mercredi 21 juillet 2010

Haïti: six mois plus tard … rien n'a avancé, et c'est même pire.



Après le tremblement de terre de janvier, les sinistrés sont toujours sous des tentes de fortune, les aides promises sous les sunlights par les pays riches ne sont toujours pas arrivées et avec la saison des pluies, les réfugiés pataugent dans les égouts et sont exposés aux épidémies.
Ca, c'est pour les pauvres. Les riches, eux, se portent très bien merci. Ils font des affaires.

Haiti, my Heart's Devotion...
Let it sink back in the ocean ...


Article original: "Suffering and struggle: Six months after the Haitian earthquake", par Patrick Martin, publié le 10 juillet 2010, paru dans WSWS
La détresse et la lutte: six mois après le tremblement de terre à Haïti

Six mois après qu'un tremblement de terre a détruit une grande partie d'Haïti et fait plus de 300.000 morts, il n'y a eu guère de changement pour les survivants. Malgré les promesses faites par les Nations Unies et les grandes puissances, en particulier les Etats-Unis, très peu d'aide est parvenue à Haïti.
Des milliards promis lors de diverses conférences accompagnées d'un énorme battage médiatique seuls 2 % ont été effectivement versés.
L'ampleur des dégâts causés par la pire catastrophe naturelle du XXIème s. dépasse l'imagination. Le nombre de morts est supérieur à 300.000 et, selon certaines estimations, s'élèverait à près de 500.000, sur une population totale de 8 millions – la pire catastrophe connue en matière de proportion de la population. A l'échelle d'un pays comme les Etats-Unis, cela correspondrait à 10 à 20 millions de morts.
Pratiquement toutes les morts ont été provoquées par l'effondrement des maisons et d'autres immeubles dans les centres-villes d'Haïti, en particulier les taudis surpeuplés de Port-au-Prince, la capitale.
Selon une enquête, quelque 188.000 maisons ont été touchées, parmi lesquelles 105.000 ont été complètement détruites, ainsi que 1.300 écoles, 50 hôpitaux, le palais présidentiel, le parlement et le port de Port-au-Prince.
Environ 25 millions de mètres cubes de gravats, constitués en majeure partie de béton et de barres d'acier, restent le principal obstacle physique à la fois à la reconstruction et à la vie quotidienne. Moins de 5% ont été dégagés depuis le séisme et les débris continuent de bloquer les rues et les routes et envahissent une grande partie de la surface au sol des bidonvilles qui entouraient naguère Port-au-Prince.
Quatre rapports publiés au cours du mois dernier parlent de l'accroissement de la crise à Haïti.
Un rapport de l'ONU publié le 19 juin indique que 1,5 million de personnes vivent dans plus de 1200 camps de toile, principalement autour de Port-au-Prince. Ce rapport souligne qu'avec le début de la saison des ouragans le 1 juin, ceux qui vivent dans des abris précaires sont particulièrement en danger, surtout ceux qui sont installés dans des régions côtières à basse altitude ou le long de ravins qui risquent de se transformer en torrents déchaînés en cas d'orage.
Un rapport de la commission des affaires étrangères du Sénat aux Etats-Unis publié le 29 juin indique que le relogement des réfugiés est le problème majeur, les plans des transferts depuis les tentes jusqu'à des structures plus solides n'étant actuellement qu'à "l'état d'ébauche".
Le rapport explique: "alors que de nombreuses priorités en matière de secours d'urgence ont été prises en compte, des signes inquiétants montrent que la reprise et la reconstruction à plus long terme sont en recul".
Ce rapport du Sénat dénonce à la fois les donateurs internationaux qui n'ont versé que 2% des 5,3 milliards de dollars promis et les membres du gouvernement haïtien, qui y sont décrits comme "paralysés devant les décisions à prendre".
La commission pour la reconstruction présidée à la fois par le premier ministre haïtien, Jean-Max Bellerive, et l'ancien président US Bill Clinton, a, selon le rapport de la commission du Sénat US, "la capacité de freiner les opérations de façon considérable à cause des lourdeurs bureaucratiques à un moment où Haïti ne peut pas se permettre d'attendre". Cette commission n'a tenu sa première réunion que le 17 juin, soit plus de cinq mois après le tremblement de terre.
Un bilan publié par l'association humanitaire "Médecins Sans Frontières" , daté de juillet 2010, indique que le séisme a détruit 60% des centres de soins, parmi lesquels le seul centre de médecine d'urgence pour le traitement des traumatismes, et que 10% du personnel a soit péri dans le séisme soit quitté le pays après cela.
Le rapport constate une amélioration importante de la distribution d'urgence des soins, des vivres et d'eau résultant de la vague sincère d'empathie internationale à l'issue du tremblement de terre, mais une aggravation des problèmes d'installations sanitaires et de logement. Il n'y a qu'une décharge pour la capitale de plus de 3 millions d'habitants et "elle déborde presque".
Les camps de fortune qui se sont multipliés partout sont transformés en égouts à ciel ouvert avec la saison des pluies qui a débuté en mai.

"La principale menace qui pèse sur les conditions de vie des habitants est de loin l'incapacité des autorités à fournir un logement correct et en dur", déclare l'association. "Les tentes et les abris en draps ne devaient être qu'une solution très temporaire. Ils peuvent tenir six mois maximum … les tentes commencent à se détériorer et la pluie révèle le problème.".

Les centres médicaux n'étant plus submergés par les milliers de victimes souffrant de traumatismes et de blessures, leurs patients ont été remplacés par le flux "normal" de malades d'un pays excessivement pauvre. Les infections et les parasites intestinaux font aujourd'hui partie des affections les plus courantes.
Les soins médicaux pour les femmes sont particulièrement problématiques , l'espérance de vie des femmes étant d'à peine 58,8 ans à Haïti, et la mortalité maternelle de 630 décès pour 100,000, 50 fois plus élevée qu'aux Etats-Unis.

Le tremblement de terre a occasionné des traumatismes psychologiques autant que physiques. "Beaucoup de gens qui ont survécu à la chute d'immeubles il y a six mois, ont encore trop peur pour aller chercher refuge dans les ruines", poursuit le rapport. "Les secours d'urgence ont sauvé la vie des gens, mais cela n'allège pas les souffrances les plus terribles. Les conditions de vie sont rudimentaires et le degré de frustration s'accroît".

Alors que des millions de personnes ont subi des traumatismes profonds - la perte de proches, la destruction de leur maison, les blessures physiques graves, les amputations – il y a moins de 10 psychiatres en exercice dans tout le pays.
Selon le coordonnateur haïtien de l'association, "il y a un fossé énorme entre le zèle déployé et les promesses d'aider les victimes du séisme des premières semaines et la sordide réalité sur le terrain six mois plus tard". Un rapport de la Croix Rouge britannique, paru le 8 juillet, explique que six mois après le tremblement de terre, ce sont toujours les organisations humanitaires qui fournissent la majorité de l'eau potable et les installations sanitaires, ce qu'ils ne pourront pas faire indéfiniment. "Nous dépensons toute notre énergie à simplement limiter les dégâts, au lieu de résoudre les problèmes", dit Alastair Burnett, directeur des opérations du groupe.
Même avant le tremblement de terre, les installations sanitaires à Haïti étaient parmi les pires au monde, seulement 17% de la population ayant accès à des toilettes, des conditions qu'on ne retrouve qu'en Somalie, pays dévasté par la guerre.
Montée des tensions sociales
Plusieurs rapports cités ci-dessus signalent des tensions sociales à Haïti, où une minuscule classe dirigeante immensément riche cherche à garder la mainmise sur la société.
L'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), une organisation de l'ONU dont la mission est de loger les réfugiés, tente d'arbitrer les conflits croissants provoqués par les propriétaires de terrains qui veulent chasser les réfugiés de leur propriété pour pouvoir construire ou revendre leurs terrains. Parmi les 1200 camps minimum, seuls 206 sont reconnus officiellement et protégés.
Les autres risquent des expulsions manu militari.

Le "Christian Science Monitor" décrit une de ces confrontations dans son numéro du 2 juillet:
“Ralph Stevens Stephen, filleul du propriétaire d'un domaine dans le quartier Delmas de Port-au-Prince, utilisé comme camp de réfugiés officieux depuis janvier, s'est récemment rendu au camp avec 10 hommes armés vêtus d'uniformes de policiers pour chasser les 178 personnes sans abri installées là-bas.

Un des résidents, Oxeana Ismael, raconte que des hommes armés sont venus un jour - sans badge officiel et dans des voitures banalisées – pour les menacer de revenir avec des gaz lacrymogènes si les sans–abri ne partaient pas d'ici quinze jours.
Leonard Doyle, porte-parole d'OIM, raconte au journal qu'il connaissait une trentaine de camps qui avaient été évacués de force ou qui risquaient de l'être d'un moment à l'autre.
Dans son rapport, Médecins Sans frontières signale que:

"la frustration et la colère montent parce qu'il y a eu trop peu de changements dans les conditions de vie depuis le tremblement de terre". Un des incidents qui a déclenché l'indignation, c'est le passage de la distribution d'eau gratuite au cours des trois premiers mois à un système payant, "ce qui met à plus rude épreuve encore tous ces gens sans emploi et sans revenus".

Selon une tribune libre, publiée le 25 juin par le Los Angeles Times et écrite par Thomas Johnson, coordinateur de l'aide humanitaire de l'organisation danoise DanChurchAid, la décision de mettre un terme à la distribution gratuite d'eau est venue à la suite de pressions sur le gouvernement haïtien par les classes dominantes locales.
Il écrit:

les riches hommes d'affaires haïtiens veulent savoir où sera réalisée la reconstruction. Un de mes amis m'a raconté un incident absurde lors d'une réunion récente d'un certain nombre d'organisations humanitaires avec le président Rene Préval. Le président, m'a expliqué mon ami, a annoncé qu'il venait de recevoir sur son blackberry un message du propriétaire d'une des compagnies privées de distribution d'eau d'Haïti. Cet homme s'inquiétait de ce que les organisations humanitaires distribuaient de l'eau gratuitement aux réfugiés dans les camps et disait que cela allait ruiner l'économie. Personne dans la salle n'a su quoi répondre".

L'article de Johnson décrit de façon vivante les conditions dans la capitale:

"En plus de 10 ans de travail humanitaire de secours d'urgence, je n'ai jamais vu de camps comme ceux de Port-au-Prince. Les normes internationales qui définissent les droits des personnes à la suite d'une catastrophe ne sont en aucune façon respectées. A Haïti, les camps sont surpeuplés d'une façon qui dépasse l'imagination, avec des tentes délabrées qui se touchent et qui sont installées sur tous les mètres carrés d'espace disponible.
"Avec la saison des pluies, la surpopulation et les toilettes publiques surchargées suscitent de grandes inquiétudes quant au risque d'une épidémie de choléra. Les tentes elles-mêmes sont un vrai bazar. "Les premières tentes bricolées par les familles ont été complétées par des bâches de plastique fournies par les organisations internationales. Mais cette installation précaire ne résistera jamais à un ouragan. Si un ouragan venait à toucher Port-au-Prince on ne pourrait se livrer qu'à des approximations quant au nombre de morts.
"Il n'y aurait aucun endroit dans la ville où les réfugiés pourraient aller se mettre à l'abri, la plupart des hôtels, des établissements publics, des écoles et des églises n'étant encore que des tonnes de gravats. Le déblaiement va sans aucun doute prendre du temps. Mais ce qui est choquant, c'est qu'il n'a même pas encore commencé. Sur les quatre jours que j'ai passés récemment à sillonner cette ville étendue et très peuplée, je n'ai vu qu'un seul tractopelle en action. "

Le coordonnateur de l'association humanitaire souligne le contraste qui existe entre l'ampleur des besoins sociaux et l'égoïsme de l'aristocratie au pouvoir:

"Parallèlement, alors que les Haïtiens ordinaires souffrent, les riches familles de Port-au-Prince continuent de vivre dans le luxe dans d'élégantes résidences bien au-dessus de cette étendue poussiéreuse. Ces familles se sont emparées des richesses d'Haïti voilà des générations, et beaucoup font des bénéfices actuellement grâce à la dernière tragédie de leur pays.
Toutes les organisations humanitaires ont besoin de voitures ou de camions, de logements, de bureaux, de hangars et de produits locaux, et ce sont les classes dominantes d'Haïti qui souvent fournissent tout cela. Les travailleurs humanitaires chevronnés connaissent bien ce phénomène: "Nos efforts pour aider les pauvres finissent également par rendre les riches encore plus riches".

Les contrecoups politiques
Le gouvernement Préval est l'instrument de cette caste et veille à préserver les privilèges d'une poignée de millionnaires haïtiens. Son insensibilité aux souffrances de la population et son incompétence à organiser à la fois la distribution de l'aide humanitaire et la reconstruction sont notoires. Une de ses rares initiatives a été de solliciter 44 millions de dollars pour la construction d'une prison et pour équiper la Police Nationale d'Haïti (PNH), somme qui a été fournie par le gouvernement canadien.
En attendant le développement de la PNH, tristement célèbre pour son usage de la torture et les mauvais traitements qu'elle a infligés aux prisonniers sous diverses dictatures ainsi que sous des présidents élus comme Préval and Jean-Bertrand Aristide, la principale force de répression à Haïti reste la MINUSTAH, la force de maintien de la paix de l'ONU, qui a pris le contrôle du pays en 2004 à la suite de l'expulsion d'Aristide par une force expéditionnaire US.
Depuis la fin mai, ont lieu des affrontements entre la MINUSTAH et la population locale à Port-au-Prince. Les soldats brésiliens, chargés de la MINUSTAH, ont tiré en l'air des coups de fusils automatiques au cours de heurts avec des manifestants dans le quartier pauvre de Cité Soleil de la capitale haïtienne.
Les soldats de la MINUSTAH et la police d'Haïti ont envahi l'école d'Ethnologie de l'université publique d'Haïti à la suite d'une série de manifestations. Ils ont lancé des gaz lacrymogènes et tiré des balles de caoutchouc. Cette action a déclenché une manifestation le jour suivant où les principaux slogans étaient "A bas Préval" "A bas l'occupation".
Les soldats de la MINUSTAH ont également tiré dans le camp de réfugiés du Champ de Mars, près du palais présidentiel, blessant plusieurs enfants et envoyant à l'hôpital plusieurs victimes des gaz lacrymogènes. d'après les chiffres qui ont été publiés, il y aurait jusqu'à 60,000 personnes installées près du Champ de Mars.
Le gouvernement Préval a programmé les élections présidentielles et parlementaires pour le 28 novembre, après avoir reporté à cause du séisme l'élection du parlement initialement prévue pour le 12 février.
Il est symptomatique que l'annonce des dates du scrutin ait été faite par Edmond Mulet, représentant civil de la MINUSTAH, et non pas par Gaillot Dorsinvil, président du Conseil Electoral Provisoire d'Haïti (CEP), l'institution chargée d'organiser les scrutins selon la constitution.
Aristide bénéficie encore d'un certain soutien populaire, malgré la politique en faveur des milieux d'affaires et des impérialistes qu'il a menée au cours de ses deux mandats présidentiels écourtés.
Comme il l'a fait tout au long de sa carrière politique, le président en exil cherche le soutien des Etats-Unis, et il y a peu de doute qu'il se consacre actuellement à mener en sous-main d'âpres négociations avec l'administration Obama.
Un des signes que le vent est en train de tourner, c'est que les manifestations de rue ont été appelées par Lavalas conjointement avec Evans Paul, ancien leader de l'opposition de droite à Aristide et favori de longue date de Washington.
En outre, Richard Lugar, président républicain de la commission des affaires étrangères du Sénat aux Etats-Unis, a incité publiquement le gouvernement haïtien à accepter que le parti Lavalas (qui soutient Aristide, NDT) participe aux élections de novembre.
Cette suggestion a été violemment rejetée par Préval, l'ancien collaborateur d'Aristide. Préval soutient l'interdiction de Lavalas, affirmant qu'il s'est formé à la suite de conflits entre factions au sein de ce parti.

WSWS

Aucun commentaire: