dimanche 20 mars 2011

Libye : bienvenue dans un guêpier



Par PIERRE BEYLAU, RÉDACTEUR EN CHEF MONDE
L'auteur de ces lignes court un très grand risque. Celui d'être taxé d'esprit munichois, d'insensibilité face à la détresse des peuples, de froid cynisme, d'indulgence équivoque envers les dictateurs les plus répugnants. Par ces temps d'unanimisme belliqueux, il ne fait pas bon jeter le doute sur la légitimité de l'intervention dans les sables libyens. Allons-y tout de même. Car cette croisade aérienne pose de sérieuses questions qu'il n'est pas très sain d'éluder.
Première question : l'Occident a-t-il vocation à venir en aide aux peuples en révolte, à imposer la démocratie par la force des armes ? 
Il ne peut y avoir deux poids, deux mesures. Il faut, dans ce cas, impérativement intervenir au Yémen où des dizaines de manifestants ont été tués ces derniers jours. À Bahreïn aussi bien sûr, où la majorité chiite veut se débarrasser du pouvoir sunnite qui l'opprime. Il convient de mettre en demeure l'Arabie saoudite, sous peine de sanctions, de cesser ses ingérences chez son voisin. Riyad, comme Abu Dhabi, a dépêché des troupes pour y rétablir un ordre injuste et contesté. Si, demain, le peuple algérien se soulève contre la clique qui met le pays en coupe réglée, que fera-t-on ? On bombardera Alger ? Et quid de la Syrie où une minorité, les Alaouites (15 % de la population), domine la vie politique du pays, de la Jordanie où les Bédouins tiennent le manche alors que la majorité palestinienne n'a que des miettes ?
Deuxième question : une fois Kadhafi balayé (Inch Allah !), comment sera gouvernée la Libye ? 
Celle-ci est un patchwork de tribus amalgamées artificiellement en 1951 par l'addition de la Tripolitaine, de la Cyrénaïque et du Fezzan. Des chercheurs assurent que la cohésion tribale est en forte diminution en raison de l'urbanisation qui a entraîné un mélange des populations. Voire. Des traditions ancrées dans les mentalités depuis des siècles ne disparaissent pas comme un vent de sable. Le Conseil de transition mis en place à Benghazi est un curieux cocktail d'ex-caciques du régime, de "bourgeois" éduqués, de chebabs (jeunes). Son président est un ancien ministre de la Justice de Kadhafi, son chef d'état-major un ancien ministre de l'Intérieur. Ils ont évidemment cautionné les crimes du système et sont probablement éligibles à la Cour pénale internationale. Les chebabs ont rarement lu Tocqueville et ne sont pas, non plus, uniquement animés par le souci de défendre les droits de l'homme. Le danger, en fait, est de voir la Libye transformée en une nouvelle Somalie.
Troisième question : la solidarité du monde arabe avec la coalition est-elle solide ? 
Rien n'est moins sûr. Kadhafi est considéré entre Nil et Euphrate comme un fou irresponsable. Mais les frappes occidentales doivent être judicieusement dosées. Car à la moindre bavure, c'est la catastrophe. Le spectacle de civils ou même de militaires libyens pulvérisés par l'aviation alliée passant en boucle sur les antennes d'Al Jazeera aurait des effets ravageurs.
Les expéditions militaires commencent toujours bien, la fleur au fusil. La suite est plus compliquée à gérer.

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