jeudi 14 février 2013

IMAGINEZ-VOUS CELA ?


Avec plus d’un milliard d’hommes et de femmes sous son autorité spirituelle, au contraire des autres grandes religions qui ne possèdent pas un chef unique, l’église catholique romaine est la plus grande, la plus ancienne, et probablement la plus puissante, de toutes les institutions humaines qui ont pu se réaliser jusqu’à ce jour.

Bien sûr, à cette heure où il faut qu’elle se donne un nouveau chef, sa préoccupation essentielle demeure apostolique. Car, pour faire face à la terrible perte d’audience qu’elle subit sur cette terre d’Europe qui lui a donné le jour, à partir d’une tradition venue d’orient, elle même héritée pour une large part de l’Egypte ancienne, il lui faudra, sinon procéder à une profonde révision de ses dogmes, pour le moins modifier son discours, sa présentation, ses rites, et ses règlements, pour ne pas se retrouver trop éloignée de ses ouailles. Mais ceci, sans pour autant se laisser contaminer par les errances actuelles qui sévissent dans ses sociétés, puisque c’est à elle qu’il appartient justement, d’indiquer la bonne voie.

Cependant, comment pourrait-elle manquer d’avoir également, par delà cette nécessité de reconquête, une grande préoccupation géopolitique corrélative à sa mission apostolique, dans ces autres parties du monde qui rassemblent désormais l’essentiel de ses fideles, où se trouvent pour elle des espaces qui sont à la fois de conquête et de concurrence, et qui sont les endroits de ce monde où maintenant, se situe “l’événement” ?

Pour comprendre malgré sa neutralité proclamée, la nécessité qui est la sienne de s’ingérer dans les affaires politiques du monde, il ne faut surtout pas oublier que cette église catholique dite “romaine”, à failli périr définitivement, et que si tel avait été le cas, rien de l’histoire de notre humanité telle que nous la connaissons n’aurait été. Car, ce que nous concevons aujourd’hui comme étant “l’occident”, dont cette église à joué le rôle fondamental dans la gestation de sa civilisation, et lui a fourni la dynamique et les justifications religieuses, pour entreprendre sa domination sur le monde, n’aurait tout simplement jamais existé.

En effet, vers le milieu du VIIIème siècle, les Lombards, un redoutable peuple de barbares germaniques, franchirent les Alpes et après avoir conquis le nord de l’Italie, dans une région à laquelle ils ont d’ailleurs donné leur nom, la Lombardie, ils foncèrent vers le duché de Rome qui par miracle, se trouvait encore rattaché à l’empire Byzantin, c’est à dire à ce qui restait de l’empire Romain après que la partie occidentale de celui-ci, fut totalement détruite par les grandes invasions, duché sur lequel régnait le pape Etienne II.

Celui-ci se trouvait alors dans une rude querelle avec le patriarche de Constantinople, différent persistant qui trois siècles plus tard, conduira au “schisme grec”, c’est à dire à la séparation des deux églises catholiques, celle d’occident dite “romaine”, et celle d’orient dite “orthodoxe”. Il ne pouvait donc pas faire appel pour sa défense à Byzance, et c’est alors qu’il fit de la “géopolitique”.

En effet, informé de la difficulté qu’avait Pépin le Bref de se faire reconnaitre comme roi de France, suite à la révolution de palais, autrement dit, au coup d’état, fomenté par son père Charles Martel, et qui mit fin à la dynastie des Mérovingiens, Etienne II eut la malice de lui proposer de le reconnaitre comme légitime roi de France, sachant qu’avec le soutien des évêques il deviendrait incontestable, pour obtenir en échange que celui-ci vienne à son secours. C’est ce que fit Pépin le bref, reconnaissant, qui s’en alla écraser les Lombards, et qui leur ayant repris le duché de Ravenne, le céda au pape pour qu’il puisse constituer avec celui de Rome, les états pontificaux.

Ceci inaugura l’alliance sacrée des rois de France avec la papauté, qui interviendront encore à d’autres occasions pour sauver l’église de Rome, et c’est ce qui se trouve à l’origine de la formule selon laquelle la France est dite, “fille ainée de l’église”.

De cette époque les papes ont retenu qu’il ne leur suffisait pas de faire du catéchisme, mais qu’il leur fallait aussi faire de la politique, et ils ne vont pas s’en priver tout au long des siècles suivant, faisant et défaisant, rois et empereurs.

C’est ainsi que l’élection d’un pape polonais va constituer un des éléments importants, sinon le plus important, dans la destruction du glacis communiste, le Vatican lilliputien étant ainsi parvenu à mettre en grande difficulté, via la Pologne, la puissante Union Soviétique et le pacte de Varsovie. Cependant, ce succès se trouve paradoxalement à l’origine d’une des actuelles difficultés du Vatican, parce que suite à cette démonstration, et pour ne surtout pas prendre le risque de se retrouver éventuellement eux aussi, dans une situation délicate, les Américains se sont lancés depuis ces années, dans une vaste entreprise de marketing religieux, avec des hordes d’évangélistes lancés à travers le monde entier, pour constituer leur clientèle aux dépens de l’église de Rome.

Leur grand succès tient tout d’abord au fait que ces évangélistes qui, ne relevant pas selon leurs multiples églises, d’une unique autorité doctrinale, peuvent tenir à leur ouailles des discours à la demande, sans les encombrer avec la redoutable “ascèse” si austère du Vatican, avec ses nombreux interdits tels que ceux sur la contraception, si mal supportés par les fidèles. D’autre part, il n’hésitent pas à user par le moyen du mysticisme, d’une forme de populisme, en laissant croire complaisamment à des fidèles déçus du peu de “rentabilité” des offices romains, qu’ayant accédé par un dialogue direct et personnel avec le ciel, à la vraie révélation, ils constituent par le fait, une caste “d’éclairés”, au milieu des ténèbres. Et tout ceci, alors que se sont trouvées mises en œuvre pour le sacerdoce de ces ministres protestants, des techniques assez proches de celles du “show biz”, bien plus stimulantes il est vrai, que le “tantum ergo”.

Dans une telle situation, ceux du conclave oseront-ils placer un nègre sur le siège de Saint-Pierre, ont-ils intérêt à le faire, et n’ont-ils pas d’autres cartes bien meilleures que celle-ci, à jouer ?

On peut penser que ce coup d’éclat ne viendrait pas au bon moment. Car le paradoxe, c’est que ce ne sont pas tant les pratiquants qui depuis déjà quelques années, se sont habitués à voir les offices célébrés jusqu’au fond des campagnes, par des prêtres africains, qui seraient les plus “dépaysés” par une telle nomination. Ce serait plutôt au-delà de ceux-ci, ceux des Européens bien plus nombreux, qui se disent catholiques et même au delà de cette église, qui se disent tout simplement “chrétiens”, et qui sont en fait des laïcs pour lesquels leur religion constitue une appartenance bien plus “culturelle” encore, que strictement “cultuelle”, qui risqueraient d’être à leur corps défendant, profondément troublés.

Car, nous sommes malheureusement à ces heures de grand doute de l’occident quant à lui-même, à cause des difficultés sociales et économiques irréductibles qui l’étreignent, alors qu’il se trouve également fragilisé par une sévère autocritique qui lui est imposée, non seulement par le regard réprobateur que d’autres portent sur lui, mais surtout par l’examen historique consciencieux de ses faits, au regard de la morale, même s’il est clair cependant, que ceux-ci trouvent leur explication dans une logique implacable du cours des temps.

Dans cette situation, il parvient encore à se donner des explications qui lui permettent de nier sa régression, et de conserver ainsi l’espoir de surmonter une épreuve qu’il veut croire passagère. Mais, l’installation d’un Africain sur le saint siège, tout en signifiant le triomphe d’une pensée que l’occident est parvenu à exporter, voire imposer, aux autres civilisations, semblerait malgré tout confirmer, par une représentation aussi exotique de ce qui demeure la plus puissante “autorité” qui s’exerce sur lui, son déclin, et tel ne peut pas être l’objectif de l’église.

Dans une préoccupation “démocratique”, laquelle ne participe pas il faut bien le dire, des scrupules et des usages de l’église, l’élection d’un pape sud américain serait cohérente, et ne manquerait pas de rencontrer un très vif succès, en confirmant ainsi la vocation universelle de cette église.

Bien sûr, un autre fantastique coup d’audace serait l’élection d’un pape asiatique. Car, ceci faciliterait une réconciliation entre l’église catholique romaine, et l’église catholique nationale de Chine, qui fut créée par les communistes, justement pour soustraire ceux qui demeuraient fidèles à cette croyance, de l’influence de Rome. Ce serait le point de départ d’un rayonnement dans les vastes espaces asiatiques où là encore, les américains ont lancé leurs hordes de missionnaires, pour combler de leurs concepts luthériens, à la faveur de l’ouverture du régime quant à ces questions, le désert spirituel dans lequel les communistes avaient placé ce pays.

Cependant, même si les asiatiques bénéficient auprès des Européens, d’une notoriété bien supérieure à celle des Africains, la côte d’amour que pourrait avoir un des leurs, auprès des fidèles de l’église catholique, n’est pas garantie...

Le suspens demeure donc entier, avant que nous puissions entendre, lancé depuis le célèbre balcon de Saint Pierre de Rome, les mots, “habemus papam”...!

Paris, le 14 février 2013
Richard Pulvar

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