vendredi 4 novembre 2016

Où va l’athlétisme guadeloupéen ?


Ce weekend, la Ligue Régionale d’athlétisme de la Guadeloupe (LRAG) va élire ses nouveaux membres pour conduire une nouvelle politique sportive pour la prochaine olympiade. Force est de constater que la succession reste une affaire qui s’opère dans les silences feutrés des tractations sans qu’aucune réflexion de fond et débat d’envergure émerge autour d’un projet ambitieux dans la discipline à part des réunions électoralistes de bonnes intentions sans garantie pour prendre le pouvoir. Surement la discipline se porte au mieux, les comptes sont au beau fixe; l’athlétisme guadeloupéen n’a pas besoin de réflexion globale et pragmatique tout viendra de l’extérieur !

Le temps passe, les ministres, les représentants des fédérations vont et viennent en Guadeloupe les mains vides, sans qu’on entende la voix de nos représentants, leurs visions du sport, surtout leurs projets et leurs doléances. Aucun bilan chiffré n’a été dressé sur la mandature (plus de 4 ans). Les récents Jeux Olympiques de Rio n’ont fait l’objet d’aucune analyse. La ligue a brillé par son absence aux récents travaux tenus en Guadeloupe de la CANOC (comités olympique de la Caraïbe) qui définissaient les orientations des prochaines olympiades dans la grande région Caraïbe.

Les hommes et les femmes qui auront à gérer les destinées de l’athlétisme guadeloupéen auront en charge un sport en pleine mutation avec peu de financements ; un sport en crise qui peine à s’affirmer dans l’espace des sports guadeloupéens, tant les pressions extérieures sont fortes face aux mutations sociales et l’inertie de nos dirigeants. Arrivent dans l’athlétisme des inconnus ambitieux qui ont peu pratiqué, sans trop d’expérience d’envergure, donc peu soucieux de respecter, préserver et transmettre les valeurs sur lesquelles l’athlétisme guadeloupéen a bâti son histoire, sa renommée et surtout ses résultats. Les hommes qui ont fait la ligue à l’exemple de grands dirigeants et cadres s’en vont dans l’anonymat total en référence aux décès cette année du Docteur Henry Corenthin et de Pierre Virginius pour ne citer qu’eux. Le peu de passionnés qui résistent sont marginalisés et s’en vont faisant place aux jeunes sans éthique, partisans de la « tabula rasa ».

La crise couve et grandit. L’athlétisme guadeloupéen recule ! La chute des licenciés –alors que le nombre de clubs augmente - exprime un malaise profond : les 2 950 licenciés de 2012 ont chutés à 2 843 en 2015 sans que cela inquiète. Il s’agit de déshabiller Paul pour habiller Jacques. L’athlétisme Guadeloupéen est essentiellement un athlétisme à fortes déperditions où les jeunes (de 6 à 12 ans) et les vétérans (plus de 40 ans) concentrent les plus grands nombre de licenciés (69 %).

Depuis 2009, un plan prévu pour nous apporter un renouveau, retenir nos sportifs sur place n’a jamais été explicité et objectivé (publication de chiffres, moyens financiers donnés aux clubs, et réellement aux sportifs) bien au contraire l’exode de nos athlètes n’a jamais atteint ces chiffres records. Quel bilan pour ce plan opaque et surtout quelle responsabilité dans l’état de notre discipline ?

Si Willem Bellocian reste le leader incontesté de l’athlétisme Guadeloupéen, on ne peut pas dire que ses résultats ont entraîné une densité d’athlètes de haut niveau en Guadeloupe. Les trois médaillés aux France jeunes 2016 confirment un état de carence, la tendance d’une élite faible en nombre. Fort aussi de constater que le sport scolaire qui était le passage obligé du haut niveau ne s’observe plus. Les plus grands athlètes guadeloupéens des 10 dernières années n’ont jamais gagné un titre scolaire national et/ou international. La distance (voire le divorce qui ne dit pas son nom) avec scolaire s’agrandit.

Les politiques sportives mises en place en inadéquation avec la réalité guadeloupéenne font des ravages terribles dans les esprits. Les politiques de transformation des clubs en garderie avec l’institution systématique de formes compétitives « de kids athlé » si elle ravit les peu initiés, ce type de compétition n’est pas en mesure de fidéliser nos athlètes, en faire des compétiteurs voire des professionnels. Il s’agit de faire jouer des enfants qui réclament de la compétition surtout dans un contexte social où le goût de l’effort disparaît progressivement des valeurs guadeloupéennes. Nos voisins performants de la Caraïbe ont choisi d’autres voies ; Bolt n’a pas été formé au « Kid athlé »! Le développement anarchique des courses sur route ont pour fonction d’affaiblir le demi-fond et les longues distances. Ces courses arrondissent les fins de mois de certains tout en faisant les beaux jours de promoteurs de course peu impliqués dans les clubs au profit de leur business.

L’état de jachère des stades et installations d’entrainement – état jamais atteint - n’a fait l’objet d’aucune réaction officielle de notre ligue pourtant la Guadeloupe ne dispose d’aucun stade homologué en mesure de valider des résultats officiels lors de compétitions, ce que confirme le récent rapport du comité des équipements sportifs de Guadeloupe (mai 2016). Faute d’installations sécurisées aux normes, les organisations de compétitions périclitent, les cross et les meetings s’annulent.

Les vocations s’essoufflent. De manière générale les clubs sont déstructurés. Ils souffrent et sont au bord de l’asphyxie par manque de moyens : 
- De moyens financiers surtout pour la pratique (matériels) les coûts de transport pour les participations aux championnats nationaux) 
- Encadrement et surtout de cadres compétents c’est-à-dire de réels coaches impliqués formés et rompus à l’expérience de haut-niveau capable entrainement. Les coaches historiques partent et ne sont pas remplacés dans leur domaine d’expertise d’autant que les formations fédérales refusent d’investir dans ce secteur et aussi la frilosité de nos jeunes cadres peu propice à se déplacer à l’étranger pour se former.

L’athlétisme mondial entre dans une nouvelle époque. Espérons que la nouvelle équipe sera en mesure de construire l’athlétisme des années 2040 autour de valeurs guadeloupéennes performantes pour nous donner des nouveaux Bambuck, Rousseau, Pérec, Arron, des Chérubin et replacer la Guadeloupe sur l’échiquier de la Caraïbe, donc l’échiquier mondial. Cependant, je reste inquiet; l’avenir me semble incertain car je n’entends aucun discours rassembleur d’envergure en provenance d’hommes et de femmes autour des valeurs ambitieuses et surtout sur l’éthique dans notre sport.


Harry P. Mephon
Sociologue
Professeur d'Education Physique et Sportive
Entraîneur d’athlétisme B.E. 2

Aucun commentaire: