Le Bureau du recensement américain vient de déposer son rapport 2010 sur la situation de la pauvreté aux États-Unis. Ce rapport est alarmant à plus d'un titre. Mais un constat évident ressort plus que tout autre: l'écart entre les plus nantis et les moins nantis se creuse à un rythme accéléré.
L'introduction de baisses d'impôt en 1981 par l'administration Reagan, qui ont été ensuite accélérées par l'administration de George W. Bush en 2001, a eu des conséquences dévastatrices sur la fabrique sociale des États-Unis. Entre 1932 et 1980, les États-Unis avaient, dans la foulée des programmes du New Deal de Roosevelt, du Fair Deal de Truman et de la Grande Société de Johnson, établi un consensus social sur la répartition équitable de la richesse au sein de la société américaine.
Les politiques fiscales des différentes administrations entre 1932 et 1980 eurent comme effet de réduire le pourcentage des revenus accaparés par le 1% le plus riche de la société américaine: de 17% du PIB en 1929 à 8% en 1980. Cela avait été réalisé essentiellement par la mise en place d'un taux d'imposition de 75% sur les revenus supérieurs à 100 000 $.
Or, depuis 1980, on assiste à un renversement de cette tendance. Les taux d'imposition des plus riches ont été successivement abaissés au niveau des autres catégories de la société, soit à 35%. Mais compte tenu de différents échappatoires fiscaux dont les plus riches bénéficient, un Warren Buffet qui a déclaré 4,6 milliards $ en revenus en 2010 n'a payé que 17% d'impôt, soit un pourcentage inférieur à celui de ses secrétaires.
Entre 1980 et 2010, l'économie américaine en dollars constants a connu une croissance per capita de 61%. Si les 20% des Américains les plus pauvres n'ont pas bénéficié de cette croissance, la classe moyenne a bénéficié d'une maigre augmentation de 11% de ses revenus. Par contre, ce fut de 476% pour le 1% les plus riches et ces derniers sont ceux qui paient le moins d'impôts en termes relatifs.
La présente crise économique frappe de plein fouet la société américaine. Mais ce n'est pas tout le monde qui est touché de la même façon. Si 60% des ménages ont subi une baisse de revenus, la tendance est inverse pour les ménages dont le revenu est supérieur à 100 000 $. Par contre, la situation est devenu critique pour les plus démunis et ceux qui ont perdu leur emploi.
En 2007, il y avait 37,3 millions de personnes sous le seuil de pauvreté aux États-Unis. Ce nombre est passé à 46,2 millions en 2010, soit 15,1% des Américains. Ce taux est le plus élevé depuis 1993. Lorsque nous tenons compte du facteur racial ou ethnique, la répartition des pauvres ne suit pas la même trajectoire. Ainsi, le taux de pauvreté se situe à 27,4% pour les Afro-Américains, à 26,6% pour les personnes d'origine hispanique, à 12,1% pour les personnes d'origine asiatique et seulement à 9,9% pour la population blanche non hispanique.
Le portrait de la pauvreté aux États-Unis serait encore plus négatif, si ce n'était des programmes d'aide fédéraux. Les données du Bureau du recensement montrent que sans l'aide du gouvernement fédéral, il y aurait des millions de personnes de plus sous le seuil de pauvreté. Le nombre de personnes recevant l'aide du gouvernement fédéral est presqu'au niveau de celui de la Grande Récession. Avec le taux de chômage qui stagne au-dessus de 9%, le nombre d'Américains en difficulté économique ne cesse de s'accroître.
Actuellement, il y a environ un Américain sur six qui bénéficie de l'aide gouvernementale. Medicaid et les bons d'alimentation représentent les principaux programmes. Entre-temps, l'assurance chômage maintient 3,2 millions d'Américains au-dessus du seuil de pauvreté. Mais 3,9 millions d'Américains ont déjà épuisé leurs prestations. Ce nombre va aller en grandissant, compte tenu que de nouvelles règles vont réduire la période d'admissibilité de 73 à 26 semaines.
Par ailleurs, il y a 5,4 millions d'Américains qui travaillent au salaire minimum de 7,25 $ de l'heure. Leur revenu se situe à 69% du seuil de pauvreté. Ils ne sont pas considérés comme pauvres, parce qu'ils ont droit à un crédit fédéral comme travailleurs.
Les membres du Tea Party et de la droite républicaine tirent à boulet rouge sur l'administration Obama et le gouvernement fédéral pour ses politiques sociales. Au lieu de relever les taux d'imposition pour les plus nantis, comme le président Obama le propose, de nombreux républicains et les membres du Tea Party préconisent plutôt une coupure dramatique dans les programmes sociaux, dont Medicaid et les bons d'alimentation.
Rick Perry, le candidat républicain qui mène présentement dans les sondages, a même osé s'attaquer à un des plus vieux programmes sociaux américains dont bénéficient les personnes âgées. Il a décrit le régime de sécurité sociale de «chaîne Ponzi» (système pyramidal frauduleux) et a indiqué son intention, s'il est élu, de le faire déclarer inconstitutionnel.
Pour toute personne le moindrement attentive aux débats qui ont présentement cours aux États-Unis sur le chômage, la dette publique ou la redéfinition du rôle du gouvernement, ces données sont éclairantes.
La société américaine est à la croisée des chemins. L'élection de 2012 ne consistera pas simplement à choisir entre le président Obama et son adversaire républicain. Cette élection risque de porter sur un choix de société: les Américains désirent-ils, oui ou non, retourner aux politiques libérales qui prévalaient avant 1930, alors que les plus démunis dépendaient de la charité publique?
à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke.Gilles Vandal est professeur titulaire
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