dimanche 1 août 2010

Rolf Sambalé par lui-même



Rolf Sambalé est décédé le 29 juillet au CHU de Pointe à Pitre, des suites d'une longue maladie.

SAMBALE se présente lui-même : « un produit bio-culturel, un être hybride, né de l'union d'une Haïtienne, Evy Blaise, et d'un Allemand, Günter Sambale. » La mère Evy est assistante administratrice au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) ; Günter est attaché commercial et culturel à l'ambassade d'Allemagne. Günter est aussi un collectionneur qui se passionne de Lazare, Cédor et Valcin. Le couple a deux enfants, Carole, l'aînée, et Rolf.
Tout jeune déjà, Rolf est préoccupé par la situation du pays croupissant sous la dictature de Papa Doc et de ses Tontons macoutes. L'idéologie de couleurs, leitmotiv du pouvoir, engendre des massacres 'hygiéniques', dont les Vêpres de Jérémie. Les mouvements de contestation sont mâtés, et leurs instigateurs arrêtés, emprisonnés, torturés, ou fusillés sur la place publique. Ses études classiques, commencées au Collège Bird, en sont troublées, mais il les poursuivra, tant bien que mal au Lycée Alexandre Dumas et au Collège Roger Anglade, jusqu'à son humanitaire.
Entre temps, le jeune Rolf, inspiré par son père, s'est trouvé un passe-temps : entre deux cours, il dessine. Son amour du pays et ses angoisses y passent. Sa passion pour le dessin l'amènera à décrocher un baccalauréat en arts appliqués au Kerschensteiner Schule de Wiesbaden, en République Fédérale d'Allemagne.

Quand Sambale débarque en Allemagne à la fin de l'année 1980, il a dix-neuf ans. L'Europe ne songe plus à panser ses plaies, au contraire, l'amitié entre des nations ennemies pendant la Deuxième Guerre Mondiale se renouvelle, se renforce même.

L'Allemagne d'après le national-socialisme du Führer, tout comme l'Italie avant elle, se réveille à la culture, après une parenthèse d'un demi-siècle. La Trans-avant-garde, initiée par le critique italien Achille Bonito Oliva, a des échos en Allemagne, dans les créations plastiques des nouveaux fauves ou nouveaux expressionnistes, tels que Georg Baselitz et Anselme Kiefer.

L'objectif visé par ces artistes n'étant plus d'étonner le monde, ou de se faire les apôtres d'une quelconque avant-garde, c'est à l'intérieur de soi et dans les données historico-culturelles d'un monde pluriel, que percutera l'élan créateur. L'art sera intimiste, humain, éclectique.

Cependant, Sambale ne commencera à peindre que quatre ans plus tard. L'artiste, dépaysé et vivant mal le choc culturel, se souviendra de la terre natale, de ses mythes ancestraux, africains et amérindiens, de la mer turquoise, et de Lazare. L'une de ses premières toiles, peintes en 1985, a un titre évocateur : Der Urschrei-Le Cri initial en allemand. « Der Urschrei, c'est le son du Big-bang universel.

Au commencement était la parole et la parole devient chair. C'est le cri poussé par le nouveau-né, c'est l'étonnement de l'homme et le O mimique que forment ses lèvres », commente l'artiste. En effet, la toile représente un être mi-animal, mi-homme qui avance frontalement. Des éléments et codes graphiques propres à Sambale (ossements, hiéroglyphes, lignes et symboles) flottent dans la composition du tableau. A déchiffrer comme une partition.

En 1985, Sambale quitte l'Allemagne pour la France, où il suivra des cours réguliers en histoire de l'art à l'Université de Bordeaux. Ces études dureront deux ans. Il découvre les néo-classiques, Géricault et Delacroix, en même temps qu'il interroge la démarche esthétique des impressionnistes Monet, Van Gogh et Gauguin.

« Ma formation en histoire de l'art, dit-il, me donne un sens très poussé de la composition et de la rigueur esthétique. Grâce à elle aussi, j'ai découvert toute l'importance du dessin dans la peinture. » Il passera également trois ans aux Beaux- Arts de Bordeaux. Il expose à la Maison de l'Afrique Noire et au Musée d'Aquitaine, avant de partir à Paris.

A Paris, Sambale travaille à l'agence Dièse Communication, et partage parallèlement son atelier des entrepôts du Boulevard de la Bastille avec Maggie Simmons, une plasticienne et professeure d'histoire de l'art à la Sorbonne.

Ce séjour, plutôt bref, dans la ville lumière, est pour le peintre celui de l'éveil artistique : il visite et fréquente les musées, les galeries internationales de la rue de Seine et les cafés littéraires de Saint-Germain-des-Prés. Participe à des débats animés autour d'Haïti dans la diaspora haïtienne à la terrasse d'un café de l'ère du jardin du Luxembourg, boulevard Saint-Michel. Rencontre le célèbre peintre Hervé Télémaque et des intellectuels exilés ou de passage, dont Michel Rolf Trouillot qui s'intéresse à sa peinture, Jacques Gourgues, Jean Metellus, Mimi Barthélemy, Gérard Aubourg, Emile Ollivier. Peint dans des soirées « happenings » au D'Klick Arts Club dans le quartier de Montmartre. Expose à la Fondation Juliana et à la Galerie Isolé Soleil. Son périple le conduira, en 1990, dans les Antilles françaises. Il expose à la Galerie Michèle Cazanove, en Guadeloupe, et à la Fondation Clément à la Martinique. La même année, il retourne en France pour y présenter ses dernières créations au Palais du Rhin, à Strasbourg.
Si l'artiste voyage beaucoup, c'est surtout par besoin de s'associer à de nouvelles performances, expositions, happenings, ateliers, biennales, ce qui lui a permis de découvrir des techniques jusque-là ignorées.

En Guadeloupe, il a institué le Festival Indigo, festival inter caribéen d'arts plastiques annuel qui réunissait, de 1992 à 96, dans l'enceinte du Fort Fleur d'Epée, des artistes venus d'une dizaine de pays de la région. Il y travaillait également en atelier avec Maurice Vital, Raymond Dorléans, Pierre Heurtelou, Frantz Roy Charles, des peintres originaires de Carrefour établis dans ce territoire d'outre-mer, qui l'ont initié à une technique d'ombre et lumière propre aux naïfs modernes haïtiens : sur des fonds obscurs brossés, les éléments du tableau sont révélés par des couleurs claires. En Floride, l'artiste loue un atelier dans le Artsouth, campus artistique regroupant des peintres, sculpteurs, photographes venus d'horizons divers. C'est aussi l'ouverture sur la Floride latine ainsi que sur le Miami Design District.

Peintre migrant, Sambale porte Haïti comme une écharpe. « Haïti, c'est le berceau et la palette » clame-t-il à tous venants. Haïti sésame, qui ouvre au monde les trésors de son histoire et les richesses de sa culture. Haïti, omniprésente comme Erzulie, qui peuple ses toiles de hounsis et de totems. La technique de Sambale s'inspire d'une palette très colorée, à dominante bleu : la luxuriance de l'antique Ayiti des Tainos, ou celle plus moderne des taps-taps bariolés.
Les aplats se côtoient audacieusement. Le pop'art dans son mix media est présent, tout comme une organisation rigoureuse et graphique du format. Un jeu constant entre lignes et surface où viennent se greffer les éléments lyriques du sujet. Le récit est frontal, malgré la présence de perspective. Le dessin est fort et les messages iconographiques, clairs et immédiats.

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