Professeur de littérature, journaliste et romancier, Lyonel Trouillot fait partie des rares auteurs haïtiens qui ont choisi de rester au pays. Dans une pétition datée du jeudi 30 décembre, il dénonce avec d'autres intellectuels haïtiens une « dérive autoritaire du pouvoir » (Lire ici). Dans un entretien accordé à Témoignage chrétien, il évoque le séisme et les élections.
"TC : On présente l’année 2010 comme l’année des écrivains haïtiens. Qu’en dites-vous ?
Lyonel Trouillot : Ils avaient dit la même chose pour l’année 2009 avec la remise de plusieurs prix à plusieurs auteurs haïtiens. Mais je crois qu’à l’étranger on ne connaît qu’une infime partie de la scène littéraire haïtienne. Prenez par exemple la poésie qui depuis toujours est très importante dans mon pays : il y a très peu de poètes connus en dehors des frontières. Seulement ceux qui sont en relation avec des Blancs. Alors je ne sais pas si 2010 est vraiment notre année. Il faut rester modeste et avoir conscience que nous avons la responsabilité énorme de témoigner de ce qu’il se passe ici.
TC : Pourquoi avoir fait le choix de rester quand tellement de choses poussent les autres à partir ?
Disons que je suis revenu. J’ai vécu aux États-Unis de 14 à 19 ans. Pourquoi suis-je revenu ? Il faut plutôt demander aux autres pourquoi ils ont quitté le pays. Je fais partie de ces gens qui considèrent que les Haïtiens doivent vivre en Haïti. En revanche, il faudrait que certains utilisent le mot « exil » à meilleur escient. Pour moi, les exilés sont ceux qui ont été forcés de partir de leur pays pour des raisons politiques. Il faut arrêter de se moquer du monde : ce n’est pas le cas pour les écrivains d’Haïti. Ils sont des immigrés pas des exilés.
TC : Après le tremblement de terre, les médias ne se sont pas adressés aux politiques mais aux écrivains. Pourquoi ?
Si les médias se sont adressés à nous, c’est que nos politiques sont absents et muets en plus d’être incompétents. C’est pour cette raison que nous avons la lourde responsabilité de témoigner. Enfin, il ne faut pas oublier que contrairement aux écrivains français, les auteurs haïtiens, eux, ne peuvent pas se payer le luxe de ne pas être des intellectuels. Car c’est en intellectuel que nous parlons de la situation à Haïti, pas en écrivain. Un écrivain n’est écrivain que quand il écrit et qu’il touche ses droits d’auteurs. Moi, je parle en tant que citoyen haïtien qui écrit.
TC : Vous qui vous êtes retrouvé sous la tente comme des millions d’Haïtiens, quel bilan tirez-vous de cette année ?
Je me suis retrouvé sous la tente avec mes proches, mais j’ai eu la chance de pouvoir rester dans la cour de ma maison. Malheureusement tout le monde n’a pas eu cette chance. On peut tirer deux enseignements de cette année. Le premier est l’incompétence du personnel politique haïtien en même temps que l’échec cuisant de la « communauté internationale », cette nébuleuse d’institutions et de gouvernements qui se disent les amis d’Haïti… Le second est la capacité du peuple haïtien à résister. Ces élections nous ont permis de faire un pas supplémentaire dans la prise de conscience que les Haïtiens doivent faire les choses par eux-mêmes. C’est par ce chemin-là que viendra le salut d’Haïti.
TC : Le peuple haïtien est-il dans la résistance ou dans la survie ?
Je préfère le mot « résistance », au mot « résilience » qui est trop souvent utilisé pour définir les Haïtiens. Quand je vois tous ces jeunes qui créent leurs associations ou qui descendent dans la rue contre la fraude aux élections, je pense que beaucoup d’Haïtiens résistent. On ne peut pas résumer un peuple en disant qu’il est « maudit » ou qu’il appartient au « pays le plus pauvre du continent américain ». Il y a du malheur, mais il y a aussi du bonheur et des choses qui ont du sens dans ce pays. Il faut que le monde apprenne à écouter les Haïtiens.
TC : Qu’avez-vous pensé du déroulement des élections ?
Quelles élections ? Il y en a eu ? On ne peut pas appeler « élections » cette mascarade, ce mensonge, cette catastrophe. Cela faisait longtemps que je n’avais vu cela, mais cette fois les Haïtiens sont en colère et quand ils sont en colère, cela peut aller très loin.
TC : Vous dénoncez les clichés des médias et de la communauté internationale à l’égard de votre pays. Quel regard voudriez-vous que le monde porte sur Haïti ?
Je voudrais que le monde écoute les Haïtiens. Je voudrais qu’il découvre que nous sommes un peuple qui résiste, que nous sommes un peuple vivant.
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