dimanche 24 janvier 2010

La relève des pompiers, dans une ambiance de fin du monde


Les pompiers de la sécurité civile de Brignoles, dans le Var, sont repartis de Port-au-Prince hier matin. Ils étaient arrivés dès le lendemain de la catastrophe. Ce sont eux qui ont sorti les premiers survivants des décombres, notamment à l'hôtel Montana. Ils en ont vu de toutes les couleurs. « Des choses qu'on ne peut même pas raconter... »

À partir d'aujourd'hui, ils vont rester quatre jours en Martinique, dans un hôtel, pour récupérer. Pourtant, individuellement, beaucoup de ces hommes avouent qu'ils aimeraient rentrer chez eux : « Je voudrais voir mes enfants. » C'est fou comme le malheur fragilise les plus durs. Ils ont travaillé jusqu'au bout sous le soleil brûlant, dans la poussière épaisse et l'odeur infecte, parfois jusqu'au malaise, dans les gravats que les bulldozers américains n'ont pas encore attaqués. « Ils font vraiment ce qu'ils veulent. Ils n'écoutent personne. » Ceux qui viennent d'arriver pour la relève vont se concentrer sur les hôpitaux. Avant-hier, un colonel a sauvé in extremis une gamine de huit ans. « Elle avait une double fracture du bassin, elle attendait sans rien dire depuis huit jours. Ils sont exceptionnels de courage. Il lui fallait une opération tout de suite. Par chance, un avion partait immédiatement pour Pointe-à-Pitre, j'ai réussi à la mettre dedans. Une demi-heure plus tard, c'était foutu. » Des histoires comme celle-là, il y en a tous les jours. Et c'est loin d'être fini. À l'hôpital de la communauté haïtienne, c'est la cour des miracles. Des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes, qui attendent dehors, dans la poussière, à même le sol, allongés ou pas, dans un silence et une dignité époustouflants. Ils ont des fractures, des moignons, parfois, quand on a eu le temps de les amputer. Et ils ne disent rien. Pas une plainte, pas une question. Les pompiers français passent de l'un à l'autre. Un diagnostic, des soins sur une plaie purulente, une urgence qui se décide parce que le mal empire, ils n'arrêtent pas. Mais le soir, en rentrant à leur camp de fortune, ils se découragent : « Parfois les Américains passent derrière nous. Ils modifient les consignes, font ce qu'ils veulent. » Un colonel tranche : « Ils nous prennent pour des ploucs. »
« La ville de la mort »

Un sourire, quand même : « On a accouché une jeune femme. Elle a donné mon prénom à son fils. » Pour le lendemain matin, la mission vient de tomber : « Je dois composer une équipe pour aller récupérer le corps d'un Français, qui a été localisé. Dans un sale état. Je vais choisir des hommes d'expérience. Il y a aussi un deuxième corps, qui normalement ne doit pas être loin, vu que les deux personnes étaient ensemble au moment du séisme. » Pendant ce temps, dans cette ville à terre, écroulée sur elle-même, infestée et puante, la population survit sur les trottoirs, parce que plus personne n'ose entrer sous le béton. Ceux qui partent fuient « la ville de la mort », c'est l'expression qui court à Port-au-Prince ces jours-ci. Une ambiance de fin du monde. Les pompiers savent que c'est ce qu'ils vont vivre pendant dix à quinze jours... •

ÉRIC DUSSART
http://www.lavoixdunord.fr/France_Monde/actualite/Secteur_France_Monde/2010/01/24/article_la-releve-des-pompiers-dans-une-ambiance.shtml

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