Pourquoi aller voir un tel film ? Déjà, parce qu’il est réalisé par un Noir, que les deux comédiens principaux sont Noirs et, surtout, pour écrire cet article. Car après avoir vu la bande-annonce, difficile de trouver des raisons de s’infliger ça.
Je me dis d’ailleurs que c’est bien parce que je suis Arabe que je peux me permettre d’y aller. Car comment expliquer que j’aille voir dès sa sortie un tel navet alors que me suis bien gardé de voir la plupart des films de la bougnoulerie intégrationniste comme Indigènes, L’italien, Il reste du jambon ou encore Aïcha (il faut dire que je suis allé voir Le nom des gens, qui surpasse de très loin les films qui viennent d’être cités). Mon pote Antillais qui m’accompagnait et à qui j’avais caché jusqu’au dernier moment le nom du film, n’a tenu que 15 minutes. Et encore, c’était pour me faire plaisir vu que c’est moi qui avais payé la place...
Comme je sais qu’en matière de clichés, j’aurais de quoi faire, je m’installe et en bon élève, je sors papier-stylo pour prendre consciencieusement mes notes, ce qui ne manque pas d’attirer l’attention de mon voisin de droite, qui m’avoue être journaliste à Respect Mag, mais de ça, il en sera question ultérieurement. « Si vous avez un problème avec la qualité, essayez la quantité » disait Staline. Le réalisateur de Case départ, Fabrice Eboué, l’a bien compris.
Le scénario
Même si la bande-annonce dit presque tout, le diable réside néanmoins dans tous les petits détails qui parsèment le film. L’histoire est très simple, c’est celle de deux frères, Joël (Thomas Ngijol) et Régis (Fabrice Eboué). Le premier est une caricature grossière de gars de cité : il sort de trois mois de prison pour avoir arraché un sac à une vieille. En plus d’être un lâche et un mauvais père, il est prétentieux, sexiste, homophobe et fainéant. Sa devise pourrait être Nique sa mère la réinsertion et il parle à tort et à travers du racisme car pour lui, tout est « de la faute des Blancs ». C’est ce qu’il répètera bêtement tout au long du film, un peu comme Bahia Benmahmoud (Sarah Forestier) répétait tout aussi bêtement dans Le nom des gens que « la gauche, c’est bien », c’est-à-dire jamais donner un début d’explication ni formuler un discours un peu construit sur la question. Pour couronner le tout, notre Joël s’est converti à l’islam en prison, un islam qui se résume d’ailleurs à « allahou akbar », dit ici ou là. Bref, même sa spiritualité fait de la peine. Son demi-frère, Régis, c’est le parfait intégré. En plus d’avoir fait les Scouts de France et monté sa boite de compta, il est conseiller municipal auprès d’un maire qui rentre constamment dans son bureau pour lui lâcher deux trois vannes racistes et lui pincer la joue, exactement comme on pinçait la joue à Amine, l’ « Auvergnat » à l’université d’été de l’UMP. Quand une femme camerounaise venue parler de son dossier logement demande à Régis un peu d’aide, au nom d’une « solidarité africaine », il lui rappelle sèchement qu’il n’est pas Africain mais originaire de Normandie. Evidemment, Régis est marié à une Blanche, qui campe le rôle de la Blanche antiraciste, qui tempère constamment les envolées xénophobes de son mari.
Les deux frères, qui s’étaient perdus de vu, vont se retrouver aux Antilles où ils sont appelés pour venir au chevet de leur père mourant. Celui-ci, en plus d’avoir totalement négligé l’éducation de ses fils, a été toute sa vie un séducteur invétéré, ce qu’atteste la présence à son chevet de ses très nombreuses filles. Son nom de famille le prédestinait tout naturellement à cela : Monsieur Grosdésir. Le film fait donc dans la finesse (je crois d’ailleurs que c’est à ce moment-là que mon pote s’est barré). En guise d’héritage, cette caricature raciste de père antillais lègue à ses fils un « trésor » : l’acte officiel qui a affranchi leurs ancêtres et qui se transmet, dans la famille, de génération en génération. Les fils vont se montrer plutôt ingrats et pas très réceptifs à la portée symbolique de ce document. Ils auraient nettement préféré de l’argent ou un titre de propriété. Mais une vieille tante, qui goûte fort peu cette ingratitude, va leur jeter un sort (normal pour une Antillaise) et les projeter en 1780. Et c’est là que les problèmes commencent pour nos deux frères.
Les Antilles, c’était pas mieux avant
On le comprend assez vite, tout le ressort comique du film repose sur le décalage entre les personnages et l’époque où ils évoluent, exactement comme dans Les Visiteurs. Les deux frères se font immédiatement capturer par des marchands d’esclaves, bien qu’ils ne comprennent pas tout de suite de quoi il retourne. Joël filme donc leur acheminement avec son portable et est persuadé qu’il s’agit de « flics en civils déguisés en clochards », tandis que Régis menace ses ravisseurs de « faire un rapport auprès d’Amnesty International ». Les deux frères sont vendus et rebaptisés Gédéon (Joël) et Gaspar (Régis). Ce dernier, métis, est tout de suite rangé parmi les Mulâtres, ce qui lui vaut d’être un esclave d’intérieur. Gédéon sera quant à lui envoyé couper de la canne avec les autres esclaves. Il faut ici souligner que l’on verra très rarement les esclaves travailler et qu’il y a une invisibilisation quasi-totale de l’exploitation proprement dite. Les esclaves sont montrés la plupart du temps dans leurs cases ou durant leurs « pauses ». Ils ne sont ainsi jamais malades ou épuisés et tout se passe presque comme si nous étions dans une usine dans laquelle les tâches sont bien réparties et la hiérarchie scrupuleusement respectée. L’esclavage en devient presque sympathique : on voit ainsi les esclaves faire la fête (entre eux, bien sur), danser et boire du rhum, pendant que les Blancs font eux aussi la fête au château. Bref, pour le film, l’esclavage est surtout synonyme de séparation, pas d’asservissement.
Les Blancs de l’époque sont horribles (sauf leurs enfants, bien sur)
Si les Noirs du film sont des caricatures, il en va tout autant des Blancs. Le propriétaire du domaine, M. Jourdain, ainsi que tous ceux qui l’entourent sont laids, gras, antipathiques et atrocement racistes. Ils débitent à longueur de journée des clichés sur les Noirs. Bref, ces Blancs sont irrécupérables et tout est fait pour nous montrer le contraste qui existe entre l’époque de l’esclavage et la notre, dans laquelle Blancs et Noirs vivent en harmonie et peuvent même se marier (c’est le cas de Régis). Malgré tout, ces Blancs ne sont jamais dépeints comme spécialement cruels ou méchants. Ils se limitent à occuper leurs rôles de Blancs et on ne les voit jamais maltraiter ou abuser d’un esclave. A chaque fois qu’un esclave sera fouetté, ce sera uniquement parce qu’il aura tenté de s’enfuir.
Mais si les personnages Blancs semblent irrécupérables, ils le sont néanmoins à titre individuel, car le fils de M. Jourdain - Victor - est là pour nous rappeler que les Blancs peuvent être bons et vont d’ailleurs le devenir (comment ? C’est un mystère). L’humanité des Blancs et leur rédemption future est donc incarnée par cet enfant, qui se propose, par exemple, d’aller donner les restes de son repas aux esclaves ou qui ne dit rien lorsqu’il voit Gédéon et Gaspar s’enfuir. Bref, l’enfant est bon et Gaspar lui dira même : « T’es l’avenir ! »
L’avenir du Noir n’est donc pas le Noir lui-même, mais le Blanc. Fanon aurait apprécié !
A côté de ces racistes indécrottables et de cet enfant tolérant, se trouve une troisième figure du Blanc, celle du contremaitre, incarnée dans le film par M. Henri. Lui, ce pourrait être l’équivalent aujourd’hui du maton ou du flic, c’est-à-dire celui qui est constamment au contact des Noirs et les gère au quotidien (les autres Blancs ne manquent jamais l’occasion de lui rappeler à quel point « il sent le Nègre »). Comme Pascal Sevran, M. Henri est obsédé par « la bite des Noirs », dont il parle constamment, rappelant même que « ce qui compte, ce n’est pas nécessairement la taille ». Un cliché grossier de plus dans un film, qui décidément les enfile comme des perles.
La mémoire, à consommer avec modération !
Fabrice Eboué a d’ailleurs du sentir venir le vent de la critique « bienpensante », qui n’aurait pas manqué de traiter le film et son réalisateur de « communautariste ». Pour bien montrer qu’il n’y en a pas que pour les Noirs et leurs « souffrances », on voit donc arriver à l’écran Isaac, marchand juif au nez très crochu, qui arrive à extorquer 50 Ecus à M. Jourdain, ce qui lui vaudra d’être traité par ce dernier (en aparté) de « sale Juif ». C’est d’ailleurs dans la charrette d’Isaac que Gaspar et Gédéon vont s’enfuir. Il leur offrira même le couvert, une fois arrivés chez lui. Isaac, aujourd’hui, c’est celui qui vient en aide aux sans-papiers. Quand Gaspar lui demande pourquoi il fait tout cela, Isaac lui répond tout simplement « Parce que je suis Juif ! ». Pour Isaac, Il est donc important de « se serrer les coudes » car il existe à travers l’histoire une correspondance évidente entre les souffrances endurées par les Juifs et celles endurées par les Noirs. S’amorce alors un pseudo débat sur la question de savoir qui des Juifs ou des Noirs a le plus souffert. Il s’agit encore ici d’une mise en scène classique (et très grossière) de la « concurrence mémorielle » où chaque représentant d’un groupe qui en a bavé essaie de montrer à quel point les souffrances subies par ce groupe sont sans commune mesure avec celles subies par les autres groupes. Bref, sur cette question, comme sur les autres, on est tombé si bas, que pour en parler faudrait qu’j’me fasse mal au dos. « Putain quel film de bâtard ! »
Les Nègres Marrons : des sauvages extrémistes
La première fois que nos deux aventuriers tentent de s’enfuir de nuit de la propriété de M. Jourdain, ils rencontrent un mystérieux personnage dans la forêt, le visage peint en blanc et l’expression menaçante. Les deux compères font rapidement demi-tour et retournent sagement à leur case. Mieux vaut couper de la canne que de voir la gueule enfarinée de ce type. On ne le sait pas encore à ce moment du film, mais le personnage ténébreux rencontré n’est autre que le chef des Marrons qui vivent non loin de la propriété. C’est donc un comble que ce soit un Nègre Marron qui dissuade, dans un premier temps, les deux frères de s’enfuir. Mais le paradoxe n’est qu’apparent et le film insiste sur ce point : toute tentative de trouver une solution collective est illusoire, seule la débrouille individuelle compte. Les Nègres Marrons apparaissent collectivement une seule fois dans le film. On les voit tous réunis devant leur chef charismatique, qui harangue ses troupes comme un syndicaliste de la CGT : « Est-ce que vous êtes prêts à libérer tous vos frères ? Est-ce que vous êtes prêts à massacrer tous les Blancs ? » Encore une fois, on ne fait pas dans la finesse : libération des Noirs et massacre des Blancs vont de pair. Le film réussit donc à faire à la fois l’éloge de l’individualisme -l’affranchissement des esclaves ne peut venir que des efforts personnels et individuels de quelques uns - ainsi que la critique du communautarisme - l’organisation autonome des esclaves est quoiqu’il arrive outrancière. L’unanimisme et l’extrémisme sont au cœur de la logique des Nègres Marrons et ils n’hésiteront pas à s’attaquer à leurs propres frères Gaspar et Gédéon, lorsque ces derniers exprimeront quelque réticence au fait de « massacrer les Blancs ». Pour aujourd’hui, le message du film est on ne peut plus clair : l’organisation autonome des Noirs, Arabes, Musulmans et Asiatiques est, au mieux, du communautarisme, au pire, de l’extrémisme. S’engager politiquement, c’est inutile. S’engager dans une organisation non-Blanche, c’est dangereux. Résultat : chacun pour sa gueule.
Liberté, Egalité, ASSEDIC
Il est bel et bien fini le temps lointain de l’esclavage et celui, plus proche, des colonies. C’est en substance le message qu’entend faire passer le film. L’esclavage, ce sont les Ténèbres, un temps préhistorique avant l’avènement des Lumières. Les deux compères le disent d’ailleurs explicitement dans un dialogue qui pourrait résumer à lui seul le film. Ainsi, à chaque évocation d’un aspect de l’histoire « glorieuse » de la France par Gaspar l’intégré, Gédéon la racaille répond par un épisode plus sombre de l’histoire hexagonale. La France est ainsi le berceau de la « Révolution », des « droits de l’homme » et du « suffrage universel » ce à quoi il est répondu qu’elle est aussi celui de la « guerre d’Algérie » et de la « colonisation ». Mais quand Gaspar dira que la France, c’est aussi les ASSEDIC, Gédéon ne pourra que s’avouer vaincu et s’incliner. A l’époque de l’esclavage, il y avait du racisme, certes, mais tout cela est fini puisqu’aujourd’hui les Noirs et les Arabes ne sont plus exploités et sont même payés à ne rien foutre grâce aux ASSEDIC et au RSA. Elle est belle la quenelle !
Eloge de l’intégration... et du racisme
On ne le répètera jamais assez : s’intégrer à une société raciste, signifie intégrer les valeurs dominantes de cette société et donc intégrer le racisme lui-même. On le voit d’ailleurs parfaitement dans le parcours de Régis (Gaspar) ainsi que dans l’éloge de l’intégration qu’il fait tout au long du film. C’est d’ailleurs ce que laisse échapper le film à son corps défendant : le plus intégré des deux, celui qui a constamment à la bouche la devise de la République, et bien ce type-là est raciste. On le voit s’en prendre au début du film à un « Roumain » qui nettoie les pare-brises, faire des remarques racistes à une Camerounaise ou encore se moquer de la « consanguinité des ch’tis ». Il incarne donc parfaitement la figure du Noir civilisé : alors que Joël (Gédéon) est homophobe, lui, ne l’est pas. Il a réussi socialement, a un bon niveau d’instruction, joue un peu du piano et adore le fromage. Au moment d’être vendu au marché aux esclaves, il s’écriera « Je suis un citoyen français, vivant dans une République française. J’ai épousé une Blanche ! » A la fin du film, il avouera tout de même avoir subi quelques moqueries à l’école primaire mais s’être néanmoins accroché pour s’intégrer. Émouvant.
C’est d’ailleurs au cours de cette même scène pathétique et lacrymale que Joël, qui campait jusque là la figure du gars de cité homophobe, sexiste et fraichement converti à l’islam, avoue à son frère qu’il aurait lui aussi aimé apprendre à jouer du piano, aller aux Scouts de France ou encore avoir un « job respectable ». Il ira même jusqu’à avouer avoir partagé quelques petits moments d’intimité avec son codétenu quand il était au placard ! C’est donc par défaut qu’il joue les têtes brulées car il aspire lui aussi à rentrer dans le rang. Niveau pédagogie, nous voilà bien servis. Le pire, c’est qu’une fois revenu à l’époque contemporaine, Joël s’empressera d’aller se faire exploiter en taffant dans le bâtiment (on peut imaginer que c’est chez Bouygues. On le voit signer son CDD (un CDI, c’était pas crédible) assorti d’une période d’essai de deux mois. Joël, Comme le dirait notre futur ministre de la culture, Abdel Malik, fera comme « le père de Majid, qui a travaillé toutes ces années avec ses mains dehors, qu’il neige, qu’il vente ou qu’il fasse soleil sans jamais se plaindre ». Ca, c’est du (très) lourd !
Du Jamel Comedy Club à Case départ : faire intégrer le racisme aux indigènes
Ce film arrive donc, on l’a dit, après de nombreux autres qui prennent pour thème central la « question identitaire », le racisme et l’intégration. il arrive surtout après le Jamel Comedy Club - dont nos deux comédiens sont d’ailleurs issus - et qui a bien travaillé le terrain pour faire intégrer le racisme aux indigènes, c’est-à-dire aux Noirs, Arabes et Asiatiques. Dans le Jamel Comedy Club, tous les comiques campent des caricatures de Noirs, d’Arabes et d’Asiatiques, qui passent leur temps à faire rire un public plus ou moins blanc sur les comportements de ces mêmes Noirs, Arabes ou Asiatiques. Le Jamel Comedy Club, c’est l’adaptation française du « minstrel show », ces spectacles racistes américains où les Noirs venaient se « moquer » d’eux-mêmes pour divertir un public blanc. Sauf qu’aujourd’hui, le public est malheureusement composé, en partie, de descendants d’immigrés coloniaux, qui viennent rire de la caricature d’eux-mêmes qu’on leur offre sur scène. La salle où était projeté Case départ était d’ailleurs remplie majoritairement de Noirs, assez jeunes pour la plupart, et l’accueil fait au film fut très bon. Des applaudissements sont même venus accompagner la fin de la projection.
C’est donc navré que je suis sorti de la salle, en voyant ces visages souriants de Noirs et d’Arabes venus célébrer leur propre humiliation. Je n’étais malheureusement pas encore au bout de mes peines, puisque le journaliste de Respect Mag assis à côté de moi m’a demandé les raisons pour lesquelles mon pote s’était barré et ce que j’avais pensé du film. Je lui ai donc dit tout le bien que je pensais de ce navet raciste, ce qu’il a résumé de façon grotesque par « Je voulais voir l’antiracisme français comme on le voit. Il y avait un film qui ressemblait à celui-ci qui s’appelait Le nom des gens, sorti il y a 6 mois. Et c’est quasiment la même mécanique. C’est un film qui parle de nous, qui parle d’esclavage, des Noirs, des Arabes, etc. Je me sens concerné parce que je suis Arabe et que j’ai envie de voir le discours qui est derrière. »
(http://www.respectmag.com/2011/07/07/micro-trottoir-quavez-vous-pense-de-case-depart-5325). Sans commentaire.
(http://www.respectmag.com/2011/07/07/micro-trottoir-quavez-vous-pense-de-case-depart-5325). Sans commentaire.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur Case départ. Disons simplement que c’est un film raciste, très mal filmé et interprété. N’allez pas le voir car il ne mérite tout simplement pas qu’on lâche 10 balles pour lui.
Rafik Chekkat, membre du PIR
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