vendredi 23 septembre 2011

Haïssable Amérique...




Nous sommes aujourd’hui accablés par le chagrin et remplis d’amertume. Nous sommes  aujourd’hui révoltés et assommés par un déni manifeste de justice. Nous sommes aujourd’hui interdits, le  pays autoproclamé défenseur de la justice et des droits de l’homme, assassine toujours froidement ses citoyens au nom du droit et de la justice.


Rien n'y a fait...


Malgré un engagement à l’échelle de la planète, la mobilisation est restée lettre morte. Les nombreux appels à la clémence émanant de personnalités publiques, d’ONG, de citoyens américains, d’hommes et de femmes du monde entier ont été ignorés par les autorités judiciaires de l’état de Géorgie.
L'exécution de Troy Davis, que nous avions espéré être annulée, a malheureusement eu lieu cette nuit à 23H08 heure locale (5h08 heure de Paris) au pénitencier de Jackson... Troy Davis aura attendu quatre heures une grâce qui n'est pas venue, sanglé comme une bête, les cathéters devant lui transfuser la mort, introduits dans les veines.

Le combat pour la justice ne s’arrête pas à mon cas. Ce combat est celui de tous les Troy Davis qui m'ont précédé et ceux qui me suivront


Déclaration de Troy Davis avant son exécution


Loin de la liesse célébrant l’élection de Barack Obama à la présidence, calibrée de main de maître par cesspin-doctors qui sont à la démocratie ce que la propagande est au libre-arbitre, loin des espoirs délirants nés de ce supposé changement, nous retrouvons l'Amérique et sa justice telles que nous les connaissions, impitoyables vis-à-vis des minorités et des plus démunis. C’est cette Amérique qui plonge ses racines intellectuelles et institutionnelles dans la violence, la bondieuserie la plus cynique et la mise au ban de la société d’un autre indésirable, qui a tué ce matin Troy Davis.


Une question d'organisation...

L'autre c'est ce noir qui, depuis la déclaration d'indépendance de 1776 et la Constitution rédigée par les pères fondateurs en 1787, n'a eu cesse de n’être que le négatif, l'antithèse de l'homme libre, qui part opposition dialectique ou philosophique, ne pouvait être que blanc. Cet ennemi intérieur, on a jugé bon de l’enserrer dans le cadre étouffant, de ce qui  par euphémisme a été désigné sous le vocable d’institution particulière. Un cadre coercitif revêtant différentes formes pratiques, politiques et juridiques d’hier jusqu’à nos jours.
Ce furent donc d’abord l’esclavage, l’institution particulière par excellence, et le système des plantations qui permirent de maintenir cet ennemi à distance respectable et surtout de le contrôler.
Vint ensuite la ségrégation et sa variante rapportée au logement, la ghettoïsation qui permit de perpétuer séparation et marquage social.
Plus récemment fut mis en place l'institution particulière améliorée et finale, le système judiciaro-carcéral. La justice conforme aux dichotomies blanc/noir, libre/asservi, sujet de droit/objet du droit en a garanti l'effectivité, le système carcéral grâce à sa capacité de stockage toujours plus grande en assure la pérennité.Depuis novembre 2008 et ces jours où les afro-américains se prirent à rêver d’une autre Amérique, l’institution particulière n’a pas disparu, bien au contraire elle est plus vivace que jamais.


Jusqu'à ce que la peine de mort nous sépare...


Ne nous leurrons pas, Barack Obama, le prix Nobel de la guerre, n'est rien d’autre que le cache-sexe d'une société qui, loin d'évoluer vers plus de justice, d’égalité et d'humanité n’arrive pas à se départir des règles qui établissent l'infériorité ontologique de l'homme noir, l’ennemi intérieur qu'il faut maîtriser et contenir.


Parmi celles-ci, la peine de mort est le marqueur, Ô combien symbolique de cet état du droit, frontière séparant le citoyen blanc et le citoyen de seconde zone, bien souvent noir et pauvre. Le nombre d'hommes noirs croupissant dans le couloir de la mort rapporté à la composition de la population étasunienne est à ce titre plus qu'éloquent. Alors que les afro-américains forment 12% de la population totale des Etats-Unis, ils sont sur-représentés dans les cellules du couloir de la mort, totalisant plus de 42% des effectifs des condamnés passibles du châtiment suprême.

Seraient-ils tous des  criminels avérés que notre ressentiment et notre colère pourraient être raisonnés. Nous constatons au contraire une inquiétante prévalence d’erreurs judiciaires, de procès tronqués, de témoignages sans valeurs ou d’enquêtes bâclées, de pressions sur les témoins, de l’usage de la force sur les prévenus par les services de police, de la sévérité extrême des jugements lorsque l’accusé est noir.


Ces éléments nourrissent une défiance légitime vis-à-vis du système judiciaire étasunien. Combien d'hommes ont été condamnés non parce que coupables, mais parce que noirs? Combien ont été exécutés alors que l'examen attentif des faits et de la procédure démontraient au mieux un doute raisonnable, au pire leur innocence?


Tuez les donc, puisqu''ils sont noirs et pauvres!


Troy Davis qui attendait dans le couloir de la mort depuis 1991, n'a bénéficié d'aucune clémence. Il n'a eu droit qu'à une justice partiale, de classe et à l’évidence raciste. L’Etat de Géorgie a préféré, plutôt que de reconnaître les errements de sa justice, prendre le  risque d'exécuter un innocent. Cette décision démontre que l'accès à une justice impartiale est, pour le citoyen afro-américain pauvre de surcroît, une chimère.


Cette décision démontre, si besoin était, que la peine de mort est une législation qui n’a pas sa place dans un pays de droit et civilisé. L’institution particulière, elle, n’est pas prêt de disparaître ainsi que cette Amérique restant sur bien des aspects inhumaine et inégalitaire et qui continue de nous faire horreur.

Est-il cependant illogique qu’au pays de l’individualisme et de la défiance envers l’autre(le non wasp, érigé au moyen d’une violence absolue, la peine de mort soit toujours en vigueur ?


Qu’elle soit approuvée et défendue par la plupart des élites politiques, flattant un électorat ultra-conservateur tenant de la loi du Talion ? M. Obama, l’homme du renouveau et du changement, est d’ailleurs lui-même un fervent défenseur de la peine capitale. Se battre pour la justice et l’égalité à l’étranger est un but louable, encore faut-il  se battre en priorité et les faire respecter sur son propre sol...


"Ce n'était pas de ma faute, je n'avais pas d'arme"...*



La vague d'indignation qui a parcouru nos relais médiatiques inéluctablement retombera. Les combattants de l'abolition de cette législation barbare retrouveront l'anonymat mâtiné d'indifférence qui est leur lot quotidien. Troy Davis, dernière victime de la justice raciste et aveugle des Etats-Unis, est entré dans l'histoire, symbole d’une lutte contre la peine de mort qui est à parachever.


À son corps défendant il a intégré la trop longue liste des victimes de la barbarie institutionnelle et ethnocentrée du système judiciaire de la plus grande démocratie du monde. Il est difficile de décrire le sentiment de profonde tristesse teinté de rage qui nous habite. Nous avons vu une fois de plus la main d’une justice injuste s'abattre sur un homme avec la plus grande rigueur et inhumanité parce qu’il était noir et pauvre.

L’impuissance que nous ressentons au plus profond de notre être s’efface devant la douleur qui est désormais celle des proches de Troy Davis, mort évidemment d'être noir au pays du racisme le plus savant. Le pire y étant toujours sur pour les descendants d'esclaves, il faudra bien plus que des slogans marketing, des  symboliques préfabriquées, des postures gandhiennes, pour réformer en profondeur la société américaine.


Un combat à gagner...


M.Obama n'aura que temporairement camouflé la laideur du pays qu'il lui a été donné de diriger : elle est depuis ce matin redevenue visible, les Etats-Unis terre privilégiée du racisme se sont soudainement rappelés à notre souvenir. On nous avait pourtant chanté dans toutes les langues que l’avènement de Barack Obama était synonyme de nouveau départ.

Il fallait plus prosaïquement que tout change, dans la narration mythologique d'Oncle Sam, pour que rien ne change dans les faits, ainsi que l’a démontré l’exécution de ce matin.


C’est le cœur lourd et rempli de colère nous portons le deuil de Troy Davis.
Nous pleurons également cette part d'humanité que nous perdons chaque fois qu'un être humain, est victime de cette injustice absolue et définitive.
Seuls les derniers mots de cet homme digne, ayant clamé son innocence jusqu’à son dernier souffle, permettent d’entretenir la flamme en ces moments de douleur et de recueillement.


Voici retranscrites ici quelques une de ses dernières pensées et paroles: "The struggle for justice doesn't end with me. This struggle is for all the Troy Davises who came before me and all the ones who will come after me…”**


Puisse Troy Davis avoir trouvé paix et repos…


Ahouansou Séyivé


* Déclaration de Troy Davis avant son exécution.
** " Le combat pour la justice ne s’arrête pas à mon cas. Ce combat est celui de tous les Troy Davis qui m'ont précédé et ceux qui me suivront".


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