mardi 9 avril 2013

USA. Vers l’abandon de la doctrine Carter-Brzezinski ?


Les USA commencent à se désintéresser du Moyen-Orient. Croyant pouvoir se procurer à long terme du gaz de schiste et du pétrole issu des sables bitumineux. Washington a maintenant trois soucis à l’esprit, trois objectifs qui, s’ils sont menés à bien, promettent au monde musulman une restructuration des plus sérieuses.

Le premier objectif consiste à quitter l’Orient « en toute beauté ». Je dis bien en toute beauté, c’est-à-dire tête haute, ce qui apparaît particulièrement difficile vu l’échec américain en Syrie, vu l’état piteux de l’Irak et de la Lybie dont on ne parle plus … comme si ces deux pays n’avaient jamais existé, vu enfin l’enjeu fondamental que représente Israël, enfant capricieux, traditionnellement chouchouté par ses bienfaiteurs étasuniens et qui ne veut absolument pas entendre parler d’une Palestine indépendante ou d’un Jérusalem pluriconfessionnel.

Le deuxième objectif consiste donc à reléguer cet Etat éternellement mineur aux soins d’une puissance qui voudrait bien prendre le relais.

Troisième et dernier objectif de taille : faire face à la Chine qui se sent prête à tracer son propre pré carré, cela dans un style typiquement étasunien. Comment l’Amérique le souffrirait-elle alors que l’espace Pacifique lui appartiendrait au même titre que l’espace Atlantique ? On peine à se l’imaginer.
Et pourtant, c’est un fait, la Chine entend contrôler toute une série d’îles du sud de la Mer de Chine, zones où abonderaient pétrole et gaz, zones revendiquées par d’autres Etats de la région Asie-Pacifique moins importants comme les Philippines. Son « péché » résiderait aussi dans sa volonté de procéder à un réarmement total, à commencer par l’aviation puisqu’elle vient de mettre en service son premier porte-avion et son premier J-20 qui est un avion de chasse furtif. Un autre indicateur très significatif vient confirmer la thèse du réarmement puisque la Chine a augmenté d’un peu plus de 10 % ses dépenses militaires.

On en conclut ainsi facilement à un danger d’ordre idéologique, le Pentagone ne voulant pas voir se former un bloc antagoniste digne de ce nom qui serait cimenté par la Chine et la Russie. Un autre aspect transparaît qui explique tout aussi bien les inquiétudes de Washington : la question de la dette. L’Amérique doit à la Chine la somme exorbitante de 1100 milliards, fait brandi comme argument infaillible par cette dernière dès que l’occasion est propice. Que faire ? Une guerre contre la Chine représenterait une véritable catastrophe, à tel point que M. Poutine a eu raison de répliquer à Angela Merkel qu’une éventuelle riposte chinoise de taille rendrait littéralement dérisoire la tragédie de Tchernobyl (« S’il arrive que la Chine se décide à frapper, les conséquences en seraient telles que Tchernobyl sera comparé à un conte pour enfants »). S’il en est ainsi – et il n’y a aucune raison d’être sceptique – les USA doivent adopter une tactique d’hypercontrôle sur l’axe Asie-Pacifique en renforçant, primo, leur présence militaire, cela via le continent Australien, secundo, en investissant de plus en plus dans les principaux secteurs de la région. Les circonstances changent, la stratégie aussi. Il s’agit maintenant pour les USA de prendre le pouls des évènements en maintenant une forte présence militaire là où ses intérêts sont en jeu tout en tâchant d’acheter ceux dont ces intérêts dépendent justement pour éviter leur partenariat et leur alliance avec la Russie.

On s’écarte sensiblement de la méthode Carter-Brzezinski dont on a vu plus d’une fois les répercussions en Afghanistan, en Tchétchénie ainsi que dans les Balkans. On s’éloigne donc des manœuvres de déstabilisation sanglantes, ce qui rend relativement optimiste. Ceci dit, revenant à la question des deux premiers objectifs, il est clair que l’Amérique a tant du pain sur la planche en Chine qu’elle en a au Proche-Orient qu’elle essaye de quitter aussi efficacement qu’elle quitte l’Afghanistan.

Dans l’idéal, un grand nombre de changements devrait se produire sur l’échiquier musulman si les USA arrivent entre autres à se mettre d’accord avec la Russie. Et oui, je dis bel et bien avec la Russie, puisque l’abandon de l’optique Carter équivaut à l’abandon de la pratique Petraeus et Clinton, profondément russophobe.

Selon M. Meyssan, fondateur et rédacteur en chef du Réseau Voltaire, l’establishment américain, particulièrement hétérogène depuis l’ère Obama, compte à présent pas mal d’alliés de la Russie. Bien entendu, il est question d’alliances pragmatiques motivées par le souci d’en finir avec le conflit syrien en gardant Assad au pouvoir. Pour ce faire, il s’agirait pour la CIA de liquider les dirigeants de l’ASL, d’Al-Qaïda et du front Al-Nosra dont ils n’ont plus besoin. Un traité de paix devrait donc être signé avec la Syrie d’Assad suivie de l’annexion probable d’une certaine partie du nord du pays qui passerait en possession de la Turquie pour la récompenser de sa fidélité aux USA. Je doute qu’Assad puisse se réjouir d’une perspective de ce genre, surtout que ce voisin chahuteur et perfide, pressentant la fin de la campagne anti-Assad, se livre à cœur joie au pillage du patrimoine syrien.
Et ensuite ? Ensuite, c’est la Russie, toujours dans l’idéal, qui devrait installer sa présence en Syrie, en mettant en œuvre des programmes humanitaires susceptibles de redresser un pays traumatisé depuis près de deux ans. Feignant faire un immense cadeau à la Russie, les USA gagneraient en fait sous deux aspects :
- Ils détourneraient le regard du Kremlin de l’axe chinois, un peu dans le style « La Syrie, tu te la prends, mais la Chine, je me la garde pour moi ».
- Qui dit Syrie, dit Israël et problématique palestinienne. La moitié de la population israélienne est russe, alors pourquoi ne pas reléguer cetenfant difficile à un pays qui ne lui est en somme pas étranger ? Les Palestiniens devraient alors se plier à une échéance extrêmement désagréable : se contentant du statut limité d’observatrice, unecertaine Palestine finirait par fusionner avec la Jordanie et on n’en entendra plus parler. D’une façon analogue, les Palestiniens installés sur des territoires avoisinant Israël se verront obligés d’adopter la nationalité de leur pays d’accueil. Vont-ils y consentir ? Cette question restera sans réponse jusqu’à ce qu’une nouvelle conférence de Madrid ne soit envisagée.

Les pétromonarchies perdront leur statut privilégié, l’Arabie Saoudite devant éclater en cinq parties étant donné les contradictions internes qui déchirent sa monarchie et l’absence d’héritier légitime. Le Qatar restera quant à lui ce qu’il est actuellement : un organisme aux caractéristiques superficiellement étatiques au service du bloc atlantiste, fournisseur de provocateurs lorsqu’il le faut, exportateur de pétrole bon marché. De toute façon, l’émir a déjà su acheter une bonne partie des élites politiques françaises, ce qui se confirme par le fait qu’Al Jazeera sera très prochainement lancée sur le territoire français en français. Je vous laisse imaginer la suite, sachant qu’il y a islam et islam.

Que voit-on finalement ? Les USA s’écartent des brasiers qu’ils ont eux-mêmes allumés en envisageant un contrôle diplomatique sur la Chine. La France est condamnée à assumer les fruits d’un partenariat trop poussé avec le Qatar qui pourrait conduire beaucoup trop loin si nos gouvernements ne se reprennent pas d’urgence. Notre pays n’étant pas un îlot isolé, on se représente fort bien que son malaise s’étendra tôt ou tard à l’échelle de l’UE. La Russie devrait revenir à l’état de bloc antagoniste qu’elle était à l’époque soviétique, de préférence suffisamment puissant pour maintenir un certain équilibre au Moyen-Orient mais détaché de l’axe Asie-Pacifique qui la rendrait hyperpuissante.

On constate ainsi que l’abandon de la doctrine Carter-Brzezinski, extrêmement coûteuse et source d’échecs gravissimes, ne sous-entend pas l’abandon par les USA de leur manie de suprématie, cela même si le prix de l’entreprise pourrait frôler le danger d’une guerre nucléaire.


Françoise Compoint

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