"Après le tremblement de terre, la radio où il travaille est restée le seul moyen de communiquer avec les sinistrés et le reste du monde. Michel Soukar, historien survivant, nous a raconté son année 2010 en Haïti.
'C'était une année horrible. D'abord, il y a eu le tremblement de terre, puis la tornade, le cyclone, le choléra - toujours là -, et dernièrement la catastrophe électorale. Le bilan 2010 est très lourd pour Haïti et 2011 ne sera certainement pas plus facile.
Je me souviens du moment précis où le tremblement de terre a commencé. J'étais chez moi à ma table de travail, en train d'écrire quelque chose. Brusquement, j'ai senti comme un train passer à côté de moi. J'ai tout de suite réalisé que c'était un tremblement de terre.
Quelques semaines auparavant, j'avais interrogé des géologues qui m'avaient parlé des risques de catastrophe. Je me suis mis à l'abri. Il n'y a pas eu trop de dégâts chez moi. J'habite sur l'une des montagnes qui surplombent Port-au-Prince et cet endroit a été plutôt épargné.
J'ai vu la terre danser. C'était une sensation très particulière, un phénomène que nous n'avions jamais vécu.
Signal FM n’a pas été touché
Après avoir contacté mes proches, sains et saufs, je me suis rendu à la radio où je travaille, Signal FM. Elle n’avait pas été touchée. Nous avons tout de suite compris que ça allait être un moyen de rester en contact avec la population. Nous nous sommes très vite mis au service des sinistrés.
Pendant un mois, la station a été le centre du pays, nous diffusions des messages de détresse, des demandes de secours. Nous avons distribué de l’aide, emmené des gens vers les centres hospitaliers avec les véhicules de la station. Nous avons reçu des confrères locaux, d’autres étrangers.
Certains étaient bouleversés lorsqu’ils racontaient le drame aux auditeurs de leur pays. Nous avons vécu cette histoire de l’intérieur : des confrères sont morts, d’autres ont perdu des membres de leur famille. Nous hébergions ceux qui n’avaient plus de maison. C’était très difficile. Nous n’oublierons jamais cette expérience. Il y a eu beaucoup de larmes mais aussi de beaux moments de solidarité, très émouvants. C’était tellement difficile.
La solidarité internationale
Puisque vivre c’est faire face, nous avons décidé de faire face. Heureusement, la solidarité internationale s’est révélée extraordinaire. Beaucoup d’Haïtiens lui doivent leur survie. Ça a été magnifique. Des gens de tous les pays sont venus nous aider. Je ne l’oublierai jamais.
J’ai croisé des Belges, des Russes, des Suisses, des Français, des êtres humains admirables qui sous mes yeux sont devenus des Haïtiens. Je le répète : je ne l’oublierai jamais. J’ai les larmes aux yeux quand j’y repense. Il y a eu des problèmes bien sûr pour distribuer l’aide, mais les réfugiés sous les tentes ont quand même pu recevoir de l’eau ou des soins, grâce au dévouement de tous.
Le rôle des Haïtiens
Les Haïtiens aussi ont été formidables, vous savez. J’ai vu des hôpitaux privés mettre leurs stocks de médicaments à disposition des malades. Je sais qu’un hôpital a même fait faillite à cause de ça. La conférence organisée à New York pour la reconstruction d’Haïti a débloqué une aide de plus de dix milliards. Mais on ne peut pas demander à ceux qui promettent de l’argent de débourser tout de suite. Alors l’aide arrive progressivement, mais elle arrive.
Un Etat défaillant
Le problème, c’est que l’Etat haïtien, comme l’a montré la dernière supercherie électorale, est un Etat défaillant. Il n’est pas en mesure d’assurer une gestion pérenne de cette aide. Les gens au pouvoir sont accusés – souvent à raison – de corruption, de gabegie.
Aujourd’hui, ils se heurtent à une population qui en a assez, qui ne supporte plus cette situation. Il va se passer des choses, je le sens. La récente catastrophe électorale n’a rien arrangé. Je crains que la communauté internationale ne nous coupe les crédits. Mais elle participe aussi au maintien du pouvoir en place.
Vous savez, les Haïtiens ont l’habitude de se battre, nous sommes un peuple combatif habitué à gérer un quotidien difficile et je pense que les choses vont évoluer. Ça risque d’être violent mais la population ne veut plus se laisser faire. L’explosion sociale couve'
Propos recueillis par Pierre Siankowski
– Envoyé à l'aide de la barre d'outils Google"
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