: "Du 10 au 31 décembre, le Festival mondial des arts nègres, qui se tient à Dakar, met à l’honneur le Brésil, le plus africain des pays d’Amérique latine.
Samba contre mbalax, moqueca contre thiep bou diem, et capoeira contre lutte sénégalaise. Quelque 200 artistes brésiliens débarquent à Dakar du 10 au 31 décembre pour le Festival mondial des arts nègres (Fesman), mais il ne faudra pas s’attendre à un choc culturel. Plutôt à des retrouvailles. Car le Brésil, invité d’honneur du Fesman, est bien le plus africain des pays d’Amérique latine. Sur ses 192 millions d’habitants, 50 % se déclarent « noirs » (pretos) ou « métis » (pardos). Ce qui en fait le deuxième État noir au monde après le Nigeria.
Du XVe au XIXe siècle, sur les 11 à 15 millions d’Africains qui ont traversé l’Atlantique, victimes de la traite négrière, environ trois millions et demi ont débarqué au Brésil. « Les effets de la déportation de ces esclaves sur la formation de la nation, de l’État et de la culture brésilienne ont été immenses », note Maurício Pestana, dessinateur populaire, auteur du Manuel de survie du Noir au Brésil et président du conseil éditorial du magazine Raça, la première revue noire du pays. « Même si cela a été mis sous le boisseau pendant des siècles, l’héritage africain imprègne encore notre pays. Que ce soit dans la musique, la cuisine, les arts, la religion, notamment avec le candomblé [mélange de catholicisme et de croyances africaines, NDLR]… Les gens se sont longtemps voilé la face, refusant d’accepter le métissage afro-brésilien. Mais en allant à Dakar, nous allons mettre cela en évidence. » Le cartooniste renommé fait en effet partie du voyage au Sénégal. Car, aux côtés des artistes (musique, danse, théâtre, arts plastiques, mode…), des intellectuels font aussi le déplacement, comme Júlio César de Tavares, docteur en anthropologie de l’université fédérale Fluminense, ou encore Zélia Amador de Deus, l’une des fondatrices du mouvement noir au Brésil. Parmi eux, aussi, le responsable de l’Association des entrepreneurs afro-brésiliens, João Bosco de Oliveira Borba, très actif et impliqué dans la lutte contre la discrimination au travail.
Dans la lignée du black power
Les artistes ont été sélectionnés par la Fondation culturelle Palmares (Zumbi dos Palmares est une des figures de la résistance des esclaves), une institution qui se charge de la mémoire et de la promotion de l’héritage africain, et les ministères brésiliens de la Culture et des Affaires étrangères. « La commission a cherché à programmer des artistes qui seraient capables de plaire au public et de le divertir, mais aussi de montrer la vaste gamme d’influences africaines dans les différentes pratiques artistiques brésiliennes », explique l’ambassadrice du Brésil au Sénégal, Maria Elisa Teófilo de Luna. Ainsi, le chanteur Gilberto Gil (qui fut le premier ministre de la Culture noir, nommé par Lula lors de son premier mandat), le virtuose du bandolim (petite guitare utilisée dans un genre musical nommé choro) Hamilton de Holanda ou encore le Bahianais Carlinhos Brown, chantre du mouvement musical noir axé (prononcer « aché »), qui veut dire « lumière » en yorouba, et qui mêle différents styles afro-caribéens (reggae, calypso…). Le 31 décembre est prévu le concert d’Ilê Aiyê (« maison de la vie » en yorouba), un groupe mythique créé en 1974 et qui a révolutionné la musique bahianaise en inventant le « samba-reggae ». À l’époque, la démarche a fait grand bruit, car l’idée était de former un groupe 100 % noir. Une discrimination positive avant l’heure dont le but était surtout d’affirmer l’appartenance à la culture noire et de s’en montrer fier. Dans la lignée du Black Power, les Afro-Brésiliens cherchaient alors à faire émerger leur culture. Aujourd’hui encore, la formation, qui revendique 3 000 adhérents, accepte uniquement des Noirs. Elle s’implique aussi dans la vie des Afro-Brésiliens, couche la plus défavorisée et encore largement discriminée, en donnant des cours d’alphabétisation, de danse, de couture ou de percussions.
Hérité des esclaves
Le Fesman sera aussi l’occasion de redécouvrir des genres typiquement afro-brésiliens comme le maracatu ou la capoeira. Le maracatu, hérité des esclaves (notamment d’un rituel en hommage au roi du Kongo), combine musique, danses en costumes, chants et défilés lors des fêtes du Maracatu rural, dans l’État du Pernambouc. Quant à la capoeira, art martial afro-brésilien, elle n’a jamais été aussi vivace qu’aujourd’hui, au Brésil mais aussi dans certains pays africains, comme l’Angola. On peut encore noter la présence du Ballet folklorique de Bahia – la ville du Nordeste où l’influence africaine est le plus marquée – et de l’école de samba Império Serrano de Rio de Janeiro. Côté mode, Goya Lopes, styliste bahianaise, présentera ses modèles basés sur des dessins d’orixás (divinités africaines présentes dans le candomblé) ; et côté cinéma, l’acteur et metteur en scène Zózimo Bubul, icône des années 1960 et premier comédien noir à avoir décroché un rôle dans une telenovela, viendra présenter son documentaire, La Renaissance africaine. Il vient tout juste d’organiser la quatrième édition (en novembre) de la Rencontre du cinéma noir Afrique-Brésil-Caraïbe, à Rio, qui a accueilli 52 réalisateurs du continent.
« Le festival représente un moment important pour affirmer la force et la vitalité de la culture africaine. L’héritage africain est ineffaçable et nous en sommes fiers, insiste l’ambassadrice. Depuis quelques années, le Brésil et l’Afrique se rapprochent davantage. Et nous espérons faire passer ce message : de l’autre côté de l’Atlantique, la culture africaine subsiste, recréée par de nouvelles influences, mais sans perdre son caractère unique et ancestral. » Les échanges aussi se font plus intenses entre le Brésil et l’Afrique depuis le double mandat du président Lula. Le projet Racines a été lancé en 2009 par Dakar et Brasília pour promouvoir la danse et la musique afro-brésilienne. Le trio musical Les frères Guissé et le danseur Tchebé Bertrand Saky de l’École des sables (fondée à 50 km de Dakar par la grande danseuse Germaine Acogny) se sont ainsi rendus à Nova Olinda, dans l’État du Ceará, pour animer des ateliers de musique et de danse. La danseuse Juliana Longuinho et les musiciens Jefferson Gonçalves et Kleber Dias ont fait de même au Sénégal. Et les échanges se sont poursuivis tout au long de 2010.
Au niveau privé, le projet « Recife-Dakar », du réalisateur Nilton Pereira, de la chaîne de télévision Viva de Olinda, a permis à deux documentaires vidéo d’être diffusés simultanément au Pernambouc et par la Radiotélévision sénégalaise (RTS). Dans les vidéos, des musiciens et des danseurs des deux côtés de l’Atlantique échangent des messages et parlent de leur socle culturel commun. Comme le note Nilton Pereira, Dakar est la ville la plus à l’ouest du continent africain et la plus proche de l’Amérique du Sud ; Recife est une des villes les plus à l’est d’Amérique du Sud et les plus proches de l’Afrique. Un vol direct mettrait trois heures trente pour les relier. Mais les artistes, brésiliens et africains, n’ont pas attendu l’ouverture d’une ligne aérienne pour dialoguer.
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