mardi 8 mai 2012

Ces Européens en révolte – (The New York Times)



Ces deux pays ont tenu des élections ce dimanche qui ont été en fait des référendums sur la stratégie actuelle de l’économie européenne, et dans les deux pays les électeurs ont tourné le pouce vers le bas. Il est loin d’être clair de savoir dans combien de temps ces scrutins vont entraîner des changements dans la politique réelle, mais le temps est clairement compté pour la stratégie de récupération par l’austérité - et c’est une bonne chose !

Inutile de dire, que ce n’est pas ce que vous avez entendu des suspects habituels à l’approche des élections. Il était en fait un peu drôle de voir les apôtres de l’orthodoxie qui tentaient de dépeindre un François Hollande prudent et placide comme une figure menaçante. Il est "assez dangereux", a déclaré The Economist, qui a observé qu’il "croit vraiment en la nécessité de créer une société plus juste." Quelle horreur !

Ce qui est vrai c’est que la victoire de M. Hollande signifie la fin de "Merkozy" - l’axe franco-allemand - qui a imposé le régime d’austérité de ces deux dernières années. C’aurait été un développement "dangereux" si cette stratégie avait fonctionné, ou même avait eu une chance raisonnable de fonctionner. Mais ce n’est pas le cas, cela ne marche pas ; il est temps de passer à autre chose. Il s’avère que les électeurs européens sont plus sages que leurs meilleurs et plus brillants homologues du continent nord-américain.

Qu’est-ce qui ne va pas dans la prescription de réductions de dépenses comme remède aux maux de l’Europe ? Une réponse en est que la fée de la confiance n’existe pas – ce qui signifie que les affirmations selon lesquelles sabrer dans les dépenses du gouvernement serait en quelque sorte encourager les consommateurs et les entreprises à dépenser plus, ont été massivement réfutées par l’expérience des deux dernières années. Une réduction des dépenses dans une économie déprimée conduit donc juste à approfondir la dépression.

En outre, il semble y avoir peu ou pas de gain en retour de la douleur. Prenons le cas de l’Irlande, qui a été un bon soldat dans cette crise, en imposant une austérité de plus en plus sévère dans une tentative de regagner la faveur des marchés obligataires. Selon l’orthodoxie dominante, cela aurait dû fonctionner. En fait, la volonté de croire est si forte que les membres de l’élite politique de l’Europe continuent à proclamer que l’austérité irlandaise aurait en effet fonctionné, que l’économie irlandaise aurait commencé à se redresser.

Mais ce n’est pas le cas. Et même si vous ne le saurez jamais d’une grande partie de la couverture de presse, les coûts d’emprunt irlandais restent beaucoup plus élevés que ceux de l’Espagne ou de l’Italie, sans parler de l’Allemagne. Alors quelles sont les alternatives ?
Une réponse - une réponse qui est plus logique et que presque personne en Europe n’est prêt à admettre - serait de démanteler l’euro, la monnaie commune de l’Europe. L’Europe ne serait pas dans ce pétrin si la Grèce avait encore sa drachme, l’Espagne sa peseta, l’Irlande sa livre, et ainsi de suite, parce que la Grèce et l’Espagne auraient ce qu’ils n’ont pas aujourd’hui : un moyen rapide de restaurer leur compétitivité de coûts de production et stimuler leurs exportations, à savoir la dévaluation.

Comme un contrepoint à l’histoire triste de l’Irlande, considérons le cas de l’Islande, qui a été le point zéro d’impact de la crise financière, mais a été en mesure d’y répondre en dévaluant sa monnaie, la couronne (et a également eu le courage de laisser ses banques s’écrouler et faire faillite sous leurs dettes.). Effectivement, l’Islande connaît une reprise que l’Irlande était censée avoir, mais n’a pas eu.
Pourtant, démanteler l’euro serait très perturbateur, et représenterait aussi une lourde défaite pour le "projet européen", l’effort à long terme pour promouvoir la paix et la démocratie à travers une intégration plus étroite. Existe-t-il un autre moyen ? Oui, il y en a un - et les Allemands ont montré à quel point cette voie peut fonctionner. Malheureusement, ils ne comprennent pas les leçons de leur propre expérience.

Parlez à des leaders d’opinion allemands de la crise de l’euro, et ils aimeront à souligner que leur propre économie était dans le marasme dans les premières années de la dernière décennie, mais a réussi à récupérer. Ce qu’ils n’aiment pas reconnaître, c’est que cette reprise a été tirée par l’émergence d’un immense surplus du commerce allemand vis-à-vis des autres pays européens - en particulier, vis-à-vis des nations actuellement en crise - qui ont été en plein essor, et ont expérimenté une inflation au-dessus de la normale, grâce à des taux d’intérêt faibles. Les pays en crise en Europe pourraient être en mesure d’imiter le succès de l’Allemagne s’ils faisaient face à un environnement favorable comparable - c’est à dire si cette fois c’était le reste de l’Europe, en particulier l’Allemagne, qui expérimentait un peu d’essor inflationniste.

Donc, l’expérience de l’Allemagne n’est pas, comme les Allemands l’imaginent, un argument en faveur d’une austérité unilatérale dans le sud de l’Europe, c’est un argument pour une plus grande politique expansionniste ailleurs, et en particulier pour que la Banque centrale européenne renonce à son obsession de l’inflation et se concentre sur la croissance.

Les Allemands, cela va sans dire, n’aiment pas cette conclusion, ni la direction de la banque centrale européenne. Ils vont s’accrocher à leurs fantasmes d’une prospérité dans la douleur, et vont persister à clamer que poursuivre leur stratégie qui a échoué serait la seule chose responsable à faire. Mais il semble qu’ils n’auront plus le soutien inconditionnel de l’Élysée. Et que - croyez-le ou pas - cela signifie que l’euro et le projet européen ont désormais une meilleure chance de survivre qu’ils n’en avaient il y a quelques jours.

Paul Krugman, le 6 mai 2012.

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