Mauvaise passe pour le ministre de la Culture. L’affaire Strauss-Kahn braque le projecteur sur les mœurs des dirigeants et l’omerta qui recouvre leurs éventuels délits sexuels. Depuis six ans, une confession méconnue de Frédéric Mitterrand à propos de ses relations tarifées en Tunisie est passée sous silence. Flashback.
« L’échange paraît facile... mais la transgression est absente. On sert de femme de remplacement et de livret de caisse d’épargne ; les beaux gosses arrivent comme au sport et pour financer l’électroménager de leur futur mariage avec la cousine choisie par leur mère... ce sont les familles qui mènent le jeu et gagnent à tous les coups... de vieilles folles compulsives y trouvent leur avantage... puis les garçons disparaissent d’un seul coup... la fatigue ne vous donne plus très envie de continuer » : en ces termes, Frédéric Mitterrand dévoilait la face obscure de son amour pour la Tunisie. C’était en 2005, à l’occasion de la parution de son ouvrage intitulé « La mauvaise vie ». Ce récit crû et mélancolique relatait alors les expériences transgressives et autres égarements d’un esthète voyageur en mal de sensations fortes. Ainsi, à défaut de pouvoir s’aventurer dans les bordels d’Asie du Sud-Est, le narrateur admettait recourir à une alternative plus commode : la « solution Maghreb ». Fin 2009, lors de la révélation médiatisée de passages faisant état de relations avec des « garçons » en Thaïlande, le journaliste de L’Express Jérôme Dupuis s’était livré à une analyse détaillée du récit. A propos du passage concernant la Tunisie, son commentaire fut explicite : « Ce qu’il appelle crûment la "solution Maghreb" (comprendre le tourisme sexuel en Afrique du Nord) serait une impasse, car les compagnons d’une nuit ne souhaitent pas le suivre en France. "Le minet n’immigre pas", conclut-il avec regret... ».
Plus loin, le critique littéraire renchérissait : « C’est pourtant un chapitre consacré à la Tunisie qui, peut-être, suscite chez le lecteur la plus grande gêne. Frédéric Mitterrand y raconte, en une scène déchirante, comment il emmène vivre avec lui à Paris un garçonnet tunisien, l’arrachant à une mère évidemment consentante mais éplorée. Pour l’éducation de ce "fils adoptif", le ministre se démène sans compter et se prive de vie mondaine. L’enfant, turbulent, lui mène la vie dure, arrachant à Frédéric Mitterrand cette réflexion - où comme toujours la franchise ouvre directement sur l’inconscient : "Je me demandais parfois si je serais capable de me donner tant de mal pour une petite fille. Les garçons touchaient évidemment à quelque chose de plus intime et de plus ambigu - quoique..." ».
Lors d’une interview spéciale avec Laurence Ferrari en octobre 2009, Frédéric Mitterrand –alors critiqué pour son soutien à la libération de Roman Polanski- avait précisé qu’il ne se livrait nullement, dans ce « récit pas totalement autobiographique », à « l’apologie du tourisme sexuel ». Une pratique qu’il « condamne » même s’il a reconnu avoir commis tout au plus « une faute contre l’idée de la dignité humaine » à propos de ses relations « tarifées ».Solennel, le ministre enfonçait le clou : « Il faut se refuser absolument à ce genre d’échange ».
La tempête est passée et Frédéric Mitterrand est resté à son poste. Curieuse faveur : alors que le secrétaire d’Etat Georges Tron, soupçonné d’agression sexuelle, a dû démissionner alors qu’il n’est pas encore mis en examen, le ministre de la Culture a continué d’exercer ses fonctions alors qu’il avait confessé, de manière à peine voilée, avoir commis des actes susceptibles d’être considérés comme délictueux au regard du droit international. A cette protection s’ajoute celle de l’ancien régime de Ben Ali : comme il l’a reconnu en février dernier, Frédéric Mitterrand dispose -grâce au despote déchu qui le lui a octroyé- de la nationalité tunisienne. Or, dans ce pays, la loi était particulièrement sévère à l’encontre du citoyen lambda ayant recours à la prostitution. Derrière la légende dorée d’une Tunisie progressiste et libérale sur les mœurs, une législation féroce, comme celle des autres pays arabes, était toujours en vigueur pour sanctionner les pratiques sexuelles hors-mariage ou l’affichage de l’homosexualité. Frédéric Mitterrand a visiblement bénéficié d’une impunité extraordinaire lors de ses fréquents séjours en Tunisie en comparaison du citoyen de base. Rien de surprenant, dès lors, à l’entendre défendre tacitement Ben Ali quelques jours avant son départ–alors que le sang des manifestants avait pourtant déjà coulé.
Quant au chef de l’Etat, la protection qu’il assure au neveu de l’ancien Président n’a pas été entamée par la lecture de l’ouvrage controversé, bien au contraire- comme l’a expliqué son auteur au Nouvel Observateur : « J’ai parlé avec Nicolas Sarkozy à trois reprises de « la Mauvaise Vie ». La première fois, c’était pendant la campagne présidentielle, lors d’une rencontre informelle, hors de tout enjeu politique direct. Nicolas Sarkozy venait de lire mon livre. Sans céder au narcissisme, je crois pouvoir dire qu’il l’avait beaucoup aimé. J’ai surtout eu le sentiment qu’il l’avait compris. Nous en sommes restés là ». Gratitude en retour : lors du dernier festival de Cannes, le ministre a affirmé qu’il ferait « ce qu’on lui demandera de faire » pour appuyer la candidature et la réélection de Nicolas Sarkozy. Six ans auparavant, Frédéric Mitterrand admettait pourtant n’avoir « aucune sympathie » pour celui qui était alors le dirigeant de l’UMP. La convoitise d’un maroquin rend probablement les êtres aimables.
Les yeux fermés de Ben Ali
Depuis la parution de son ouvrage en 2005, et notamment depuis sa nomination à la Culture quatre ans plus tard, Frédéric Mitterrand n’a jamais eu à s’expliquer sur les passages consacrés à la Tunisie et sur ce qu’il nomme lui-même la « solution Maghreb », à savoir l’exploitation sexuelle de la misère locale. Alors qu’une nouvelle affaire de mœurs - à propos d’un ancien ministre s’adonnant à la pédophilie au Maroc- provoque actuellement un vif débat au sein de la classe politique, une autre révélation est passée totalement sous silence. C’était le 17 janvier sur l’antenne d’Europe 1 : interrogé sur les conséquences de la révolution tunisienne, l’ex-journaliste Jean-François Kahn a lâché brutalement un propos détonnant qui n’a pas été relevé par la presse écrite et audiovisuelle : « Il y a encore six jours, monsieur Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture -la Culture !- disait « Ce n’est pas une dictature » ! Et quand on sait quelles sont les activités auxquelles se livrait monsieur Mitterrand en Tunisie, il aurait dû se taire ! C’est ignoble, c’est une abjection, l’attitude de monsieur Mitterrand ».
Quelles sont précisément ces « activités » innommables auxquelles fait référence Jean-François Kahn ? Mystère. Dira-t-on par la suite, comme pour l’affaire Strauss-Kahn, que beaucoup, dans le microcosme parisien, ont « su »mais ont préféré se taire ? Probablement. Contrairement à la confidence déguisée de Luc Ferry au sujet d’une personnalité politique ayant commis des actes délictueux au Maroc, l’allusion quasi-diffamatoire d’un initié comme Jean-François Kahn n’a pas fait de bruit depuis trois mois. Une omerta tranquille, en quelque sorte.
Frédéric Mitterrand est décidément né sous une bonne étoile : couvert par Ben Ali, soutenu par Sarkozy et épargné par un corporation médiatique qu’il finance en partie par les aides à la presse, cet homme de réseaux peut s’enorgueillir d’avoir réussi à conquérir la place d’un notable influent tout en ayant confessé la vie d’un crypto-touriste sexuel qui a fait fi des conventions. Dans n’importe quelle démocratie scandinave ou anglo-saxonne, un tel grand écart aurait été inimaginable. En France –nation qui se flatte d’avoir « aboli les privilèges » en 1789, ce traitement de faveur est possible. Cherchez l’erreur.
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