jeudi 12 janvier 2012

«On est en train de réinstaller des bidonvilles» à Haïti


Patrick Coulombel, président de la Fondation architectes de l'urgence,s'inquiète des lenteurs de la reconstruction à Haïti et du manque de compétence des organisations internationales.
Deux ans après le tremblement de terre, où en est la reconstruction à Haïti ?
On n'en est pas bien loin. Si on parle de la reconstruction en dur à proprement parler, à de rares exceptions près, il n'y a pas grand-chose de fait, ce qui est pour le moins surprenant dans la mesure où normalement on devrait être en plein boom de la reconstruction, deux ans après.
Les Nations unies, au départ, durant toute l'année 2010, ont décidé d'attendre que le processus électoral soit complètement terminé et d'avoir un gouvernement légitime pour s'attaquer à la reconstruction de manière normale. Ce n'est pas illogique, mais cela a duré un an, et normalement le mandat de l'organisation internationale est au contraire là pour palier les carences des gouvernements lorsqu'ils n'ont pas de capacité.
Et après l'élection du président ?
En 2011, quand Michel Martelly a été élu, il a dit qu'il fallait absolument arrêter la construction d'abris temporaires et qu'il fallait faire de la reconstruction durable. Tout le monde était d'accord, mais en réalité personne ne l'a fait. Résultat des courses : non seulement les constructions temporaires ne se sont pas arrêtées, mais il y en a certaines programmées pour 2012.
Pourquoi est-ce si compliqué de reconstruire du permanent ?
C'est un métier de construire en dur. Aujourd'hui, la majorité des acteurs de l'humanitaire ne sont pas des gens du métier de la construction. En termes de gouvernance au niveau des Nations unies, il y a donc des petits problèmes. Il existe une agence, UN-Habitat, qui a l'habitude de ça, mais aujourd'hui elle n'a pas le monopole sur cette question. Elle réclame l'arrêt des abris temporaires, mais elle n'est pas écoutée par la majorité des autres agences de l'organisation internationale. En réalité, en mettant en place des dizaines de milliers d'abris, on est train de bloquer tout le système pour la vraie reconstruction. Quand on utilise le foncier à des fins temporaires, c'est compliqué de détruire et de reconstruire du permanent derrière.
Après, il y a aussi des difficultés pratiques. J'étais à Port-au-Prince la semaine dernière. On avait besoin de matériel de construction. Il existe seulement trois malheureux magasins qui en vendent dans la capitale, alors que les filières existent et que, potentiellement, tout est là.
La majorité des écoles, par exemple, avaient été détruites. Est-ce qu'elles ont pu être reconstruites ?
Très peu. Il n'y a que des organismes privés qui agissent. Nous, Architectes de l'urgence, nous n'avons rien fait encore. L'Unicef a choisi courant 2010 d'apporter des écoles temporaires pour que les enfants puissent y retourner le plus vite possible. Et ça, malheureusement, après ça bloque le système car c'est très difficile de reconstruire en zone occupée.
Combien a été investi dans la reconstruction ?
En avril 2010, les pays donateurs s'étaient dit qu'ils donneraient 10 milliards de dollars [7,9 milliards d'euros, ndlr], ce qui n'est pas du tout suffisant. Pour donner un ordre de comparaison, Aéroports de Paris a lancé une opération de réhabilitation et d'extension d'un terminal à Roissy et d'une partie d'Orly : ça coûte 1,4 milliard d'euros. On va faire des rustines, on va faire ce qu'on peut, mais ce n'est pas assez.
Qu'a pu réaliser précisément de son côté Architectes de l'urgence ?
On a terminé huit centres de santé qui ont été restructurés et réhabilités en partenariat avec la Croix-Rouge française. On a travaillé aussi sur de l'habitat, sur du renforcement d'habitation, c'est à dire essentiellement des maisons classées orange, pas complètement détruites mais abîmées, sur lesquelles on a fait des renforcements parasismiques pour que les gens puissent à nouveaux y habiter. On est à 1 370 familles relogées. Ce n'est pas énorme par rapport à l'ampleur de ce qui est à faire, mais on a des difficultés pour trouver des financements.


La lenteur de la reconstruction pourrait-elle entraîner des troubles ?
Tant que les organisations humanitaires sont là, ça va encore. Globalement, tout le monde en profite un peu. Il n'y a pas trop de choses à dire sur la gestion d'urgence. Là où on commence à être inquiet, c'est quand tout le monde partira car il y aura une autre urgence humanitaire ailleurs et que les fonds seront épuisés. C'est pour ça qu'on a plutôt intérêt à faire les choses bien pour ne pas laisser pendant des dizaines d'années des baraquements qui vieilliront mal. Parce que là, d'une certaine manière, on est en train de réinstaller des bidonvilles.
Combien y-a-t-il encore de réfugiés ?
A priori, 500 000 personnes. Dans l'immédiat, ils n'ont pas d'autres perspectives que celle qu'on leur propose. Les Haïtiens, on ne leur demande pas trop leur avis. Si Coluche était encore de ce monde, il dirait qu'on nous prend pour des cons. Les promener pendant un an en disant qu'il faut attendre un gouvernement élu, et, une fois qu'il est élu, faire le contraire de ce qu'il demande, c'est un peu fort comme histoire. Mais en même temps je ne pense pas qu'il y ait une volonté malsaine derrière, c'est plutôt un problème de compétence.
QUENTIN GIRARD

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