mardi 31 mai 2011

CECI N’EST PAS UN FAIT DIVERS….


L’affaire DSK a suscité une multitude de commentaires un peu partout à travers le monde, depuis ceux des tabloïds étasuniens acharnés à démolir l’ex-patron du FMI jusqu’aux scandaleux propos machistes et « classistes » d’une bonne partie du landerneau politico-intellectuel français tout entier dévoué à DSK en passant par la dénonciation du comportement de ce dernier dans les pays du Tiers-monde.
Or, personne n’a relevé le fait que si pour un Européen, un Arabe, un Asiatique, un Africain ou un Océanien, cette affaire relève du fait divers, du fait divers sordide certes, mais du fait divers tout de même, pour nous « Américains », il en va tout autrement. Et plus précisément pour nous « Américains Afrodescendants » et même en allant encore plus loin, pour nous « Américains partiellement Afrodescendants ».
Pourquoi ?
Parce que pour nous « Américains partiellement Afrodescendants », le geste présumé de DSK ne peut en aucun cas être un fait divers. Il est la remémoration, la réitération d’un geste historique cent fois, mille fois, dix mille fois répété depuis la conquête de l’Amérique par les Européens et le « charroi » des Noirs dans le Nouveau Monde : le viol de la femme esclave noire par son maître blanc.
Nous, « Américains partiellement Afrodescendants » (métis, mulâtres, chabins et autres) somme précisément nés de ce viol. Notre couleur « wayayay », comme on dit en créole, en est la preuve. En découvrant la nouvelle à la télévision, j’ai immédiatement pensé à mon arrière-arrière-arrière-grand-mère africaine. Je n’ai pas pensé à un acte machiste (toute femme est une proie), je n’ai pas pensé à un acte « classiste » (toute domestique peut être troussée), je n’ai pas pensé à un coup de folie (tout homme en a un au cours de sa vie), je n’ai pas pensé à un acte manqué au sens psychanalytique du terme (DSK ne voulait pas au fond de lui-même devenir président de la France) etc…
Non, j’ai pensé à ce geste premier, fondateur en quelque sorte de notre société créole. Geste répété siècle après siècle, cela du 16è au 20è siècle. Pour preuve : l’anthropologue Michel Leiris se voit confier par l’UNESCO, en 1956, une enquête sur les « Contacts de civilisations en Martinique et en Guadeloupe » dont il tirera un livre du même nom. Dans ce livre, il cite un Béké, Gabriel Hayot, qui déclare froidement avoir…40 petits mulâtres. Oui, quarante ! Et on est en 1956. L’UNESCO étant une institution sérieuse, Michel Leiris un éminent anthropologue et G. Hayot n’ayant pas porté plainte pour diffamation, nous avons donc toutes les raisons de croire en la véracité de cette information.
Cela pose la question de cet acte premier et de sa nature. Le mot « viol » est peut-être trop fort. Sans doute dans les premiers temps de la colonisation des Antilles, les colons blancs devaient utiliser la force physique pour s’accoupler avec les négresses, mais au fil du temps, leur simple position dans la hiérarchie socio-ethnique insulaire leur a suffi pour imposer leur loi. Dans la fameuse « Habitation », un planteur ou un géreur n’a pas besoin de menacer l’amarreuse de canne ou la servante à l’aide d’un fouet ou d’une arme pour obtenir ses faveurs. Ces dernières se doivent d’obéir, c’est tout. C’est-à-dire d’accepter la loi du plus fort. « Abuser » convient dès lors mieux que « violer » dans le sens où « abuser » indique qu’il n’est pas (ou plus) besoin d’utiliser la violence physique.
Nos arrière-arièrre-arrière-grands-mères ont donc d’abord été violées, puis leurs descendantes abusées et cela jusqu’au milieu du XXe siècle comme le montre l’exemple cité par Leiris. Nafissatou Diallo, l’employée guinéenne du Sofitel-Manhattan, est, si elle dit vrai, en quelque sorte la réincarnation de l’une d’elles et DSK, celle du maître blanc. Non, décidément, pour nous Américains partiellement afrodescendants, cette affaire n’est pas, ne peut pas, être un fait divers.
Or, dans les centaines de commentaires d’internautes antillais, dans les « coups de gueule » radiophoniques et autres courriers des lecteurs ou SMS des journaux de chez nous, jamais cela n’est évoqué. Jamais. Nous réagissons face à cette affaire comme si nous étions Européens, Africains, Arabes ou Asiatiques.
Nous avons donc raturé ce viol premier (et répété) de nos mémoires…

Raphaël CONFIANT

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