lundi 9 avril 2012

Bahreïn/Formule 1 : Un cas de conscience!

Alors que la situation à Bahreïn va de mal en pis, Damon Hill estime que la "Formule Un" flirte avec la limite de décence et appelle la FIA à reconsidérer le bienfondé du Grand Prix, prévu pour dans moins de deux semaines.

Vif opposant à l’organisation du Grand Prix de Bahreïn en 2011, alors que le pays est toujours frappé par un mouvement contestataire violemment réprimé par le pouvoir en place, Damon Hill se voulait cependant optimiste sur la tenue du Grand Prix en 2012, après avoir visité le petit royaume en personne : « Je n’aime pas voir les gens se faire tirer dessus et être brutalisés. J’étais frustré que, l’an dernier, la Formule Un n’ait pas fait entendre sa voix sur ce qu’il se passait. » expliquait Hill dans les colonnes du Times, en janvier dernier.

Ces derniers temps, la situation dans le Royaume bahreïni ne semble guère non plus propice à l’organisation d’un évènement sportif d’envergure internationale. Ainsi, le 31 mars dernier, Ahmed Ismail Hussain, ‘’journaliste-citoyen’’ bahreïni a été abattu alors qu’il filmait les forces de l’ordre en train d’utiliser les gaz lacrymogènes et balles en caoutchouc pour disperser une manifestation qui se tenait dans le village de Samabad. D’après Bahrain Center for Human Rights, le jeune homme de 22 ans aurait été la victime de forces armées qui tiraient, elles, à balles réelles, depuis des véhicules banalisés. Alors qu’en 2011 Reporters Sans frontières classait le Bahreïn comme l’un des dix endroits les plus dangereux pour les journalistes, le 14 février dernier, à l’occasion du premier anniversaire des protestations, Mazen Mahdi et Muhammad Hamad, photographes officiants respectivement pour l’agence DPA et Reuters étaient la cible de tirs lacrymogènes tout comme Simeon Kerr, correspondant pour le Financial Times, alors qu’ils couvraient la charge des forces de l’ordre sur un convoi de manifestants qui se dirigeait vers la tristement célèbre Place de la Perle.


Ainsi, Damon Hill estime-t-il, dans les colonnes du Telegraph, que les choses sont désormais différentes : « Les protestations continuent et sont peut-être devenues encore plus déterminées et calculées. Ce sont des circonstances inquiétantes. Ce qui doit primer avant tout, c’est ce que pourrait être le coût humain si la course a lieu. […] L’opinion que j’ai formulée après ma visite de l’an dernier était basée sur ma compréhension de plusieurs facteurs : l’importance économique significative du Grand Prix du Bahreïn, la condamnation, dans un rapport d’enquête, des actes de la police et des forces de sécurité, alors que les deux parties devaient prendre part à un dialogue significatif pour résoudre, pacifiquement, les problèmes. Dans ces conditions, on pouvait imaginer que le Grand Prix aurait pu être d’une grande aide pour aider Bahreïn à se redresser. Cependant, avec moins de trois semaines avant de nous y rendre, les conditions ne semblent pas s’être améliorées à en juger par ce que rapportent les journaux en Europe, les réseaux sociaux et la télévision Al Jazeera. »

Conscient de l’enjeu, le mouvement protestataire n’hésite plus à menacer le Grand Prix, les murs du pays se bardant de graffitis invitant au boycott du Grand Prix. Sur Twitter, les protestataires se mobilisent contre l’organisation du Grand Prix avec les hashtags #BloodyF1 et #NoF1, alors que circule sur Youtube une vidéo montrant un jeune manifestant, vêtu d’un linceul blanc et d’une cagoule noire, incitant la Formule 1 à reconsidérer le bienfondé du Grand Prix : « Nous nous opposons à la tenue d’un évènement sportif qui nie le sacrifice de nos enfants et ignore nos souffrances et nos blessures. […] N’entachez pas la réputation d’un sport respecté, du sang des victimes du Bahreïn. »

Damon Hill craint d’ailleurs que le Grand Prix serve de prétexte au renforcement des mesures de répression : « Ce serait un mauvais scénario, négatif pour la F1, que de voir la loi martiale renforcée afin de permettre la course. Ce n’est pas l’image que devrait renvoyer ce sport. Aujourd’hui, il faut reconnaître que la course pourrait davantage créer de problèmes qu’en résoudre » estime le Britannique. « La récente réunion pour recueillir les soutiens pour la course autour de l’idée d’un évènement fédérateur a été troublée dans la mesure où l’on a essayé de dire que les manifestations au Bahreïn étaient le résultat d’une mauvaise presse et étaient un problème de « jeunes ». […] Je dis simplement que nous devons faire preuve de prudence. J’espère que la FIA considère pleinement ce que ça implique et que la situation au Bahreïn ne ressemble pas à ce qu’on leur vend, à savoir une bande de voyous qui jettent des cocktails Molotov, parce que c’est une simplification grossière. […] Cent milles personnes ne risquent pas leurs vies pour protester sans raison. »

Après les déclarations de Damon Hill, un porte-parole de la FIA indique, auprès de l’agence Reuters, que la FIA « est en contact permanent avec les plus hautes autorités, les principales ambassades européennes et bien sûr avec les promoteurs du Bahrain International Circuit » : « La FIA est le garant de la sécurité des Grands Prix et s’appuie, comme pour chaque pays, sur les garanties formulées par les autorités locales. A cet égard, les plus hautes autorités du Bahreïn nous ont assurées à plusieurs reprises que toutes les questions de sécurité étaient sous contrôle. »

Richard Burden, parlementaire britannique, ne doute pas que les autorités bahreïnies « remuerons ciel et terre pour minimiser les risques pour les équipes » mais il craint lui aussi que « les dégâts à longs termes pour la réputation de la Formule Un et des sports mécaniques en général, soient considérables. » L’élu travailliste estime que Damon Hill a raison d’appeler les instances dirigeantes à la prudence : « Je dis cela en tant que fou de sports mécaniques et en tant que parlementaire avec un vif intérêt pour le Moyen-Orient. Depuis le mois de février 2011, 45 personnes sont mortes dans les rues de Bahreïn. La dernière victime a été tuée à balle réelle la semaine dernière seulement. Des centaines de personnes se sont rassemblées dans le cimetière proche de sa maison, à la périphérie de Manama, la capitale. Les informations indiquent que la police a tiré des gaz lacrymogènes et des grenades étourdissantes dans la foule, provoquant la panique dans les rues. De telles scènes ne sont malheureusement pas inhabituelles. La situation au Bahreïn ne semble pas aussi grave qu’en Syrie et les équipes de Formule Un roulent dans d’autres pays où les droits de l’Homme sont bafoués, mais ça ne signifie pas pour autant que la F1 doive accepter de présenter au monde extérieur l’image d’une normalité réconfortante sur le circuit de Sakhir alors qu’il en va très différemment à quelques kilomètres de là. »

Pour sa part, Damon Hill tient à ce que les intentions de la Formule 1 soient claires, même s’il doute lui-même de celles-ci : « Si nous devons y aller, nous irons, mais il y a encore beaucoup de souffrance, de douleur et de tension au Bahreïn. Ce serait mieux pour la Formule 1 de dire clairement qu’elle comprend cela et qu’elle souhaite simplement le mieux pour tout le Bahreïn ou n’importe quel pays qu’elle visite. Je pense que la F1 flirte beaucoup avec la limite. Mais il y a une pensée encore plus troublante : ‘’La Formule Un ne joue-t-elle pas sur la corde raide pour des raisons purement financières alors que de jeunes gens mettent leurs vies en péril pour protester contre cet évènement ?’’ »

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