lundi 18 janvier 2010

Urgence en Haïti - L'avenir du pays reste le plus dur défi


L'urgence humanitaire met à l'épreuve toutes les forces d'intervention déployées en Haïti. Des organisations à l'œuvre avant le séisme ont elles-mêmes été durement frappées. À Port-au-Prince comme à Léogâne et ailleurs, une situation chaotique freine l'arrivée des secours. Malgré tout, une mobilisation internationale sans précédent laisse poindre l'espoir d'une Haïti nouvelle. Cette tragédie sera-t-elle enfin l'occasion historique d'une vraie reconstruction pour la nation la plus démunie des Amériques?

Ces dernières années, des ouragans ont dévasté le pays, mais sans y décimer la population. Non sans étonnement, on découvre qu'Haïti a aussi connu, deux fois au XVIIIe siècle, des tremblements de terre qui ont détruit la capitale. Et récemment, en septembre 2008, des secousses «mineures» ont fait craindre un séisme de plus grande intensité, voire une catastrophe comme celle qui vient d'arriver. Or, rien n'assure que la terre d'Haïti ne va pas encore trembler.

Pourtant, explique Florin Diacu, un spécialiste des chocs telluriques, les tremblements de terre ne tuent pas les gens. «Ce sont les maisons qui s'effondrent qui les tuent.» La terre peut trembler n'importe où, dit-il, mais certaines régions sont plus vulnérables. Nul ne saurait prédire quand ni où un tel bouleversement surviendra. Mais une précaution est élémentaire: imposer un code du bâtiment dans les zones à risque. Or, à Port-au-Prince, même des édifices publics n'ont pas résisté.

David Brooks, un chroniqueur d'expérience, écrit dans le New York Times: «Le 17 octobre 1989, un important séisme d'une intensité de 7 a frappé la région de Bay Area dans le nord de la Californie. Soixante-trois personnes furent tuées. Cette semaine, un important séisme atteignant aussi 7 a frappé près de Port-au-Prince, en Haïti. La Croix Rouge estime qu'entre 45 000 et 50 000 personnes sont mortes. Cette histoire n'en pas une histoire de désastre naturel. C'est une histoire de pauvreté.»

Si Barack Obama veut sortir Haïti de la pauvreté, poursuit Brooks, il devra cependant repenser l'approche des États-Unis en matière d'aide aux pays pauvres. Des pays qui n'ont pas eu d'aide connaissent, comme la Chine, un grand développement. D'autres, malgré les milliards qui y ont été versés, stagnent encore. Et même l'autodéveloppement et ses milliers de microprojets n'ont pas changé le sort du peuple haïtien. Il faudra bien faire face, dit Brooks, à ce qu'il appelle une «culture de résistance au progrès».

L'échec de l'indépendance

Bref, les Haïtiens seraient responsables de leur propre malheur. Est-ce le cas? L'histoire du pays révèle d'importantes influences extérieures qui ont depuis longtemps scellé la misère, la culture et l'impuissance des citoyens de la première république noire. Les esclaves, en effet, qui furent transplantés dans l'île après l'extermination des Indiens, ont certes brisé leurs chaînes, mais n'ont jamais pu conquérir leur liberté.

Sur l'île d'Hispaniola, les flibustiers dont Louis XIV fera de paisibles colons n'étaient pas de la Croix de saint Louis. Et les filles de Bretagne que ces futurs planteurs obtinrent aux enchères n'allaient guère s'employer à l'affranchissement des Africains à leur service. Napoléon enverra 40 000 soldats pour tenter, vainement, d'y écraser la révolte des Noirs. Et si parmi les leaders haïtiens certains crurent à l'idéal de la Révolution française, d'autres sombrèrent dans une mégalomanie bien impériale. Un pouvoir mulâtre allait succéder à la domination blanche.

Ce pouvoir remboursera Paris d'une dette qui prit 60 ans à s'éteindre, mais réserva aux petits paysans les terres les plus pauvres. La désorganisation de l'économie, la pagaille politique, la corruption allaient tôt présager de l'échec de l'indépendance. Les États-Unis eurent tôt fait d'intervenir, mais pas pour épauler une libération qui aurait pu donner des idées aux Noirs américains. Si les marines mirent fin au banditisme, la nouvelle constitution imposée au pays ouvrit la porte aux «investisseurs» étrangers.

Un « plan Marshall » ?

D'aucuns attribuent au culte vaudou l'incapacité apparente des Haïtiens à s'engager dans la modernité. Assez curieusement, ils y parviennent fort bien quand ils échappent aux contraintes et aux incompétences qui tiennent lieu d'État dans leur pays d'origine. C'est plutôt pour résister à une misère implacable que cette population s'est repliée sur une religiosité peu propice au changement. Au reste, si les missions catholiques y ont finalement enseigné les droits de la personne, et les missions protestantes, l'importance de la solidarité, ce n'est pas dans ces Églises qu'Haïti aura appris la démocratie.

Des experts proposent aujourd'hui rien de moins qu'un «plan Marshall». Un tel plan, conçu et financé par les Alliés anglo-américains après la Seconde Guerre, a permis la reconstruction de l'Europe occidentale et a empêché des pays comme l'Italie de passer au communisme. Mais ces sociétés, déjà riches en organisations et en institutions modernes, pouvaient compter sur des courants démocratiques. Rien de comparable n'existe en Haïti actuellement.

L'idée d'un plan global ou d'une conférence internationale pour en déterminer les objectifs et les moyens n'est pas mauvaise. Les travailleurs humanitaires et les experts en désastres naturels signalent, avec raison, que si l'aide d'urgence afflue dans les premiers jours d'une tragédie, les fonds et la compassion s'amenuisent quand il s'agit d'assurer les conditions d'un avenir prometteur. Plus cruellement, des milliards voués au «développement» risquent, là comme ailleurs, d'avantager les profiteurs et d'attirer les dictateurs. Haïti n'a manqué ni des uns ni des autres.

Bien des enjeux interpellent la communauté internationale, mais aucun ne dépend autant des États-Unis. Le président Obama, s'il réussit en Haïti, aura changé l'histoire, cette fois dans une direction prometteuse.

Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.

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