mardi 25 août 2009

Roman : "Les Neuf Consciences du Malfini " de Patrick Chamoiseau Allégorie du " temps-sans-temps "...


Le dernier opus de Patrick Chamoiseau (Editions Gallimard), s'intitule " Les Neuf Consciencesdu Malfini " paru au premier trimestre 2009. Dans ce roman, l'auteur poursuit sa quête de la mémoire, celle de l'île, celle de l'histoire du peuple martiniquais.

Une histoire " à grands sillons d'histoires " où les protagonistes sont un rapace, un colibri et l'auteur lui-même, un trio qui traverse l'Histoire et qui la recompose chacun y tenant un rôle particulier...

" C'était au temps de ma splendeur barbare. Je provenais de loin, me laissant transporter par ces vents de nulle part qui rabotent les îles de la mer Caraïbe, et j'allais je ne sais où, cherchant un territoire propice à l'apaisement des songes. Je n'espérais plus rien de ma vie, sinon la paix et le repos, et un peu de silence. " Ainsi parlait Malfini, le rapace sans âge qui régnait en maître incontesté sur Rabuchon. Un rapace redoutable qui n'aspirait qu'au silence et à la quiétude ignorant le monde et sa diversité. Une diversité qu'il apprendra au fil du temps avec l'apparition, dans l'existence - sans histoire peut-être - de Foufou le colibri. Créature singulière qui renferme en elle le " boucan de vie " qui manque tant à Malfini. S'élabore alors une reconquête de soi dans l'infini du monde, un engouement et une crainte de l'ailleurs qui n'est autre qu'un soi à chaque instant renouvelé et qui met en exergue la diversité qui anime chacun et forge son caractère, constitue son être et sa suprématie...

Dans ce dernier roman, Patrick Chamoiseau poursuit sa quête d'une vérité ou des vérités qui constituent la mémoire commune des îles. Son roman est un conte atemporel qui prend naissance dans les racines de l'histoire où la faune devient une allégorie pour remplacer conquérants et conquis, maîtres et esclaves, dominants et dominés. Autant de dualités qui constituent les piliers du roman et la base de l'écriture de Chamoiseau. Ces dualités qui, loin de marquer une scission, illustrent la continuité entre passé et présent, entre histoire et histoire contemporaine, entre langue française et langue créole.

Les Neuf consciences du Malfini serait un conte poignant, témoignage d'une entrée dans le monde par et à travers la prise de conscience de la diversité. Si Patrick Chamoiseau déroge à la règle pour prêter sa voix à l'oiseau, il renoue avec le conte et le réel merveilleux. Ses personnages sont des oiseaux, symbole de liberté, d'évasion mais aussi symbole du retour vers les terres d'origine après les longs périples et la traversée des mers et du temps.

Comme à l'accoutumée le " je " chez Chamoiseau est empreint d'ambiguïté car les je se multiplient et l'auteur effectue des -et - vient dans le récit. Tantôt " marqueur de paroles " tantôt " guerrier de l'imaginaire ", Chamoiseau écoute le souffle du monde et de l'Histoire. Scribe, il marque la parole de ceux qui se sont tus, gardien de l'imaginaire, il réécrit la même parole avec ses propres mots, ses propres craintes et espoirs et là naît l'écrivain Chamoiseau qui, dans le murmure du temps, saisit la mémoire pour en faire une œuvre d'art, une fiction qui hèle le genre romanesque et le conte fantastique dans un style profond où se côtoient l'héritage créole et la tradition française. Un style propre à Patrick Chamoiseau où le mot se fait suggestion et les personnages, une allégorie de ceux qui furent et ceux qui constituent encore le soubassement de la société, source intarissable de la création romanesque " chamoisienne ".

Les Neuf Consciences du Malfini est un livre qui vous entraînera dans un monde à la fois réel et merveilleux, atemporel et saisissant de véracité où l'oiseau se fait l'alter ego de l'écrivain. Un livre attachant tant au niveau de la fiction et de l'histoire poignante que par le style si particulier et si délicieux de Patrick Chamoiseau...

Raouf MEDELGI

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