lundi 30 mars 2020

CHRONIQUE AUX TEMPS DU CORONAVIRUS JOUR 13. Texte 2, 30 mars 2020.


 Chères amies, , chers amis, comme annoncé,, voici le deuxième texte de notre chronique, en lien avec l'Inde, ses mouvements de masse actuelles liées au confinement et la mémoire de l'engagisme ou du coolie trade, que j'ai rappelé brièvement ce matin, dans une réflexion liée au travail au temps du coronavirus.

Un article intitulé « What India Has Now Is A Clone Emergency: Just Ask The Police » (1), écrit le 28/3/ par Sunil Menon, me donne à réfléchir en rapport avec ma propre histoire et celle des engagés ou coolies.
Ce sera le troisième texte de ma chronique d’aujourd’hui.
Sunil Menon part d’un constat : l’état de droit, tout comme les Indiens, semble avoir été mis en confinement en Inde. L’espace public s’est vidé, la contestation contre la contestable réforme de la citoyenneté est rentrée à la maison en temps de pandémie.
Rappelons que cela vaut pour les mouvements citoyens et grognes en France, en Espagne ou ailleurs. Sauf dans le sud de l’Italie, souvent vivant d’économie informelle (une similitude avec l’Inde), où on fait entendre des voix dissonantes face aux pénuries que le confinement engendre. Il ya eu des actes de violence et de pillage, ceux qui vivent du petit boulot, souvent au noir, n’ayant plus d’argent pour se nourrir. Ici, je pressens que la fracture Nord-Sud de la péninsule italienne laisse entrevoir ses failles sociales et biopolitiques, une donnée à prendre en compte dans l’après-pandémie. La même configuration s’installe au Brésil, où l’état dominé par les évangélistes, les ultra nationalistes et populistes, fait peu de cas aux défavorisés des favelas, où des dealers assurent la sécurité des habitants face au coronavirus, face aux carences de l’état. Bolsonaro, lui, préfère faire tourner la machine économique, même s’il y a des morts, pratiquant une forme de darwinisme social et d’eugénisme. Chaque soir, aux balcons, les brésiliens, non pas pour encourager les équipes soignantes invisibles, tapent sur leurs casseroles, pour dire qu’ils ne sont pas d’accord avec Bolsonaro. Cela laisse présager des jours troubles au pays du Trump tropical. Le confinement est donc révélateur de beaucoup de tensions, divisions, méfiances et comportements puisant de l’inconscient collectif des peuples et de leur Histoire.
L’Inde, après la crise des lois de citoyenneté, qui a montré que la démocratie indienne était engoncée dans le populisme et l’hindouisation à tout-va, générant des violents actes des supporters du pouvoir BJP, fait face ici à un autre choc de nature biopolitique, cette fois. Après le populisme des rues, elle est confrontée aux temps d’une démocratie des espaces publics vacants. Les bastonnades de la police révèlent cette maladie autoritaire. Aussi, l’analyse de Menon m’interpelle sur quelques points.
Le premier, c’est la peur du policier en Inde. Il explique que les coups de bâton sont légion en raison du confinement à mettre en oeuvre « sans tarder ». Le citoyen lambda, recevant ces coups de lathi ou de matraque, n’a d’autre réaction que d’avaler son cri de douleur, la rage au cœur. D’autres, dans un réflexe pavlovien, on le voit sur les téléviseurs du monde, approuvent ces coups de matraque, sensés sauver des vies, car des « gens sont
irresponsables »…
Une habitude devenue méthode de gouvernance ?
La police, on l’a vu à l’œuvre lors des manifestations contre les lois de citoyenneté exclusives du BJP, parti ultra nationaliste au pouvoir, critiquées par l’ONU pour son aspect discriminant à l’encontre des minorités. On l’a accusée d’être « partisane », aux bottes du pouvoir Hindutva. Les vidéos ont relayé par milliers les coups de matraque sur les minorités, prenant fait et cause pour des « goons » ou nervis proches du pouvoir. Des Indiens, soucieux de préserver leurs diversités, ont protesté contre ces lois divisives et les brutalités policières. Lors de ce que certains qualifient de « pogrom de Delhi », il y a un mois, la police a été montrée du doigt pour des violences contre des manifestants et inefficacité dans la « gestion » de la crise. Des coups pleuvaient sur les gens opposés, pacifiquement, au projet ultra nationaliste du pouvoir. L’Inde et sa police malade de l’autoritarisme… Lors de l’exode, prélude au confinement, l’Inde retrouve donc ses vieux démons et les blessures de son Histoire violente.
Menon a bien raison de souligner que si le coronavirus renvoie certains à pied chez eux pour se confiner dans leurs habitats lointains, souvent à la campagne, ces pauvres hères y vont à pied, en courbant l’échine. En route, ils ne sont pas à l’abri d’un certain sadisme policier. Cette image de foules rentrant précipitamment chez elles, à pied, en interminables files désordonnées, révèle une constante de la psyché indienne, celle du déplacement (de masse) forcé. Et aussi, actuellement, celle de la soumission à l’autorité punitive.
Sunil Menon rappelle que durant la colonisation, la police était un instrument au service du pouvoir et de l’assujettissement des Indiens. Cette mentalité, selon lui, expliquerait pourquoi les policiers battent les gens à tout va, encore imprégnés de cette mentalité répressive bordant sur le sadisme. Les gens, habitués à subir la force du dominant, semblent prendre cela comme un fait intangible de leur quotidien, comme un aspect régulateur de la démocratie la plus peuplée du monde. La police, en somme, c’est le représentant du pouvoir en place, dans une Inde développée, mais pas tout à fait...
Menon nous rappelle que celle-ci a conservé sa mentalité coloniale et se sent investie du pouvoir de réprimer le peuple à tout-va.
Cette relation que l’auteur décrit comme « sadique » me rappelle des faits semblables presque au même moment à l’île Maurice. En effet, là aussi, la police s’est livrée à des actes répréhensibles sur la population, pour faire respecter le confinement. Les citoyens ont protesté, les responsables ont promis une enquête. Menon m’aide à dire que là-bas aussi, nous avons, à des échelles différentes, ce même rapport de sadisme entre la police et le citoyen. Nous avons une histoire commune d’exode de populations par le coolie trade, Maurice étant le centre névralgique du despatching des coolies dans l’océan Indien et en Atlantique, elle a accueilli des centaines de milliers de colies. Dans l’île britannique, la police a été un instrument au service des planteurs et du pouvoir pour confiner le coolie dans la plantation comme dans les dépôts des errants ou vagabonds (Vagrants depot), se livrant à des actes de brutalité que la mémoire coolie a intégrés.
Sans surprise, donc, ces déplacements difficiles avant confinement nous ramènent au coolie trade. Sunil Menon fait état de la photo d’une vieille dame de 90 ans, rentrant chez elle à pied, marchant sur 400 kms. Indubitablement, cela fait remonter aux temps d’exode du 19ème siècle. Jadis, c’était l’inverse, le laboureur allait de la campagne vers les villes, avant de camper au bord d’un port, dans un coolie dépôt. Peggy Mohan, auteure de Trinidad, pays de Naipaul, descendant de coolies ou engagés indiens, fait état d’un pathos historique lié au coolie trade. En effet, elle rappelle que des gens marchaient sur des centaines de kilomètres, avant d’embarquer sur des coolie ships. Ensuite, ils voguaient, contrat en poche, vers l’eldorado, à travers le kala pani ou eaux sombres. Cela m’évoque le même souvenir. Le coolie marchait vers la mer. Ici, c’est le laboureur devenu citadin qui retourne dans son village, renversant le flux.
L’auteur Sanyasini Atmaprajnananda évoque aussi, l’épisode de la Partition de l’Inde, tellement les mouvements de population se déplaçant à pied pour le confinement est massif. Inutile d’ajouter que ces migrations ne laissent rien présager de bon. Le cas italien fait état de la propagation du virus au sud et dans d’autres régions de la péninsule, suite aux flux migratoires des italiens du nord. En France, un million de Franciliens ont probablement aidé à la propagation de celui-ci, en plus de saturer les structures de soins de la province. L’on saura, pour l’Inde, les conséquences épidémiologiques de ce transfert massif des populations des villes vers les campagnes. Je présage une situation intenable, sauf miracle. Réfléchissant à ces scènes migratoires, Menon parle de la « bestialisation » des masses. Cela me rappelle que, d’un point de vue de l’engagisme, l’autre nom du coolie trade, le coolie était une bête de somme, un serf de la glèbe, une paire de bras. Le sort de ses ancêtres serait-il différent après le coolie trade, dans la Grande Péninsule qui se targue d’avancer vers le Progrès ? Dans l’ère où une partie des masses indiennes subit une pauvreté accrue et une marginalisation aggravée par une politique mettant des castes basses à l’index, on pourrait en douter. Je pense que, fondamentalement, nous assistons aux mêmes mouvements des masses pauvres d’un point à l’autre de l’Inde, jadis vers la mer, dans le but d’échapper à leur sort de marginaux sociaux et économiques. En route, ces bêtes de somme sont victimes d’un abêtissement des représentants de l’ordre, ce qui laisser présager des jours compliqués pour l’Inde, dont l’autoritarisme du pouvoir est une réalité amère et mortifère.
Rappelons que l’Inde, à son tour, a construit des centres de détention, certains les appellent des camps de concentration, pour des personnes ne pouvant prouver leur citoyenneté ou n’ayant pas leurs précieux documents de citoyens indiens. Une Inde qui instaure dans sa loi des citoyens de seconde zone. L’Inde, en somme, est en train de continuer une mentalité coloniale non seulement dans les agissements de sa police mais aussi dans son traitement des populations minoritaires. Ces camps sont, pour moi, des répliques des dépôts de vagabonds, ces « vagrants’ depots » où l’on enfermait ceux et celles qui n’avaient pas des « pass » (maintenant, la carte d’identité indienne), au nom d’une politique d’exploitation et de contrôle des mouvements des coolies. Actuellement, ils indiquent un troublant espace de confinement de l’identité indienne, déclinée sur la base de la religion et des castes.

L’Inde et l’île Maurice… Deux pays du coolie trade, à travers les mouvements des masses liées au confinement, et à des degrés divers, semblent remettre l’exode des engagés au goût du jour. Leurs histoires de colonisation et de coolie trade, qui expliquent en partie la violence policière, est un fait partagé, avec leurs propres déclinaisons. L’île Maurice et l’Inde, pendant le confinement, devraient travailler à décoloniser leurs polices, en faisant d’elles des « services » de l’ordre et non des « forces de l’ordre », comme le propose Sunil Menon avec beaucoup d’à-propos…

© KT, 29/03/2020

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