mardi 25 février 2014

QUAND L’ANTI-IMPERIALISME DEVIENT BORGNE, C’EST ALORS QU’IL DEVIENT CON...


Qu’il y ait une exploitation opportuniste des événements d’Ukraine et même un fort soutien à cette démarche nationaliste et révolutionnaire, par les puissances occidentales, c’est évident et on ne voit pas comment dans ce monde d’aujourd’hui, tel qu’il est redevenu bipolaire, il aurait pu en être autrement...

Cependant, réduire la raison de ces événements à cette seule intervention, en faire la cause profonde en supposant implicitement que si elle n’avait pas eu lieu, il ne se serait rien passé de tel en Ukraine, qu’il n’y avait absolument aucune raison pour que les Ukrainiens ne continuent pas de se régaler de la politique et des comportements de ce monsieur Ianoukovitch et de sa bande d’oligarques, tel est le délire qui s’est emparé des cervelles fatiguées de ces gens qui ignorent tout de l’histoire de ce pays, de la structure sociologique complexe, et par là, des difficultés qui en découlent...

En réalité, ces anti-impérialistes de salon, “borgnes” en ce sens qu’il n’existe pour eux qu’une forme visible d’impérialisme, celle des nations de l’ouest, les autres puissances étant censée être immunisées contre cette maladie, sont quant à cette lutte essentielle, exactement dans la même position que toutes ces brêles qui se targuent d’antifascisme face à cette autre lutte essentielle. Leur narcissisme ne leur permet pas d’imaginer que la lutte des autres peut ne pas être la leur, et que les options des autres peuvent ne pas être les leurs, sans pour cela être illégitimes...

Un parlement régulièrement élu, dont la fonction nominale est précisément de contrôler l’action gouvernementale et de la sanctionner si nécessaire, composé pour une large part de membres de son propre parti l’ayant jusqu’alors soutenu sans réserve, vient de proclamer la destitution d’un président pour le moins maladroit, indépendamment même de ses frasques, de ses abus, et de son échec social et économique, qui s’est montré imprudent dans ses engagements politiques, et totalement incapable de maitriser une situation de crise, en abandonnant la nation au bord de la guerre civile...

Un intérim est assuré en attendant une élection dont la date est déjà fixée au 25 mai...

Dans une telle situation, c’était très exactement ce que ce parlement avait à faire et la seule chose à faire, convoquer le peuple pour qu’il puisse exprimer sa volonté...

Mais voici que nos anti-impérialistes de salon, imprégnés qu’ils semblent être encore d’une culture stalinienne probablement héritée de leur enfance, et selon laquelle les “éclairés” se moquent pas mal de quelque procédure qui traduirait une volonté populaire, puisqu’ils ont forcément raison, même contre l’avis de ce peuple dont ils sont chargés de faire son bonheur malgré lui, s’insurgent bruyamment contre cette destitution, et vont même jusqu’à la qualifier de “coup d’état impérialiste”. Ceci, en déclinant tout leur bréviaire d’abus de langage et de langue de bois, établissant la justesse de leur jugement.

En quoi, face à une situation de crise extrême résultant de la non prise en compte des fragilités de son pays, la destitution d’un président l’ayant conduit au bord d’une guerre civile, par un parlement régulièrement élu et afin d’éviter le pire, constitue-t-elle un “coup d’état”...?

Il faudrait que toutes ces brêles qui hurlent au coup d’état nous l’expliquent...!

Faut-il que cet homme ait été corrompu par ceux qui l’ont aidé à accéder au pouvoir, pour n’avoir absolument pas voulu tenir compte du fait que pour plus de la moitié de ses concitoyens, surtout pour ceux qui sont de langue et de culture ukrainienne et que l’histoire détermine vers cette Europe centrale à laquelle ils ont longtemps appartenu, le rapprochement avec l’ancienne puissance on ne peut plus impérialiste, qui leur a infligé soixante dix ans de stalinisme, avec plus d’un million et demi de morts par les purges d’une terrifiante répression politique, et des douleurs sans fin dont ils ont le souvenir, constituait un cauchemar...?

De cette réalité, les anti-impérialistes de salon s’en moquent éperdument car il leur suffit pour leur amusement, de constater ce qui semble aller à l’encontre de l’impérialisme atlantiste, pour en proclamer la sainteté...

Soyons clairs.

Si nous devons saluer sans réserve l’attitude qui aura été celle de Vladimir Poutine, face à l’impérialisme atlantiste et sa totale malfaisance dans le dossier de la Libye et surtout, telle qu’elle aura été salvatrice en nous épargnant une guerre dont les conséquences n’auraient pas manqué d’être catastrophiques, dans celui de la Syrie, ceci ne suffit pas pour autant pour procéder à sa canonisation...

Manquer de comprendre que la politique actuelle de la Russie, l’écrasement sous les bombes de la volonté d’indépendance de la Tchétchénie, l’invasion d’une partie de la Géorgie pour l’empêcher de rejoindre l’ouest, la déstabilisation des nations du Caucase, et la volonté de maintenir fermement l’Ukraine sous une influence dominante de la Russie, ne constitue rien d’autre qu’une autre forme d’impérialisme que les bobos borgnes de l’anti-impérialisme, ne voient pas...

Ne pas comprendre la terreur que le spectre de l’ex Union Soviétique provoque chez toutes les nations qui s’en sont défaites, au point que plusieurs d’entre elles sont allées jusqu’à s’allier avec le détestable Nato, pour être certaines qu’il ne se produira jamais de retour en arrière, c’est manquer de comprendre le prix de la liberté par ceux qui n’en ont pas été privés.

Ni les états baltes, ni ceux de l’ancienne Europe de l’est, ni les états caucasiens, ni le Kazakhstan, officiellement candidat à l’Union Européenne, ni aucune de toutes ces autres nations qui formaient plus de la moitié de la population de l’ex Union Soviétique, ne veulent d’un retour sous la domination de la Russie. Pourquoi donc l’Ukraine devrait-elle être la seule à devoir l’accepter...? Pour faire plaisir à nos anti-impérialistes de salon...?

Bien sûr, tous ceux qui vomissent l’Union Européenne ne comprennent pas pourquoi d’autres voudraient la rejoindre, tout comme ceux qui déplorent l’état lamentable de cette union, ne comprennent pas pourquoi des malheureux risquent tous les jours leur vie sur de frêles barcasses, pour la rejoindre...

Mais ce qu’il faut considérer c’est que même si ces gens se trompent, même s’ils sont dans l’illusion de ce qu’est l’Union Européenne, c’est à eux et à eux seuls qu’il appartient de faire le choix, c’est un rêve et une ambition qui leur appartient et ils ne sont pas des instruments destinés à s’inscrire dans la stratégie de lutte anti-impérialiste d’autres, car il y en a un d’impérialisme qu’ils ont bien connu eux, et vers lequel ils n’entendent pas revenir...

Quant à savoir ce qui les effraie dans cette perspective, il faut garder en mémoire, en plus la répression sauvage et bestiale de la Tchétchénie, les règlements par l’assaut militaire et dans un bain de sang, des prises d’otages dans une école et dans un théâtre, le racisme étatique qui existe contre les caucasiens, et la répression féroce des opposants au régime de monsieur Poutine, dont parmi combien d’autres, la pauvre Anna Politovskaïa en a été la victime...

Prétendre combattre l’impérialisme atlantiste, en voulant ignorer l’impérialisme russe, voire en le justifiant, témoigne de la même carence intellectuelle que ceux qui prétendent réparer la Shoa, par le massacre de Palestiniens...

Paris, le 25 février 2014
Richard Pulvar

Aucun commentaire: