L'accident du train Intercités Paris-Limoges, survenu le vendredi 12 juillet 2013 en gare de Brétigny-sur-Orge, a fait 6 morts et une trentaine de blessés. Selon les premiers résultats de l'enquête, cet accident est dû à une défaillance de l'éclisse (pièce métallique lourde à l'intérieur d'un aiguillage).
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David BOUDRET Conducteur SNCF au dépôt de Mantes la Jolie
Adhérent UPR depuis le 13 mars 2012
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La réaction publique au drame de Brétigny-sur-Orge nous rappelle à quel point les Français sont attachés à leur système de transport ferroviaire, et à quel point aussi les défaillances de celui-ci les touchent.
La SNCF a été créée en 1937 comme une société d'économie mixte par actions. Elle fut constituée de la fusion des 5 grandes compagnies concessionnaires de chemin de fer ( Nord, Est, Paris-Orléans, Paris-Lyon-Méditerranée, et Midi ), ainsi que des deux réseaux d'État de l’époque ( État et Alsace Lorraine ). Le capital de cette nouvelle SNCF fut répartie entre l'État (pour 51% ) et les anciennes compagnies ( pour 49% ). Ce fut donc une nationalisation des chemins de fer.
La SNCF regroupait alors tous les corps de métiers et assurait un fonctionnement total et autonome de toute sa structure : depuis l'entretien du matériel roulant, des voies, des gares, des caténaires et du système de télécommunication téléphonique interne (du réseau informatique depuis lors) et cela jusqu'à la conduite, les postes d'aiguillages, les gares, le service commercial et les opérations de contrôle. Le budget de la société était global, ainsi que la gestion de tout le système.
La conséquence de cette structure centralisée et globale fut une expertise technique et une fiabilité qui firent rapidement la fierté de la France et qui impressionnèrent beaucoup hors de nos frontières. Cette expertise et cette qualité eurent ainsi un rayonnement mondial, qui s’accentua encore avec la mise en service du TGV. Ce n’est pas une fanfaronnade que d’affirmer que le train français fut longtemps reconnu comme le meilleur au monde.
La Loi d'Orientation des Transports Intérieurs (LOTI), votée en 1982 – c'est-à-dire sous la gauche -, transforma la SNCF en Établissement Public Industriel et Commercial (EPIC) au 1er janvier 1983. Cette date est très importante car, pour la première fois, nous voyons que l’habituelle notion de service public jusqu’alors attachée à la SNCF se voit adjoindre la notion d’intérêt commercial. On pouvait certes y voir l’idée d’améliorer le service rendu au public en gommant les réflexes parfois trop administratifs de la SNCF. Mais cette réforme portait en elle l’idée, nouvelle et assez paradoxale, consistant à demander a une société de faire du service public et en même temps de dégager du bénéfice.
Né en 1970, j'ai pour la part rejoint la SNCF en 1994. J'y suis arrivé à un moment où cette schizophrénie de la politique de la SNCF était déjà palpable. Nous avions d'un côté les « Grandes Lignes », avec les TGV en tête, qui mettaient l'accent sur le côté commercial et fortement rentable. Et de l'autre côté les « Dessertes Locales », avec par exemple la banlieue parisienne, qui assuraient un service public par nature non rentable économiquement.
Mes amis et mon entourage font souvent part de leur surprise et de leurs doutes quand je dis cela, en me rétorquant que les trains de banlieue devaient logiquement être extrêmement rentables pour la SNCF car les trains sont bondés. Mais il faut bien comprendre de quoi on parle. Les trains « bondés » ne représentent en gros que 20% à 25% des trains. En dehors des heures de pointes, les trains sont pratiquement vides. Une grande quantité de trains en Ile de France, et plus encore en TER ou en banlieue d'autres grandes agglomérations françaises, fournis par la SNCF, roulent donc à perte dans le cadre du service public.
Nous arrivons au traité de Maastricht signé en 1991 et ratifié en 1992 – soit dit en passant, encore une fois sous la gauche -. Se conformant à ce traité, la France s'engage alors dans une politique consistant à « ouvrir les réseaux ferrés à la libre concurrence ».
Seulement voilà… la SNCF a un monopole très difficile à briser car, pour les raisons historiques que j’ai rappelées au début, elle est alors propriétaire des voies, des gares, des trains, etc...
Pour une société privée, l'investissement consistant à construire une nouvelle ligne, parallèle à celle possédée par la SNCF, est totalement exclu : ce serait financièrement exorbitant et techniquement quasiment impossible, pour cause d'occupation des sols.
Pour mettre en œuvre les directives européennes, il faut donc remettre en cause ce qui existe, c'est-à-dire s'attaquer à la SNCF en elle-même.
Cela commença par un décret pris le 5 mai 1997 (sous la droite, cette fois). On coupa la SNCF en deux et on lui retira la propriété de ses infrastructures pour la confier à Réseau Ferré de France (RFF), un nouvel Établissement public à caractère économique et commercial (EPIC) possédé par l’État. La SNCF devra désormais payer à RFF le droit de faire circuler ses trains sur les voies existantes et qui lui appartenaient auparavant. Par la même occasion – car ce fut là tout le but de la manœuvre, on permit à d'autres sociétés de faire de même.
Mais cette scission n’était pas suffisante pour satisfaire à la volonté de démantèlement venue de Bruxelles. Il fut donc décidé de procéder à un nouveau et double découpage de la SNCF.
Un découpage géographique, en donnant de plus en plus d'autonomie aux régions jusqu'à ce qu'elle deviennent pratiquement indépendantes du niveau national (suivant en cela exactement le même principe que les régions administratives françaises). C'est donc par exemple le Syndicat des Transports d’Île de France (STIF) qui est une branche de la région Île de France, qui va maintenant financer les trains en banlieue parisienne en fournissant les fonds aux régions ( Paris Saint Lazare, Paris Nord, Etc … ).
Un découpage administratif, en imposant une gestion par type activité qui consiste à TOUT séparer. On voit ainsi éclore des dizaines de services nouveaux, qui étaient auparavant tous liés dans la structure SNCF unie. Ces services vont se retrouver dans la situation de quasi filiales, se facturant les unes aux autres les services rendus : traction pour la conduite, équipement, matériel, infrastructures, télécommunications, service commercial, fret, contrôle, circulation, et j'en passe), et essayant chacune de réaliser l'impossible : dégager des bénéfices.
Et maintenant ?
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Le résultat de toute cette brillante politique imposée par les traités européens, c'est que nous avons désormais une quantité d'entités semi-indépendantes, qui facturent leurs prestations avec le souci constant et prioritaire de la rentabilité économique. Alors que nous avions auparavant une société unie ou le service public et la sécurité étaient la toute première des préoccupations.
Les conséquences de ces changements sont énormes, que ce soit en termes de qualité de service et de fiabilité. Il est fréquent que l’on assiste aussi à des aberrations.
En guise d’illustration, je vais vous citer des exemples vécus.
Premier exemple, à titre d’anecdote révélatrice.
Mon dépôt d'attache est Mantes-la-Jolie. Cela signifie que je commence et que je finis mon service en ce lieu. Certains jours, je dois prendre, par nécessité de service, un taxi au dépôt de Mantes pour aller sur le lieu de garage d'une rame. Il en est de même du contrôleur du train.
Auparavant, nous prenions le taxi ensemble sans nous poser de questions et le coût de la course était facturé à la SNCF.
Maintenant, il faut séparer les activités : le contrôleur a son propre taxi, qu'il refacture à l’entité qui l’emploie, et je prends le mien, puisque je relève d’une autre entité.
Résultat ? Double coût pour une seule prestation. Double coût qui sera répercuté sur le consommateur final.
Deuxième exemple, beaucoup plus grave.
La SNCF dégage du bénéfice à 95% par la vente de ses billets. Mais ce n'est pas le cas du service « INFRA » - pour « infrastructures » - qui est responsable de l'entretien des voies et de la caténaire, et qui est par nature un service dépensier. Ses seules recettes proviennent de la facturation de cet entretien à la SNCF ou à RFF. En parallèle, il doit absolument minimiser ses coûts pour veiller à équilibrer son budget puisque l’objectif, je le répète encore une fois, est d’être « rentable ».
Résultat ? Nous assistons à des entretiens de voies qui deviennent plus espacés, avec des tolérances accrues. Le service INFRA réduit constamment le personnel et fait un appel de plus en plus important à la sous-traitance.
Ces sous-traitants, étant soumis à des appels d'offre, tirent eux aussi les prix vers le bas, en embauchant par exemple de la main-d’œuvre d’Europe de l'est. Outre que cela a pour effet de détruire de l’emploi en France, c'est la sécurité globale qui ne peut qu’en pâtir.
C'est ainsi qu'en octobre 2012, suite à des travaux mal faits, un train a déraillé en gare de Paris Saint-Lazare, précisément sur un aiguillage qui venait d’être changé. J'ai pu parler avec un responsable de l'INFRA et voici ce qu'il m'a dit en substance (je reprends son idée générale, je ne me souviens plus de ses paroles exactes) : « J'ai des ouvriers qui parlent polonais, letton, bulgare, roumain, etc … tout sauf français. Ils ne comprennent pas les instructions, et ils ne se comprennent même pas entre eux. Comment s’étonner que le travail soit mal fait. Merci l’Europe ! »
Il en est de même avec le matériel roulant. Tous les conducteurs de la SNCF comme moi confirmeront que l’on ne compte plus le nombre de fois où un conducteur signale une avarie sur un train, puis retrouve le même matériel, 3 ou 4 jours plus tard, avec comme annotation au carnet de bord : « Bon aux essais » ou « en attente de pièces », puis… constate le même souci en ligne que celui qu'il avait signalé quelques jours auparavant. Autrement dit : rien n’a été fait et le problème signalé n’a pas été corrigé.
Ces avaries non traitées et cumulatives entraînent souvent des perturbations, voire des suppressions de trains, avec une fréquence bien supérieure à ce qu’elle était du temps de la SNCF unie.
Car le service « matériel » est soumis, lui aussi, aux mêmes contraintes que les autres services, il doit concilier l'inconciliable. Là où les « paliers d'entretien » du matériel étaient autrefois calculés par des ingénieurs, de manière à effectuer un entretien préventif pour prévenir toute panne, nous avons maintenant des « paliers d’entretien » revus et corrigés par des financiers, qui sont beaucoup plus espacés.
Dans la SNCF d’antan, on réparait avant que ça ne casse. Sans que cela soit vraiment avoué, la politique de l'actuelle nébuleuse SNCF est désormais de réparer après que ça a cassé. On est passé sans le dire du préventif au curatif, avec tous les risques que cela comporte.
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Au moment où j’écris ces lignes, il est encore trop tôt pour savoir quelles ont été les causes exactes du terrible accident qui vient de se produire à Brétigny-sur-Orge. Mais je suis intimement persuadé qu’il est la conséquence directe d'une politique voulant marier gestion d'une infrastructure de sécurité et moindre coût. Du reste, si j’en crois la presse, notre direction générale s’oriente elle-même vers l’hypothèse d’une défaillance technique portant sur une éclisse, pièce métallique à l'intérieur d'un aiguillage.
Ainsi, en raison des directives européennes demandant toujours plus de souplesse, l'ouverture à la concurrence et la privatisation, la SNCF se trouve contrainte de sacrifier le service public et la sécurité sur l'autel de la rentabilité.
C’est aussi pour cela que de nombreux trains « non rentables » ont été supprimés. Par exemple, tous les trains après 22h30 au départ de Conflans-Sainte-Honorine ont disparu. Là où nous avions des trains jusqu'à 01h31 du matin, nous avons maintenant un ou deux bus jusqu'à 23h30.
Je me souviens d'un employé dans une boulangerie qui prenait son train chaque nuit à 01h31 pour partir à son travail. Je me demande comment il fait maintenant.
David BOUDRET
14 juillet 2013