« Des
Jeux merveilleux dans une ville merveilleuse » qui « laissent
un héritage unique pour les générations futures » ainsi
s’exprimait Thomas Bach le président du comité international
olympique (CIO) le 21 août lors de la cérémonie de clôture au
stade de Maracaña. La flamme olympique s’est éteinte à Rio, nous
sommes à l’heure des bilans.
L’organisation
des Jeux Olympiques pour la première fois dans un pays émergent en
Amérique du sud tient du défi. En effet, le contexte de crise
politique lié à la destitution de la présidente Dilma Rousseff et
la crise socio-économique qui touche les populations plus
défavorisées ont données de fortes craintes à l’opinion. La
presse étrangère prompte à la critique aux relents exotiques
accentue les peurs, brandissant les craintes sécuritaires liées au
terrorisme, la dangerosité de la ville, l’épidémie ravageuse du
Zika et des stades en construction.
Les crises internes du CIO
déclenchées lors des hésitations sur l’exclusion de sportifs
russes compromis dans des affaires de dopage ont pesées sur les
débuts des compétitions. Plus d’un million de touristes attendus
selon les prévisions ont fui la destination Brésil. 10 500 athlètes
représentant 204 nations se sont affrontés dans 28 disciplines ;
10 athlètes de réfugiés ont participé sous la bannière
olympique.
La
domination américaine, des résultats satisfaisants de la délégation
française
91
records olympiques ont été battus lors de la 31ème
olympiade. En se référant à la table des résultats codifiés par
le CIO, les États-Unis ont dominé la compétition sans partage avec
121 médailles dont 46 en or. La Grande Bretagne (67 médailles dont
46 en or) et la Chine (70 médailles dont 26 en or) font partie du
tiercé gagnant ; la France arrive à la 7ème
place avec 42 médailles dont 10 en or. Ce résultat record jamais
établi au cours d’une Olympiade d’après-guerre satisfait les
institutions.
La
force et les paradoxes des sports en outremer
La
forte proportion des outremers dans la délégation olympique
française avec 51 sportifs- soit 13% de l’équipe de France
olympique dont 21 Guadeloupéens - dont 17 médaillées renforcent
l’ampleur du phénomène social déjà mesuré sur le rôle social
des sports pour les populations d’outremer. Teddy Riner, le
porte-drapeau de la délégation olympique, leader incontesté du
judo mondial et du sport français incarne cette réussite.
Jamais
autant de disciplines n’ont été représentées (Judo, handball,
tennis, basket-ball, athlétisme, escrime, cyclisme, natation) à
cela s’ajoute une forte proportion des coaches dans l’encadrement
(Dinart (handball), Nelhomme (basket-ball), Laura Flessel, Naejus
(escrime) Patricia Girard (athlétisme).
Nos régions vivent un
paradoxe dont on refuse de mesurer les paramètres. La production
d’une élite sportive diversifiée formée, initiée dans les
territoires perfectionnée dans l’hexagone se fait au détriment
des territoires. Les équipements sportifs laissés en jachères, des
friches, les formations obsolètes et la désorganisation des
structures sportives, autant d’images d’une crise que vivent les
sports.
Ce constat qui date, doit interroger les instances locales
sur la cohérence et l’avenir des politiques sportives menées dans
les Régions ultra périphériques. La frilosité des instances
nationales à donner aux sports un réel élan se répète et se
confirme.
Les
résultats de Rio s’ils semblent encourageants ne doivent pas nous
faire oublier ceux d’Atlanta (1996) qui restent à mon avis une
référence.
Les 4 médailles d’or de Flessel (escrime) et
Marie-José Pérec (athlétisme) le bronze de Patricia Girard
(athlétisme) n’ont pas été atteints ni même dépassé.
Les
résultats de 1996 n’ont pas été pris en réelle considération
dans leurs significations pour impulser dans nos régions de réelles
politiques sportives ambitieuses. On a assisté passivement à un
délitement de la situation sans réaction de nos instances en charge
du sport. Il s’agit de se contenter de faire partir les élites
locales vers des structures nationales à perte, souvent sans retours
sur investissement pour les clubs formateurs.
L’athlétisme est
révélateur. Belocian, le talentueux hurdler guadeloupéen à
quelque peu craqué sous la pression voulant trop bien faire. Il fait
un faux départ éliminatoire. N’est-il pas l’arbre qui cache la
forêt ?
Marie José Pérec n’a pas été remplacée !
Les filles qui jadis étaient performantes n’arrivent même pas au
stade des finales. Le jour où certaines instances pourront
comprendre que l’athlétisme français féminin marchait quand les
Régions outremer étaient fortes et étaient entraînées, non pas
contre nature, mais sur leurs propres valeurs et surtout dans leur
proximité, est loin d’arriver.
Les stages de préparation en
outremer ont disparus au moment où une élite choyée pose ses camps
de préparation en Afrique du sud.
Que dire du jeune champion
sud-africain Wayde Van Niekerk qui vient de remporter le titre
olympique du 400m en battant le mythique record Michael Jonhson en
43’’03 qui peaufine sa préparation à Kingston en Jamaïque avec
Usain Bolt ? La Jamaïque a montré à travers ses résultats qu’elle
reste le barycentre du sprint mondial et la Caraïbe est bien
présente dans le renouvellement de Rio.
Bolt,
Phelps, Riner et le renouvellement des générations
Ces
jeux ont glorifié de grandes stars internationales. Certaines
terminent une carrière qui les assoit dans le hall of Fame de
l’olympisme. L’inoxydable nageur américain Michael Phelps
conclut une prodigieuse épopée entamée depuis 2004 à Athènes.
Les 6 médailles qu’il remporte à Rio dont 5 en or lui offre le
meilleur palmarès de tous les temps avec 23 titres olympiques.
Le
Jamaïcain Usain Bolt est nul doute l’homme de Rio 2016 qui a
attiré du public acquis à sa cause pour célébrer son départ de
l’arène olympique dans le stadio Olympico Engenho Dentro
resté souvent vide. Ses trois titres remportés en athlétisme (100m
200m et 4x100m) consacrent une longue carrière soit 9 médailles
d’or olympiques ; une invincibilité acquise durant 3
olympiades le sprinter le plus titré de tous les temps.
Teddy Riner
au judo en dominant outrageusement la catégorie reine des plus de
100 kg s’assoit aussi dans le temple des Dieux de l’Olympe. Ces
trois légendes n’ont pas pu empêcher l’émergence de nouvelles icônes.
Rio marque un grand renouvellement dans l’espace des
sports avec l’apport de nouvelles générations : la nageuse
américaine Katie Ledecky, la nageuses hongroise Katina Hossu le
sud-africain Wayde van Niekerk (record du monde du 400m) la
Bahamienne Shaune Miller illustrent ce renouveau performant.
Les
performances de certains athlètes mettent à mal l’expression de
poncifs bien présents dans les consciences. Les succès des
afro-américaines de Simone Manuel (natation) et surtout ceux de
Simone Biles (gymnastique), de Metella (natation), la réussite des
coureurs US dans les courses de longue distance bousculent les
théorisations racistes basées sur le déterminisme génétique
affirmant des prédispositions « naturelles » aux succès
dans certaines activités.
« Parabéns
Brasil » (félicitation Brésil)
Le
pays organisateur a vécu plusieurs phases durant cette période
olympique. Une grande partie de la population est restée hors-Jeux.
Les populations défavorisées des quartiers populaires, des favelas
jugées menaçantes avaient d’autres préoccupations légitimes à
régler, ne pouvant pas accéder aux stades aux places trop chères ;
beaucoup sont venus manifester dans les stades leur hostilité au
pouvoir.
Rio est resté avec ses problèmes de sécurité des
quartiers sensibles, ses embouteillages, les pollutions de sa baie.
Cependant la cérémonie d’ouverture, les résultats sportifs ont
redonnés de la fierté à toute une nation meurtrie, jugée
incapable par des presses aux commentaires souvent limites. Peu à
peu la population s’est prise aux Jeux.
L’or inattendu de Rafaela
Silva au judo, la fille noire des favelas ; les succès des
sports collectifs au Beach Volley et surtout au football ont
déclenchés d’immenses mouvements de liesse et de fierté
populaire d’une grande portée symboliques. Le but de Neymar contre
l’Allemagne a eu pour effet libérer et laver l’affront du
mondial de football. Le record olympique du perchiste Thiago Braz da
Sylva (6,03m) dans une ambiance festive et chauvine de bonne guerre a
eu pour conséquence des déclarations fâcheuses inadmissibles de la
part du perchiste français Lavillenie se mettant à dos le public
brésilien. Les jeux ont été marqués par de nombreux comportements
peu gratifiants de sportifs.
Des interrogations se posent sur le
fair-play, la probité et la mesure des enjeux pris sur le jeu. Les
dérives des joueurs de tennis par manque de respect de vie commune,
les critiques après défaites des champions de natation, des
règlements de compte en tout genre fissurent l’image des valeurs
sportives et d’une équipe de France solidaire ; à cela
s’ajoutent les mensonges de l’équipe de natation américaine
après une beuverie sur une soit disant agression brésilienne, et
l’arrestation de L’Irlandais Patrick Hickey président du comité
olympique européen compromis dans une vaste organisation de vente
illégale de billets.
Rio
s’est fortement endetté. Dépenses inutiles, dépenses nécessaires
? C’est sans doute le prix à payer pour les pays émergents s’ils
désirent organiser une compétition internationale - autrement dit
avoir une visibilité internationale - ou disparaître de l’échiquier
mondial tant les exigences des institutions internationales
contraignent fortement les organisateurs. L’avenir du sport
international dans cette surenchère à tendance à favoriser les
pays du nord, les plus avancés technologiquement et dotés d’une
forte économie.
Les deux protagonistes en campagne Paris et Los
Angeles répondent à ce jeu des conditions pour l’attribution des
Jeux en 2024.
Rio
restera pour moi des Jeux festifs symboles des pays émergents.
Jamais je n’ai vu autant de gens danser de manière spontanée sur
les lieux de spectacles olympiques. Rio a offert des images et des
couleurs de sites majestueux liés à ville aux noms évocateurs de
Copacabana, Ipanema, du Pain de Sucre. Rio restera une ville
accueillante, si les codes sociaux ne peuvent se comparer avec
d’autres nations, j’ai ressenti de grandes douceurs dans le style
de vie, les rapports humains, les gestes et les échanges du
quotidien. J’ai pu mesurer à quel point les sports était intégrés
dans la culture, les habitus, les terrains de sport à perte de vue
sur les plages toujours remplies à des heures tardives. Ce n’est
pas que le football qui est une religion au Brésil. Rio est aussi le
rythme des danses du Carnaval, ceux qui résonnent dans les favelas
le week-end et des douces musiques brésiliennes. Parabéns Brasil !
Rendez-vous à Tokyo en 2020 !
Harry
P. Mephon,
Sociologue
Auteur
de : Corps et Société en Guadeloupe,
sociologie des pratiques de compétitions.
Presses Universitaires de Rennes (2007). Anthologie
du sport guadeloupéen H.C. Editions (2011)