laissent plutôt apparaître une hiérarchie très étroite entre nations de la Caraïbe: aucun carton significatif, des scores étriqués et des matches relativement équilibrés où à tout moment un renversement reste jouable.
Ainsi les Gwada Boys qu’on soldait pour rien après leurs deux premiers matchs, ratent-ils le titre aux tir aux buts. Ainsi Grenade, sur qui on n’aurait pas misé un dollar EC, jouera-t-elle la Gold Cup tandis que nous resterons dans le Canal(+). Ici gît notre plus grande douleur, dans cette intime arrogance malmenée par neuf Cubains impassables, incontournables, offrant une leçon de solidarité et de courage à notre sélection incapable de hausser sa motivation collective.

C’est là, qu’à mon avis, brûle le cœur de chauffe de notre malaise. Cela fait un moment que les performances de notre sélection sont du même acabit et que nous nous payons de mots autour de succès sans panache dans des confrontations sans intérêt. Nous prétendons pouvoir mener sur place notre jeunesse à l’excellence, mais quelles perspectives lui sont offertes? La coupe des DOM et, de temps en temps, plus rarement que souvent, la récompense d’une aventure sans lendemain en Gold Cup! Le football martiniquais est pour notre jeunesse un blaff sans sel, sans bwadend ni piment. J’éprouve un profond respect pour ces centaines d’éducateurs qui consacrent leur énergie à la passion du sport et à l’amour de notre jeunesse, mais il faut bien poser la question qui tue: à quoi sert le football martiniquais ? S’il s’agit simplement d’ «occuper» les jeunes, alors associons-nous à Cantona et spécialisons-nous dans le beach soccer, animation garantie: bain, bronzette, grillades, nettoyage de plages, sound systems et maillots brésiliens… Car nous savons qu’un nombre considérable de jeunes passionnés de sport en sont exclus par l’étroitesse d’esprit et la ringardise mesquine de dirigeants imbus de leur autorité et de notabilité à bon compte. Citons l’exemple de ce président emblématique, homme notoirement corrompu, qui se permit d’agresser publiquement -armé d’une paire de ciseaux- le goal de la sélection, pour lui couper ses locks… Si le football reste considéré comme un vecteur majeur du développement social et humain, alors nous sommes confrontés au décalage, général dans ce pays, entre notre réalité complexe et l’incapacité de nos «élites» à imaginer des réponses adaptées, à offrir des perspectives véritablement motivantes à notre jeunesse. Comment se mettre en chemin si l’horizon se dérobe ou reste éternellement dans les limbes?
La critique est facile, murmure-t-on chez les mêmes qui seront encore là dans vingt ans… Je vais donc tenter une transversale dans le dos de la défense: avons nous besoin du 74, voire du 75, pour que nos clubs créent, ici-dans, une Fédération Martiniquaise du Football, en lieu et place de notre ligue provinciale? «Pour quoi faire?» s’écrie-t-on à ma droite. Mais pour jouer la Coupe du Monde et créer un championnat semi-professionnel, pardi! Arrêtons de nous mentir à nous mêmes et à rêver de grandeur dans la petitesse entretenue, aucune démagogie ne suppléera notre inertie.

L’autonomie n’est pas dans les rodomontades ni sur une feuille de papier, mais dans les actes déterminés, posés au quotidien. Que gagnons nous à stagner dans cet entre-deux, entre potentiel gâché et encayage sportif? Que nous apportent la FFF ou l’UEFA de Platini que nous refuseraient la FIFA et la CONCACAF? Nous ne sommes plus au temps des clubs coloniaux. J’affirme (c’est le professionnel qui parle) que dans le champ de l’économie sociale il existe les moyens d’une telle révolution douce. Encore y faudrait-il, plus que de l’argent (il y en a) ou de la volonté (on en parle): de l’ambition, une certaine idée de nous-même et une forme d’humilité visionnaire…

En dépit de nos infrastructures, nous ne sommes, à juste titre, pas prêts à recevoir de si tôt une compétition régionale de football; car -l’assistance très moyenne durant le tournoi le prouve- nous ne nous donnons même pas les moyens de nos maigres illusions. Que savons nous réellement du football caribéen? Combien de jeunes ont-ils été envoyés en stage à Cuba, en Jamaïque, à Trinidad ou au Brésil? Si la Coupe des DOM reste le rêve proposé à la jeunesse martiniquaise, alors vive le Canal Football Club et les cool war de quartier, qui font plus contre la violence générale que la désaffection des stades où nous mène l’amateurisme marron d’une organisation obsolète… Oui, nous pouvons monter sur place une sélection compétitive et valorisante pour notre jeunesse et le pays tout entier.
Mais tant que le football antillais restera prisonnier des notables repus et de l’autosatisfaction des techniciens du dimanche, c’est la Guadeloupe qui aura raison de rechercher ailleurs la dimension qualitative qui amène des titres et la fierté pour son peuple.

Kenjah

– Envoyé à l'aide de la barre d'outils Google"

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