mercredi 16 février 2011

D.Wolton : “le gâchis” des outre-mer


En cette année proclamée “année des Outre-mer”, l’État veut valoriser les territoires ultramarins. Le “développement endogène” est devenu l’expression à la mode. Mais qu’y a-t-il derrière cette notion ? Pas grand-chose, selon Dominique Wolton, directeur de l’Institut des sciences de la communication du CNRS et grand connaisseur de l’outre-mer.

Le développement endogène, com’ ou réalité ?
Dominique Wolton : “Deux formules creuses existent actuellement. D’abord, le “développement durable”. Cette notion a été inventée par les pays pauvres, mais le capitalisme mondial l’a récupérée. La seconde, c’est le “développement endogène”. Les pays riches sont en interaction avec le reste du monde, mais on voudrait que les pays d’outre-mer, qui sont des bassins de population entre 500 000 et 3 millions d’habitants, soient capables de faire du développement endogène…”

Derrière cette idée, n’y a-t-il pas tout simplement la volonté de produire plus sur place, de créer de la richesse ?
“Oui, il y a l’idée d’un développement plus autonome. Cela veut dire qu’on arrêterait les transferts constants métropoleterritoires d’outre-mer, et que ces derniers seraient capables de produire suffisamment de matières ou de services. L’idée est très bonne. Mais ce serait une révolution politique, pas seulement économique. On l’a vu, lors des récents conflits sociaux outre-mer, notamment en Guadeloupe, les réseaux économiques sont faits de telle sorte que les intermédiaires ont intérêt à ce lien de dépendance Parisoutre-mer.”

Vous voulez dire que le patronat n’a pas intérêt au développement endogène ?
“Bien sûr que non ! Tous ceux qui font du transfert allerretour, et même une partie de ceux qui exportent, n’y ont pas intérêt. C’est une économie inégalitaire, à caractère colonial. Ceux qui profitent de ce système n’ont pas envie que ça bouge, même si cela ne profite qu’à 20 % de la population. Le deuxième problème est le niveau des salaires et de la consommation, bien supérieur à ceux de leur zone géographique, même s’il y a beaucoup d’inégalités et de chômage. Il y a des aides sociales, un système de santé et d’éducation… cela ne force pas au travail. Il y a un gâchis des capacités de ces territoires. Il faudrait que le travail soit mieux rémunéré et qu’il y ait moins d’inégalités. En clair : régler tous les problèmes qu’on n’arrive pas à régler depuis trente ans.”

Qui a la plus grande responsabilité ? Paris ou l’outre-mer ?
“Chacun a sa responsabilité. La métropole injecte beaucoup d’argent, mais elle n’en tire pas un énorme bénéfice. Dans le fantasme, on incrimine Paris de toutes les responsabilités. On risque donc d’avoir une révolte avec Paris comme bouc émissaire. Pourtant, la capitale n’est responsable que de 40 % des problèmes. Le reste relève des responsabilités locales dont personne ne parle. On ne donne pas à ces peuples intelligents l’occasion d’être fiers d’eux-mêmes. On les abrutit dans la consommation et après on dit : “Regardez, ils ne foutent rien”.

Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, le gouvernement ne cesse de parler développement endogène. Des commissaires au développement endogène ont même été nommés dans les DOM…
“Ça ne mange pas de pain ! On peut nommer 50 personnes et créer une commission Théodule… S’il y a de vraies mesures structurelles, une vraie redistribution des richesses et une vraie ouverture des circuits économiques, qu’on nous montre les mesures, leurs conséquences et les effets. Mais Paris n’a pas voulu changer de politique. On maintient dans une situation de domination des gens qui vont se révolter. Ça retombera sur nous alors que la France n’est pas forcément bénéficiaire. Ça laissera entières ces catégories intermédiaires les plus profiteuses…”

Vous ne croyez pas à ces commissaires ?
“Il faut voir leur capacité d’autorité, ce qu’ils vont faire, quand vont-ils passer de la phase de bilan à la phase d’action…”

La France a donc intérêt à un changement ?
“Les territoires d’outre-mer sont des relais de la francophonie dans le monde. D’un point de vue géopolitique, Paris doit comprendre qu’il a intérêt à passer au-delà de cette classe dirigeante “comprador”*.”

Le développement endogène est-il réaliste ? Quand on voit, par exemple, qu’en Polynésie française les paréos et les colliers de coquillage sont importés d’Indonésie…
“Il faut des relations avec Paris en baisse, des relations avec l’Europe qui se développent et du développement économique dans la région. Il faut redistribuer les rapports industriels, commerciaux et agricoles dans ces trois directions.”

Concrètement, que peuvent exporter les territoires d’outre-mer vers les pays qui les environnent ?
“De la formation, du savoir-faire sur la terre et le climat. En matière d’environnement il y a des choses à faire sur les coraux, la mer, le littoral. Des compétences sont à créer et à vendre. Il faut sortir de l’idée que ces territoires n’auront jamais de compétences scientifiques et techniques, faire prendre conscience aux outre-mer que par leur niveau d’éducation et de compétence ils peuvent faire quelque chose.”

Pourquoi dites-vous qu’il n’y a pas de volonté de Paris ?
“Les élites ne croient plus aux outre-mer. Elles pensent

que ça ne sert à rien, alors qu’il suffit de s’installer cinq minutes devant une carte pour se rendre compte que la France a une chance inouïe, à condition qu’on accepte un allerretour, une interaction, et pas simplement un “one way”.

Mais la France a de moins en moins les moyens de faire des transferts financiers. L’autonomie institutionnelle c’est aussi une façon de dire “prenez des compétences et assumez-les financièrement…”
“Oui, sauf que la baisse du budget n’est pas si forte que ça. Il y a une espèce de politique suicidaire de la part de la France, vis-à-vis de sa position dans le monde, de sa capacité à construire un dialogue multiculturel, à reconnaître les territoires d’outre-mer pour ce qu’ils sont, et dans l’incapacité de Paris à “engueuler” les Dom-Tom, qui ne font rien et qui passent leur temps à dire que Paris est responsable de tout. Paris se comporte de moins en moins en puissance coloniale et a pourtant peu de retour.”


* Le mot “comprador” était utilisé dans les théories marxistes pour désigner un bourgeois d’un pays en voie de développement tirant sa fortune du commerce avec l’étranger.


Propos recueillis par David Martin (Agence de presse GHM)

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