Depuis le 14 mai 2011 une triste affaire de viol présumé, vendue par la presse comme un feuilleton à rebondissements, passionne la planète. Mais il n’y a finalement guère de mystère sur l’issue de cette histoire. Strauss-Kahn a déjà tout perdu ou presque.
D'abord l'essentiel : l'honneur. A supposer que cela ait un sens pour lui et ses amis.
Par sa propre démission -qui est presque un aveu- il a aussi perdu son poste lucratif et prestigieux de directeur général du FMI avec l’humiliation de voir arriver comme successeur une femme, française et de surcroît adversaire politique.
Strauss-Kahn a vu du même coup son rêve s’effondrer. Il ne sera jamais président de la République et, même s’il réussit à passer entre les mailles des filets judiciaires américain et français, ce qui est très improbable, - et devrait l’occuper quelques mois sinon quelques années - il aura le plus grand mal à revenir en politique, même au plus modeste niveau.
A terme, il a perdu en outre, très probablement, le soutien de son épouse. Anne Sinclair a adopté l’attitude d’une femme qui défend son mari contre vents et marées. Très bien ! Respectons ce choix. Mais n'en a-t-elle pas beaucoup trop fait et sa posture arrogante n'a-t-elle pas desservi celui qu’elle prétendait aider ? Passer l’éponge sur une incartade est une chose, supporter l’humiliation d’être bafouée et contente pendant trente ans en est une autre, couvrir un viol présumé avec l’impudence que donne la fortune en est une troisième. Pendant combien de temps supportera-t-elle encore de n'être que la grosse dame qui règle les additions, comme dans les films des Marx brothers ? On peut comprendre qu’elle ait joué gagnant un homme qui lui permettrait de réaliser un rêve par procuration : entrer à l’Élysée. Mais jusqu’à quel point sa "magnanimité" affichée, dans laquelle je ne vois qu'une injure faite à toutes les femmes violées, lui permettra-t-elle de miser désormais sur un tocard ?
Si on enlève à Strauss-Kahn la fortune de sa femme et la perspective d’une réussite en politique, que reste-t-il ? Un brillant économiste selon certains admirateurs ? Soyons honnête : sa thèse « Économie de la famille et accumulation patrimoniale » et son livre sur « La richesse des Français », deux ouvrages publiés il y a plus de trente ans, ne le prédisposent guère au prix Nobel. Il reste donc un homme dont la célébrité reposera sur l’un des plus grands scandales sexuels de l’histoire et qui ne pourrait être intéressant, à la rigueur, s’il en avait le talent, qu’à travers une introspection littéraire sur propre cas. Le plus probable, c’est que Strauss-Kahn restera un cas d’études clinique et, certainement, un héros de la petite histoire au même titre que Gilles de Rais, le cardinal de Rohan, Félix Faure, John Profumo ou le cardinal Daniélou.
Les maladresses des bons amis
Ceux qui ont tenté de défendre Dominique Strauss-Kahn ne l’ont guère aidé, c’est sûr. Jacques Lang qui a tenté de minimiser le viol présumé en déclarant qu’il n’y avait « pas mort d’homme ». Jean-François Kahn qui ne voyait d’ans cette affaire qu’un banal « troussage de domestique ». Bernard-Henri Lévy pour lequel Strauss-Kahn n’était pas «un justiciable comme les autres » et qui invoquait, sans en comprendre, apparemment, l’ironie dans le cas d’espèce (d'autant qu'on imagine mal BHL en train de rire) l’adage « Rira bien qui rira le dernier ». Michèle Sabban qui dénonçait « un complot international ». Johnny Hallyday, lui-même accusé de viol en 2002, qui ne voyait dans les chefs d’inculpation visant Strauss-Kahn, que des « critiques odieuses ». Elisabeth Badinter pour laquelle tout cela n'est qu'une «possible injustice» (qui aurait frappé Strauss-Kahn, bien sûr, pas la victime présumée). Finkielkraut pour qui le fait d'oser porter une accusation contre un homme au-dessus de tout soupçon comme Strauss-Kahn équivaut à un... « viol ». Rien de moins ! Jean-Marie Le Guen qui déclarait encore le 5 juillet 2011 que Strauss-Kahn serait en 2012 « un atout considérable pour la gauche». Il ne manquait, pour compléter ce florilège, que la réaction de Roman Polanski lequel, heureusement, a gardé le silence.
Un dossier d’accusation accablant
Les injures et les calomnies déversées sur Nafissatou Diallo par les avocats et le communicants de Strauss-Kahn ne doivent pas faire oublier que les faits reprochés à l’ex-directeur général du FMI sont étayés, non seulement par le témoignage de Nafissatou Diallo qui n’a pas varié d’un iota, mais aussi par des preuves impossibles à réfuter qui corroborent ce témoignage : notamment un rapport médical et des expertises médico-légales accablants. Les mensonges de la défense de Strauss-Kahn qui, dans un premier temps, a tenté d’établir que le Français était déjà parti au moment des faits et que la présumée victime n’était « pas attirante » avant d’en venir à une « relation consentie » risquent de peser lourd le moment venu. Sans parler des tentatives du sexagénaire à l’encontre de deux autres employées de l’hôtel et de la présence nocturne d’une jeune femme dans les heures qui ont précédé l’agression : autant d’indices d’une libido pathologique.
L’attitude désinvolte d’un justiciable sûr d’être supérieur aux autres.
La posture arrogante de Strauss-Kahn qui, au motif qu’il avait partiellement recouvré la liberté, se voyait déjà disculpé et allait fêter l'événement avec sa femme au Scalinatella, l'un des plus huppés restaurants new-yorkais (600 dollars les pâtes aux truffes et le Brunello Di Montalcino pour porter un toast à la santé des rmistes Sarcellois) n’est peut-être pas de nature, quant on y réfléchit, à faciliter un abandon des charges. La décision provisoire d’un magistrat n’éloigne ni la perspective d’un procès, ni celle d’une condamnation avec la perspective d’un retour à Rikers island où le menu et la carte sont moins gastronomiques.
La quasi-certitude d'une lourde condamnation au civil.
Si, d'aventure, DSK échappait au pénal américain, il peu probable qu'il puisse s'en tirer au civil et, dès lors, il risque bel et bien d'être condamné pour les mêmes faits, sinon à la prison, du moins à de faramineux dommages-intérêts qu'Anne Sinclair ne sera peut-être pas disposée à payer.
L’ouverture d’un second front en France.
L’attitude de Tristane Banon qui, après avoir porté des accusations contre Strauss-Kahn, a refusé de venir témoigner dans le procès américain, s’explique très certainement par la volonté de ne pas réduire sa propre affaire à un banal épisode du dossier new-yorkais. Par ailleurs, on peut comprendre que la jeune femme, à laquelle le comité de soutien à Nafissatou Diallo apporte aujourd'hui ses encouragements, n’ait pas voulu s’exposer aux calomnies que pourraient utiliser contre elle les avocats de Strauss-Kahn dans la procédure américaine. L’ouverture d’une enquête préliminaire en France et la perspective d’une longue instruction qui pourrait déboucher sur un procès en cour d’assises risquent d’apporter à l’accusation américaine des éléments de toute évidence défavorables à Dominique Strauss-Kahn. En outre, avec l'entrée en scène de Banon, qui n'est ni "noire" ni musulmane, il va être plus difficile d'invoquer le "complot" et un "nouvelle affaire Dreyfus".
La politisation du dossier
Les féministes françaises, habituées à voir les victimes de viol calomniées par les violeurs, ont adopté une attitude courageuse qui doit rappeler que la discrimination sexuelle va généralement de pair avec la discrimination raciste. De ce point de vue, c’est à bon droit que la diaspora africaine, en France à travers le comité de soutien créé dès le 24 mai 2011, puis aux USA, avec la mobilisation des syndicats et des militants pour les droits civiques , a vu dans les attaques portées contre Nafissatou Diallo la manifestation d’un racisme à peine dissimulé. Le hallali négrophobe auquel on a assisté à partir du 1er juillet 2011 a été en effet d’une violence rarement atteinte depuis les années soixante. Bien sûr, la couleur de Nafissatou Diallo n’a jamais été invoquée explicitement pour justifier ces attaques. Ce qui a en effet changé depuis les années soixante, c’est que le racisme au premier degré n’est plus socialement tolérable dans la société occidentale. Cependant, il faudrait être de bien mauvaise foi pour soutenir que l’acharnement contre Nafissatou Diallo, traitée, pendant une semaine, et sans aucune preuve, non seulement par des journaux à scandale, mais par des organes de presse dit « respectables », de menteuse, de complice de trafic de drogue et de prostituée, n’a absolument rien à voir avec sa couleur, ses origines ni sa religion. Le lynchage en règle auquel on a assisté, n otamment dans la presse française de gauche, n’est absolument pas contradictoire avec l’attitude première qui a consisté à sanctifier Nafissatou Diallo. Au contraire. Les préjugés contre les femmes africaines ou afro-descendantes s’expriment de deux manières qui semblent figées depuis le XVIe siècle. Tantôt on a recours au stéréotype paternaliste de la «vraie noire» qui serait en adéquation avec la nature, tantôt à celui de la « fausse noire » dénaturée par le contact avec l’Occident.
Dans les deux cas, prévalent de grossiers préjugés qui réduisent la femme africaine aux fantasmes sexuels projetés sur elle par des anciens pays colonisateurs et esclavagistes. Ce sont, de toute évidence, ces fantasmes qui ont allumé la libido de Strauss-Kahn et peut-être amené cet homme à des actes de violence, suite au refus de Nafissatou Diallo de se plier aux fantasmes de l’ancien maire de Sarcelles. Pour plus de détails, on se reportera aux intéressants travaux de Yann Le Bihan, chercheur en psychologie sociale.
Pendant un mois, Nafissatou Diallo a donc été hypocritement présentée comme une « vraie noire » issue d’un village africain utopique et en tout point conforme aux villages mis en scène dans les expositions coloniales des années trente. C’était une bonne musulmane, issue d’une famille respectée. En « bonne sauvage », elle était incapable de mentir. Tout a basculé en quelques heures. Nafissatou Diallo est devenue une « fausse noire » vénale pervertie par le contact avec la société américaine et incapable de s’acculturer, du fait de son « infériorité » naturelle. On a insisté sur l’argent dépensé pour des soins jugés futiles pour une « vraie noire » – coiffure, instituts de beauté. Bien sûr, il a tout de suite été affirmé que le financement de ces dépenses futiles était assuré par des hommes. Nafissatou a été immédiatement traitée de prostituée par toute la presse occidentale, en précisant qu’il s’agissait d’une « filière guinéenne » pour replacer la prostitution dans un contexte spécifiquement africain. Les calomnies distillées par les avocats et communicants de Strauss-Kahn dans le peu reluisant New York Post étaient reprises presque sans réserves dans Libération et même dans Le Monde. Des conversations téléphoniques, jamais rendues publiques, mais citées par de mystérieuses sources « proches du dossier » révélaient que Nafissatou avait des liens avec des trafiquants de drogue (qui eux, soit dit en passant, ne semblent pas profiter de la présomption d’innocence). Bien sûr, la « fausse noire » avait tout de suite flairé la bonne affaire et appelé son complice – noir évidemment – pour en parler avec lui.
Il ne manque plus à Nafissatou, pour faire bonne mesure et confirmer la théorie du complot international, que l’imputation de relations avec des terroristes islamistes. Ce qui, finalement, va peut-être venir. On compte sur Taylor, Brafman et Khiroun pour nous régaler encore de leurs affabulations et de leurs bobards.
Claude Ribbe
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