jeudi 20 janvier 2011

Les plaintes se multiplient contre Duvalier


Plusieurs victimes du régime dictatorial de Jean-Claude Duvalier exigent que justice soit rendue à qui justice est due. Ils étaient quatre anciens prisonniers ce mercredi à déposer formellement plainte au Parquet de Port-au-Prince contre Duvalier pour exactions et sévices commis sur eux durant son règne. Michelle Montas, Alix Fils-Aimé, Claude Rosiers et Nicole Magloire ont tous connu la prison. La plupart d'entre eux ont été torturés, puis exilés. Aujourd'hui, ils demandent des comptes.

Haïti: « Aujourd'hui encore, je ne sais pas pourquoi j'ai été arrêtée, emprisonnée puis exilée loin de mon pays et de ceux que j'aimais. C'est donc un devoir de mémoire que de porter plainte contre ce régime pour tous ses crimes », a témoigné Nicole Magloire. Plus de 25 ans après, elle se questionne toujours sur les raisons qui ont conduit à son arrestation et à sa déportation sous le régime de Jean-Claude Duvalier. 

En effet, sans mandat, le 28 novembre 1980, Nicole Magloire a été arrachée à sa famille par les hommes de Jean-Claude Duvalier. « Arrivé à la prison, ils m'ont dit : '' Nous savons ce que tu fais''. Il ne m'ont rien dit de plus », se souvient-elle. Après environ cinq jours d'emprisonnement, Nicole a été exilée au Canada. 

« Son retour au pays m'a profondément choquée. Je réclame ce que la loi dit pour quelqu'un qui a commis des crimes contre l'humanité : la justice », a-t-elle réclamé dans une interview accordée au Nouvelliste.


11 longues années en prison

Claude Rosiers aura exactement 79 ans dans quelques jours. Il a passé 11 années de sa vie en prison. De 1966 à 1977, il a arpenté toutes les tristement célèbres prisons du pays sur le régime des Duvalier. « J'ai connu les pires tourments en prison. Des fois, je me demande est-ce que Jean-Claude n'était pas plus criminel que son père. François Duvalier avait la réputation d'exécuter ses adversaires en plein jour. Les gens pouvaient plus ou moins voir ses crimes. Par contre, Jean-Claude, lui, il tuait de façon subtile. J'ai vu des centaines de prisonniers mourir au Fort-Dimanche. ''J'ai échappé belle à la mort'', raconte au Nouvelliste Claude Rosiers, qui, aujourd'hui, réclame justice.

Selon le rescapé du régime infernal des Duvalier, en prison, la ration alimentaire suffit pour tuer le prisonnier. Un petit morceau de pain avec une tasse de café qui ne porte que le nom le matin. Dans l'après-midi, on leur servait une espèce de nourriture difficile à décrire. 

Claude Rosiers a reçu la nouvelle du retour de Jean-Claude Duvalier dans le pays avec un sentiment d'indignation. « En apprenant la nouvelle, la première chose qui m'est passée par la tête, c'était de trouver une arme, l'intercepter en chemin et lui tirer dessus. Je me suis vite repris », a-t-il dit. Le vieil homme espère vivement que la justice fasse son travail. C'est la raison pour laquelle il a été ce mercredi porter plainte au Parquet de Port-au-Prince contre Baby Doc.


Alix Fils-Aimé : Les jeunes doivent savoir ce qui s'était passé 

En plus de porter plainte contre Jean-Claude Duvalier, Alix Fils-Aimé veut également que tous les jeunes sachent ce qui s'était passé sous ce régime dictatorial. La vie au Fort-Dimanche, les sévices corporels, les arrestations, les exécutions, la déportation... tout et tout. « Duvalier a des comptes à rendre à moi et aux familles haïtiennes », a martelé le président de la Commission nationale de désarmement, démantèlement et réinsertion (CNDDR).
Pour avoir appris aux paysans comment cultiver les légumes et le café, Alix Fils-Aimé a passé 45 jours derrière les barreaux au Fort-Dimanche et 16 mois en isolation totale aux Casernes Dessalines. Le fameux Ti Boulé l'avait accusé comme quelqu'un qui déstabilisait le pouvoir de Duvalier. Les interviews que j'ai réalisées au cours de cette semaine avec d'anciens prisonniers de Fort-Dimanche m'ont permis rapidement de comprendre que pendant 45 jours dans cette prison, la victime était entre la vie et la mort. « Vous ne savez pas ce que c'est que la prison à Fort-Dimanche. Vous vivez dans des conditions infernales. Nous avions la grattelle, le karang... », a raconté M. Fils-Aimé au Nouvelliste. 

« Dans la petite cellule où j'étais au Fort-Dimanche, lorsqu'un prisonnier décédait, on tardait à le déclarer aux responsables, question d'avoir sa ration alimentaire », se souvient-il. Une situation inimaginable. Les prisonniers gardent avec eux un cadavre rien que pour avoir un supplément de nourriture. C'est tout simplement horrible. « Je me souviens des noms de certains de mes amis en prison : Anous, André... tous mort », nous dit Alix Fils-Aimé. 

« Je ne cherche aucune revanche personnelle. D'ailleurs, mes petits-fils jouent aujourd'hui avec les petits-fils de ceux qui jadis, furent mes bourreaux. Cependant, il faut que justice soit faite aux Haïtiens. Il faut que justice soit faite aux victimes », a-t-il réclamé. 

Les autorités du pays ont traité Jean-Claude Duvalier avec dignité. Jamais l'homme n'aurait accordé un tel traitement à ceux qu'il considérait comme ses adversaires. 

Michelle Montas ne transige pas 

Elle fut la première cette semaine à annoncer au Nouvelliste qu'elle allait porter plainte contre Jean-Claude Duvalier. « Notre média a été détruit sur ordre de Jean-Claude Duvalier le 28 novembre 1980. Une dizaine de mes collaborateurs ont été arrêtés à Radio Haïti. Certains d'entre eux ont passé plus d'un mois en prison, d'autres ont été torturés. Je peux aussi parler au nom de ceux qui, le 28 novembre 1980, ont été arrêtés arbitrairement ou assassinés comme, entre autres, Ezechiel Abellard, Pierre Clitandre, Marcus Garcia, Elsie Etheart, Jean-Robert Hérard, Richard Brisson, et la liste est longue. » Pour ces raisons et bien d'autres, Michelle Montas a déposé une plainte au Parquet contre Baby Doc.

L'ancien président dictateur Jean-Claude Duvalier a été auditionné mardi matin par le commissaire du gouvernement Aristidas Auguste à l'hôtel Karibe Convention Center où il réside depuis son arrivée dimanche dans le pays, avant d'être conduit presque deux heures après au parquet du Tribunal de première instance de Port-au-Prince pour « communication du dossier ». Il y a suivi son audition durant toute la journée. Accusé de corruption, de concussions de fonctionnaires, de détournement de fonds, d'associations de malfaiteurs, M. Duvalier est cependant retourné chez lui (hôtel Karibe) en homme libre, mais il devra rester à la disposition de la justice haïtienne et ne peut pas laisser le pays sans la
permission des autorités judiciaires haïtiennes.

Robenson Geffrard

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