lundi 5 avril 2010

77 jours après le séisme (bagay la)


77 jours après le séisme (bagay la).

Mes Chers Amis,

Un jour : Quelqu’un m’a interrogé en me disant ceci : « Où donc ce peuple trouve t-il la force de vivre et de s’engager après un tel séisme ? Et un autre de dire : « On ne voit nulle part ailleurs, une telle envie de vivre. D’où vient cette soif ?

Ces questions m’ont inspiré à écrire cet article.

Notre pays continue à traîner à l’issue du séisme : une insécurité et un traumatisme à peine croyables. La majorité de la population Port-au-Princienne et des autres villes touchées, vit sous des tentes en plastique, en toile ou des bâches tout court. C’est un cauchemar inouï à chaque averse.

La terre continue à trembler à la Capitale et deux fois dans la deuxième ville du pays, le Cap-Haïtien où il y a eu deux secousses de 4.5 (points) le même jour.

Les pluies rendent la vie dure à la population. Si la situation socio-économique avant séisme commençait à être légèrement améliorée, les dégâts causés par le tremblement de terre ont tout fait voler en éclat. Comment expliquer que la majorité des pauvres du pays et des haïtiens riches, lourdement frappés soient encore debout comme un roseau ? Je vais essayer de donner les raisons : Nous sommes un peuple à la fois religieux pour la grande majorité et croyant. Sur Dieu et les esprits, nous faisons tout reposer. Oui, tout. C’est tout à fait comme l’homme Vétérotestamentaire. Notre culture forgée par notre histoire fait du peuple haïtien, un peuple endurant, résiliant et fort. Nous sommes aussi un peuple plein d’humour et c’est une chance pour nous. Il faut se mettre à l’écoute pour comprendre l’humour des pauvres gens en décrivant tout ce qui s’est passé pendant le séisme, à travers des blagues, des anecdotes, certaines sont tellement comiques que c’est à se tordre de rire. Un petit exemple : Une dame vendait de la viande dans sa boucherie. Un chien passe et attrape un morceau important. Furibonde, elle saute dehors pour enlever la viande de la gueule du chien et la maison où elle se trouvait s’écroule derrière elle ! Un ‘’loustic’’ commentant le fait, dit : « Même les animaux ont sauvé des gens du séisme !» Deux fiancés se disputaient entr’eux, lui, quitte la maison furieux pour aller chez lui. Elle, sort dehors pour li dire une bêtise parce qu’elle était fâchée. La maison est tombée et tous les gens qui se trouvaient à l’intérieur ont péri !

Si à certains points de vue, la nature gâte l’haïtien, à d’autres, nous sommes vraiment maltraités par elle et si nous gardons la tête au-dessus de l’eau, c’est grâce à Dieu certes, et à notre sens de l’humour, notre capacité de rire, de sourire, et notre grand sens de la fête même dans les pires moments. En milieu rural, c’est au rythme du chant, du rire, de la fête et de la danse qu’on enterre les morts. La veillée mortuaire est aussi marquée par une ambiance festive où les gens chantent, dansent, se racontent des histoires, disent des blagues, jouant aux cartes et mangent ensemble.

L’haïtien en général, n’a pas besoin de grand’chose pour se recréer et créer des espaces festifs : Après une victoire de l’équipe brésilienne ou d’argentine, spontanément, l’haïtien est dans la rue le soir même pour faire la fête… Qu’y a-t-il de vraiment commun entre le Brésil et l’Haïtien ? Dieu seul le sait ! Facilement, l’haïtien dira : « je suis brésilien ou argentin. » Ils se bagarrent entr’eux après la défaite d’une de ces deux équipes. Au moment de l’accident d’un véhicule, l’haïtien s’attriste, compatit à la cause de la victime, va donner un coup de mains mais cherche aussi à avoir le numéro de la plaque du véhicule pour aller jouer à la loterie avec la certitude qu’il va gagner parce que le soir d’avant, un esprit était venu lui souffler à l’oreille qu’il doit miser sur tel numéro pour gagner !

L’Haïtien sait se moquer de lui-même en riant facilement et cela désarme l’expatrié, choqué, interloqué qui se demande : Pourquoi rit-il ?

Les gens pauvres jouent tout le temps, les hommes en particulier et donnent souvent l’impression qu’ils se disputent ou se battent entr’eux.

La joie de vivre du peuple Haïtien est contagieuse et thérapeutique. C’est la raison qui explique que nous avons peu de gens fous et de suicides dans le Pays. Certains expatriés me disent souvent : Le peuple haïtien est un peuple de résignés, de fatalistes, d’amnésiques, subissant et acceptant tout. Mais je leur réponds qu’ils ont une fausse vision de l’haïtien. Cette manière d’être et de paraître exprime de préférence une sagesse profonde et une capacité inouïe et réaliste d’attente favorable pour dire ou faire quelque chose. Il sait qu’il ne peut pas échouer et qu’il ne peut pas se payer le luxe de se lancer dans des aventures sans lendemain comme individu et comme peuple mais il a aussi peur de la mort.

En revanche, cette mentalité constitue un frein énorme au développement socio-économique d’un peuple. L’haïtien ne croit pas du tout qu’un compatriote puisse accéder à la richesse par un effort physique et intellectuel soutenu et opiniâtre. Dans l’imaginaire de l’haïtien, celui qui a réussi a volé, il fait partie d’une gang, reçoit l’héritage d’un esprit (loa) des ancêtres, donne sa femme ou ses enfants comme gage. L’haïtien corrompu, malhonnête, se fait trop facilement coller le titre d’homme intelligent, bluffeur. A côté de cela, il y a le culte à l’inaction et la peur du succès.

Pendant deux grands moments de l’année, le peuple exhibe chaudement son humour et sa joie de vivre dans une liesse collective et populaire : La période carnavalesque et le rara (fête traditionnelle et très populaire organisée pendant la semaine sainte. Parmi les deux, le temps du rara me sidère toujours. Comment comprendre la cohabitation de la fête rara et les festivités du vendredi-saint ? La Croix et la liesse populaire, la célébration de la mort de Jésus-Christ au rythme du tambour et de libations de toutes sortes ? C’est ce qui faisait dire à l’un de nos grands poètes : « Le peuple haïtien est un peuple qui rit, qui chante et qui pleure. » Un peuple roseau qui plie mais ne rompt pas.

Qui peut trouver l’explication de ces faits ? Un peuple qui vit majoritairement avec moins d’un dollar us par jour et dans des conditions presque proches de la mort, qui veut vivre, il ne demande que cela. Mystère !

Mais, aujourd’hui, concrètement, où en sommes-nous dans ce Pays ?

L’aide massive promise par la Communauté Internationale arrive au compte-goutte dans les coins les plus reculés où se réfugient tous ceux et celles qui ont fuient la capitale par peur de nouvelles répliques. Certaines personnes ou stations de radio, augmentent cette psychose de peur chez les gens. La décentralisation et la déconcentration du pays sont deux réalités qui s’imposent à nous de manière brutale et c’est une chance pour le développement durable du pays. Mais si rien n’est dit, si rien n’est fait, si la population n’est pas en confiance et si tout continue à évoluer comme par le passé, comme si de rien n’était, la population peut retourner massivement à Port-au-Prince. Dans ce cas, nous aurons manqué encore une fois, à un rendez-vous important de l’histoire. En vérité, le Gouvernement glane des « sous » où c’est possible mais hésite à annoncer ses projets de manière nette et claire, parce que le chat échaudé craint l’eau froide. Maintes fois dans le passé, des annonces ont été publiées tambour battant et la montagne a accouché d’une souris …

Et pourtant, la population a besoin d’aide pour se nourrir, de travail pour prendre sa vie en mains et de crédit hypothécaire en vue de construire des maisons parasismique. Cette fois-ci, la création d’emploi est urgente à travers le Cash For Work et le Food For Work. Les restos communautaires sont bienvenus pour les réfugiés qui n’ont ni toit, ni cuisinière pour préparer à manger. La présence de psychologue est de plus en plus nécessaire car de nouveaux enfants ont des troubles sérieux sur le plan psychique, ils méritent d’être accompagnés et assistés. Les paysans ont besoin de semences, de pompes d’irrigation et d’encadrement technique pour affronter la nouvelle saison des pluies. Les gens du pays profond attendent mais qui comblera leur attente ?

Quid de la réouverture des classes ! Si le gouvernement s’est prononcé pour la réouverture dans les zones qui n’ont pas été affectées par le séisme concernant Port-au-Prince et les autres villes atteintes, aucune décision n’a été encore officiellement annoncée. Les parents nantis envoient leurs progénitures à l’étranger et d’autres, dans des villes de province « Save ». Mais la réouverture des classes à Port-au-Prince et ailleurs n’est pas une mince entreprise. Je le dis par expérience pour notre Institut René et Françoise de la Serre. Les raisons : Les Institutions victimes sont très nombreuses. Beaucoup de Professeurs ont perdu leurs maisons et tous leurs biens mêmes, des membres de leur famille. D’autres, ne pouvant pas joindre ‘les deux bouts’ se réfugient en Province. S’ils reviennent, où seront-ils relogés ? Le spectre de nouvelles répliques est omniprésent dans la tête de ces derniers. Où loger les nouvelles salles de classes ? Pour les familles victimes qui ont tout perdu, l’Etat a promis de leur venir en aide. Sera-t-il en mesure d’honorer ses promesses ? Que fera-t-on des chiens enragés qui vadrouillent dans les rues, mordant des enfants ? Nous allons tout faire en ce qui nous concerne pour la réouverture des classes mais la tâche est immense et titanique !

Merci à tous les amis à travers le monde qui nous aiment, nous font confiance et nous donnent la chance de vivre et d’exister comme peuple libre, indépendant et fier.

Dieu, Père de Jésus, de l’unique histoire du monde et de l’humanité, Dieu de la Vie, de la Vie en abondance, recrée en nous ta Vie et donnes-nous l’espoir et l’Espérance d’une vie meilleure. Merci Vie, merci Vie Eternelle. Maranatha !

Joyeuse Fête de Pâques !

Francklin Armand

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