mardi 3 mai 2011

L’économie dans la décennie Bush-Ben Laden



Les « années Ben Laden » ou « Bush-Laden » ont donné une impulsion remarquable aux dépenses militaires et ont renforcé le poids du complexe militaro-industriel. La sous-traitance de la guerre a permis également à des entreprises privées de faire de juteuses affaires. Un petit tour d’horizon économique sur une décennie pas perdue pour tout le monde.

La mort de Oussama Ben Laden ressemble à une fin de mission pour un homme qui au cours d’une vie d’aventurier a plutôt rendu service à ceux qu’il croyait combattre. Ce riche saoudien a été l’un des hommes clés du djihadisme antisoviétique en Afghanistan dans les années 1980, au cœur des réseaux de recrutement de combattants anti-communistes, il a donné de sa personne en participant directement à la défaite de l’armée rouge, contrainte au départ en septembre 1989. L’aide occidentale et saoudienne aux moudjahidines musulmans - plusieurs milliards de dollars par an - et le prestige médiatique ont transformé la piétaille de l’anticommunisme en idéologues d’une interprétation hallucinée de l’Islam. Déçus par le cours d’une histoire ou une fois leur but obtenu, les américains et les saoudiens ont renvoyé sans plus de formes les « freedom fighters » antisoviétiques, Ben Laden et ses desperados, regroupés dans ce qu’il est convenu d’appeler Al Qaeda, se sont engagés dans une confrontation terroriste contre les Etats-Unis qui a culminé dans les hyper-attentats de New York, le 11 septembre 2001. Le spectacle d’apocalypse avait frappé d’horreur l’opinion mondiale et fournie aux néoconservateurs au pouvoir un prétexte à la mise en œuvre d’une politique belliciste dont les premières victimes ont été les populations irakiennes et afghanes.

Explosion des dépenses militaires

Les dépenses militaires américaines en augmentation forte depuis la seconde moitié des années 1990 ont connu une impulsion extraordinaire. De 15% des dépenses publiques en 2001, la part du budget militaire a atteint plus de 21% à la fin de la décennie, passant de 329 milliards en 2002 à 661 milliards de dollars en 2009. De ce point de vue, Al Qaeda a directement contribué à légitimer des dépenses financées par le déficit public des Etats-Unis, à renforcer considérablement le complexe militaro-industriel américain et élargi son domaine d’intervention à la sécurité, au sens le plus général du terme. Il suffit de se remémorer les discours de G.W. Bush et ses références quasi-incantatoires à Al Qaïda pour mesurer les services rendus aux néoconservateurs et à leur mise sous tutelle militaire de la planète. Le terrorisme islamiste global a servi de couverture très commode aux guerres économiques. Ben Laden avait été associé, contre l’évidence, à Saddam Hussein pour justifier l’invasion de l’Irak. Pourtant la vérité des intentions est admise, y compris par des républicains alliés des néoconservateurs. "Cela m’attriste qu’il soit politiquement incorrect de reconnaître ce que chacun sait : la guerre en Irak est largement une question de pétrole" écrivait en 2007 Alan Greenspan, le patron de la Federal Reserve sous G.W. Bush, dans ses mémoires, The Age of Turbulences : Adventures in a new world (L’Age des turbulences : Aventures dans un nouveau monde).

Des acteurs économiques d’un type particulier

Les guerres des néoconservateurs ont ouvert de nouvelles perspectives à des acteurs économiques d’un type particulier. En Irak et en Afghanistan, la sous-traitance de la guerre est devenue une très importante source de revenus pour des sociétés comme Blackwater, Executive Outcomes, Kroll, Control Risks, Olive Security, Wackenhut qui ont obtenu de juteuses parts de marchés. L’effet Ben Laden a boosté les activités de ce secteur. Une firme comme CACI, qui emploie près de 10 000 personnes et possède une centaine de bureaux aux Etats-Unis et en Europe, a présenté en 2003 un chiffre d’affaires de 840 millions de dollars, dont les deux tiers concernent des contrats avec le Pentagone. Pour la société Titan, qui reconnait un effectif du même ordre, le montant des opérations au cours de la même année s’est élevé à 1,8 milliard de dollars. Kellog Brown and Root qui avait été chargé de la logistique militaire de l’armée américaine dans les Balkans pour un montant évalué à 2 milliards de dollars, fournit les mêmes prestations en Afghanistan et en Irak selon des contrats de l’ordre de 4 milliards de dollars. En 2004, les entreprises privées en contrat de sous-traitance avec le Pentagone ont dégagé un chiffre d’affaires astronomique de l’ordre de 100 milliards de dollars.

« L’avantage comparatif de la supériorité militaire »

La guerre « éternelle » contre le terrorisme a un sous-jacent économique particulièrement significatif. Cette guerre permet à l’économie américaine en perte de vitesse d’utiliser l’avantage comparatif premier des Etats-Unis : leur écrasante supériorité militaire. Mais au fil du temps et des crises, Ben Laden a perdu son statut d’épouvantail, l’effet repoussoir a fait long feu. Les révolutions arabes ont montré, s’il en était encore besoin, que les discours nihilistes n’ont aucune substance politique réelle dans le monde arabo-musulman. Au désespoir apolitique des djihadistes, les populations ont nettement opté pour la lutte politique ; le printemps des peuples n’a strictement rien à voir avec les délires d’illuminés fabriqués par les services secrets saoudiens. La guerre éternelle contre le terrorisme ne paye plus ; elle est remplacée avantageusement par le droit d’ingérence pour justifier les expéditions guerrières des marchés armés. Loin de Tora Bora et de la dure existence de maquisard qu’on lui prêtait, Oussama Ben Laden était « planqué », depuis des années semble-t-il, dans une résidence forteresse dans un quartier habité par des officiers généraux de réserve de l’armée pakistanaise. Sa retraite est terminée, Ben Laden a fait son temps : le dernier service qu’il pouvait rendre était de disparaitre, définitivement.

Said Mekki

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