Au-delà des interrogations sur les fuites, sur les quotas ethniques au sein des instances dirigeantes du football, cette affaire doit, une fois de plus, nous donner l’occasion de rappeler les principes fondamentaux de la République et de nous interroger sur l‘état de la société française.
Les propos tenus lors de la réunion du 8 novembre 2010 à la FFF sont révélateurs d’un air du temps délétère où une certaine parole se libère. Qui vitupérait l’équipe de France « black-black-black », qui poussait le zèle arithmomane à compter le nombre des joueurs noirs en équipe de France, trouvent un écho dans ces échanges au sein de la plus haute instance du sport français le plus populaire. Cette discussion in petto trahit l’interaction insidieuse entre le discours ambiant et les actes discriminatoires qui ne disent pas leur nom, y compris dans le sport, dont on pouvait penser qu’il était par excellence le domaine de la performance, du dépassement de soi, de l’esprit de fair-play et donc qu’il était épargné par les considérations parasites. Le sport, lieu supposé de l’éthique et de l’équité, où le seul baromètre admissible est la qualité individuelle et qui, de ce fait, porte en lui une exemplarité unique.
L’histoire du sport montre aussi comment des figures emblématiques ont pu bousculer le cours de l’Histoire. Ainsi, en défiant l’Allemagne nazie d’Hitler et ses théories fumeuses sur les races supérieures Jesse Owens, quadruple champion olympique à Berlin, devient le héros paradoxal d’une Amérique ségrégationniste et ébranle ses préjugés. John Carlos et Tommie Smith, mains gantés sur le podium olympique de Mexico, revendiquent la fierté d’être noirs dans une Amérique encore gangrénée par la question raciale. Pelé, descendant d’esclave devenu triple champion du monde, se hisse au rang de symbole dans la dictature militaire brésilienne raciste. Mohamed Ali porte l’étendard de ceux qui croient en une race unique, la race humaine, en refusant de combattre ceux qu’il appelle ses « frères vietnamiens »… Les exemples sont multiples où le sport transcende l’exploit physique et le cadre circonscrit des stades pour porter des valeurs politiques et humanistes universelles.
Le sport est un formidable vecteur de reconnaissance et de promotion sociale. Les athlètes courent, gagnent pour leur pays et chaque citoyen s’approprie ces succès. La réussite des Noirs a eu un effet d’entraînement extrêmement positif. Avec Marie-José Pérec, Marius Trésor, Christine Aaron, Basile Boli, Gérard Janvion, Simon Jean-Joseph, Maryse Ewanje-Epée, Stéphane Diagana, Yannick Noah..., les Français noirs ont trouvé des modèles valorisants auxquels ils pouvaient s’identifier. Cette construction des minorités par le sport a offert une soupape de sécurité à nos responsables politiques confrontés aux revendications légitimes des personnes, des associations et des leaders d’opinion luttant contre toutes les discriminations raciales dont sont victimes certains de nos concitoyens.
La probable affaire de « petit racisme entre amis » traduit le malaise de notre pays, les dernières réticences conscientes ou inconscientes des irréductibles n’acceptant pas ce qu’est déjà la France et tentent de confisquer à certains la part de réussite qui leur revient de droit. La ministre des sports, Chantal Jouanno a pris la mesure de l’affaire en demandant l’ouverture d’une enquête puis en suspendant M. Blaquart. Espérons que d’autres voix se joindront à elle pour condamner aussi fermement ce quarteron de dirigeants irresponsables qui met à mal les principes d’égalité et de fraternité de notre pays.
Nous balayons le prétexte avancé de la bi-nationalité. La majorité des jeunes sortis de nos centres de formations évoluent dans les clubs français puis européens. Seule une infime partie pourra un jour espérer porter le maillot bleu. Une minorité de ces jeunes dont les parents sont d’origine étrangère non retenus par le sélectionneur français feront peut-être un jour le choix d’une autre équipe nationale. Faut-il pénaliser la majorité pour quelques dizaines de cas ? Par extension, l’Education Nationale devrait-elle refuser de scolariser des enfants dont les parents sont d’origine étrangère sous prétexte qu’ils pourraient exporter ce savoir appris à l’école française ? L’évidente absurdité d’un tel débat montre que les arguments sur la bi-nationalité de ces jeunes avancés par Laurent Blanc ne sont qu’un fumigène pour masquer une conversation détestable dont le sélectionneur s’excuse aujourd’hui, mais « sans rien retirer », ajoute-t-il, annihilant toute leur portée. En effet, des excuses sans remords sont des caresses avec les ongles.
Si nous n’avions pas eu vent de cette singulière affaire, certains de nos jeunes n’auraient pas intégré un centre de formation. Des parents, des responsables d’associations antiracistes auraient crié au scandale et personne ne les aurait crus ni entendus. Le plafond de verre, invisible mais bien réel, de notre société, s’est montré sous son vrai jour. Il faut le garder en tête, même si les éléments de preuve ne sont pas toujours tangibles, et comprendre la souffrance des victimes au lieu de la nier. Cet épisode malheureux doit nous interroger sur nos propres comportements, nos corporatismes, nos communautarismes. Ceux qui hurlent « non au communautarisme » sont souvent les premiers communautaires !
La discrimination est une entorse grave à l’un des principes inconditionnels et irréductibles de notre République. La Déclaration des droits de l’homme énonce en effet que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». La liberté, l’égalité et la fraternité que la France prône aux yeux du monde, ces principes que nous enseignons à nos jeunes ne doivent plus être piétinés par quiconque et encore moins par des personnes à qui nous confions une partie de l’éducation de nos enfants.
Le concept de diversité a leurré un temps celles et ceux subissant la violence de la discrimination en France. Il doit être remplacé par la détermination des êtres de bonne volonté à briser la spirale du racisme. La France doit faire sienne l’idée que seul compte l’individu, le citoyen. Nous ne parlons pas d’une société multiraciale, mais d’une France des principes, des idées, du génie, du talent des femmes et des hommes, en faisant fi de la couleur de la peau et de l’origine. Dépasser les préjugés est possible, malgré les périodes tragiques de l’histoire (esclavage et colonisations). Les Outre-mer sont le symbole que le vivre ensemble est possible. Certes tous les problèmes ne sont pas réglés, mais chacun s’efforce de trouver les voies de l’égalité. Cette affaire de « foot » vient rappeler que le ventre est encore fécond d'où est sorti la bête immonde du racisme. Ce constat décuple notre projet de changer la société française, afin qu’elle se regarde et s’accepte telle qu’elle est, avec ses histoires, ses populations… et son équipe nationale.
CLAUDY SIAR
Délégué interministériel pour l’égalité des chances des Français d’Outre-Mer
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