jeudi 31 août 2017

FRANC CFA ( Première partie ) AU CARREFOUR OU SE TELESCOPENT LES MYTHES ET LES REALITES…


“…L’émotion est nègre et la raison est hellène…”

Tel était le mot de Senghor qui lui a valu d’être copieusement vilipendé par les siens. Cependant, il est facile de remarquer à quel point l’actuel débat engagé autour de la question du franc CFA, lui donne raison. Car celui-ci rassemble deux records. Tout d’abord celui du nombre de gens qui au travers des réseaux sociaux, prennent activement part au débat, tant en Europe qu’en Afrique, mais également celui du nombre de gens qui manquent totalement de la rigueur intellectuelle nécessaire à une critique fondée, et qui demeurent souvent ignorants ne serait-ce que dans ses grandes lignes, de la réalité de ce dont ils débattent aussi âprement.

Il s’est ainsi développé un débat tristement parasite dans le vrai débat, autour de toute une “mythologie” quant au système CFA, où la passion débridée de beaucoup l’emporte manifestement sur toute raison, lorsqu’ils en font dans une vision simplificatrice qui se moque d’envisager l’enchainement des faits historiques, un instrument d’oppression mis au service d’une volonté maléfique. Ceci, alors qu’il s’agit d’un système issu de la période coloniale de sorte qu’il se trouvait bien sûr, dans une cohérence technique avec l’entreprise d’exploitation, mais qui tel qu’en lui-même ne répond qu’à une nécessité monétaire et ne devient partant de là un instrument d’exploitation ou non, que par destination. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle s’étant vu confiée une autre fonction, il a pu survivre à cette époque…

La difficulté de ce débat réside donc dans le fait qu’il s’est finalement établi sur quatre domaines distincts qui conduisent dès lors, à avoir des points de vue différents difficilement conciliables sur la question. Il y a tout d’abord l’aspect purement technique dans ses principes économétriques, d’un système économique et monétaire. Vient ensuite logiquement, l’aspect politique et géopolitique de sa mise en œuvre dans lequel il faut alors bien distinguer, ce qui relève des mécanismes propres du système, et ce qui relève de l’utilisation qu’on en fait et surtout, de la façon dont on le fait, tant il est vrai qu’un même couteau peut se révéler très utile pour faire la cuisine, et détestable quant on s’en sert comme instrument d’agression.

Ceci pour dire dès le départ que ce n’est pas parce que les acteurs de la mise en œuvre du système ne parviennent pas à l’exploiter correctement que celui-ci est forcément mauvais.

Ces deux aspects, technique et politique, demeurent cependant dans le domaine de la raison et de la rationalité. Mais, il y a dans cette affaire un aspect “idéologique”, dont la raison est forcément de faible poids par rapport aux douleurs, aux humiliations, et aux frustrations qui l’animent, parce qu’il relève du contentieux historique qui oppose ses anciennes colonies à la puissance tutélaire du système et selon lequel le rejet de celui-ci quel que par ailleurs il serait, s’impose dès lors qu’il met en exercice l’ancienne puissance coloniale dont la prétention tutélaire fut justement la cause d’un âpre combat menée contre elle.

Malheureusement, cette question fondamentale de la “souveraineté” et de la “dignité”, parfaitement légitime, mais dont certains pensent à tort qu’elle peut faire l’économie d’un débat technique afin de la marche à suivre, pour un “refus” par principe alors qu’il est clair que celui-ci ne suffira pas à offrir la solution, s’est trouvée totalement polluée par des exaltés vindicatifs qui s’entretiennent dans leur mythologie. Dans celle-ci, les falsifications, surtout les plus grotesques, à force d’être répétées et entretenues par ceux qui ont besoin de voir légitimer leurs rancœurs, ont pris pour beaucoup le caractère de “vérités révélées”, ce qui les rend sourds à tout appel qui est fait à leur simple intelligence dans ce débat…

Comprenons donc dès cet instant que face aux tenants du système tel qu’il est, il existe deux catégories qui ne sont absolument pas superposables, d’opposants, ceux qui prônent la destruction pure et simple du système, mais qui n’exercent absolument aucune responsabilité dans la conduite des choses, même s’ils rassemblent un large public, et ceux qui eux exercent cette responsabilité, certains dirigeants qui comprennent qu’il s’agit là d’un “lieu de pouvoir”, à la conquête duquel il leur faut absolument parvenir…

Ceci étant, pour bien en saisir les tenants et les aboutissants et nous établir dans une saine compréhension des choses, il nous faut tout d’abord reprendre toute cette histoire depuis ses origines lointaines…

C’est en 1856, le Sénégal étant à cette date la seule colonie française de l’Afrique subsaharienne, que Napoléon III va créer la Banque du Sénégal pour pouvoir financer la colonisation, et particulièrement, pour que tous ceux qui avaient reçu d’importantes sommes en dédommagement, suite à l’abolition de l’esclavage proclamée quelques années plus tôt et parmi lesquels se trouvaient curieusement beaucoup de mulâtres et même des noirs, puissent exercer d’autres activités sur place. Car les échanges dans cette région d’Afrique se faisaient jusqu’alors, soit par le simple troc, ou à l’aide de cauris, de bandes d’étoffe, ou de plaques de différents métaux, voire avec de l’or pour les transactions les plus importantes. Cette banque reçut donc le privilège d’émission de monnaie, pour cette région…

La colonisation s’étant étendue et institutionnalisée par le partage de l’Afrique entre puissances coloniales européennes avec les accords de Berlin en 1885, l’administration de ces territoires conduira à la création de l’ensemble dit “Afrique Occidentale Française” (AOF), en 1895, ce qui allait entrainer en 1901, la transformation de cette Banque du Sénégal en une Banque de l’Afrique Occidentale (BAO), qui héritera du privilège d’émission pour un franc qui sera alors celui de la BAO, dont celle-ci assurera la convertibilité avec le franc de France.

Cependant, la mise en valeur progressive d’autres territoires entrainera la création d’un autre ensemble dit “Afrique Equatoriale Française” en 1910, auquel le privilège d’émission de la BAO sera étendu, et les choses en resteront ainsi jusqu’à la veille de la deuxième guerre mondiale, avec un seul institut d’émission pour toute l’Afrique subsaharienne française, à coté des autres instituts d’émission d’Indochine, du Pacifique, et des Antilles…

C’est alors que suite à la défaite militaire française devant les divisions allemandes en 1940, et l’appel à la résistance lancé par le général de Gaulle, sous l’influence très active du gouverneur guyanais du Tchad, Félix Eboué, c’est toute l’AEF qui avec lui, va se rallier au général de Gaulle et à ce qui va devenir par le fait, la “France libre”. Ceci, alors que l’ancien gouverneur général de l’AOF Pierre Boisson, nommé par le maréchal Pétain en 1940, haut commissaire de “l’Afrique française”, restera fidèle au gouvernement de Vichy, et fera même donner le canon contre les navires britanniques et de la France libre qui tenteront avec le général de Gaulle, de débarquer à Dakar.

Face à cette sécession, le gouvernement de Vichy décidera de supprimer le privilège d’émission de la BAO en direction de l’AEF qui se retrouvera alors dans une situation impossible, puisque sans banque centrale pour assurer l’administration monétaire de la région. Ceci va conduire le général de Gaulle à créer en 1941 la “Caisse centrale de la France libre”, chargée de l’émission monétaire en AEF, qui reprendra pour cela des billets de la BAO frappés d’une croix de Lorraine.

Cependant, le ralliement de Pierre Boisson au général Giraud, partisan de la reprise des combats, au pouvoir de fait en Afrique du nord, et soutenu par les Américains y ayant débarqué, puis le ralliement de Giraud au général de Gaulle, vont faire que les deux instituts d’émission des deux régions vont se retrouver sous le contrôle de la France libre en devenant alors la banque AOF-Togo, et la banque AEF-Cameroun, sans pouvoir pour autant fusionner.

Ceci, parce que privés de la garantie de la Banque de France pour leur émission de monnaie, et compte tenu des contingences de cette période difficile, les deux instituts ont du se débrouiller comme ils l’ont pu pour parvenir à constituer un panier de devises pour cette garantie, mais n’y étant pas parvenus avec la même efficacité ils n’offraient donc pas la même garantie. Ceci, d’autant que la BAO aurait pu éventuellement garantir son émission avec une partie de l’or de la Banque de France qui avait été mis en sécurité à Kayes au Mali. Il était clair que les monnaies émises par l’un et par l’autre étaient appelées à diverger.

Il est évident qu’à la fin des hostilités, toute cette pagaille monétaire induite par le conflit imposait une refonte totale du système monétaire, pas seulement pour les colonies française et leur métropole, mais pour tout le monde, compte tenu de la dimension planétaire qu’avait pris cette guerre, d’où l’ouverture d’une vaste conférence à Brettons Woods en 1945, après des travaux préparatoires déjà engagés durant la guerre elle-même, pour une refonte totale du système monétaire international qui allait impliquer logiquement, des réformes dans les différents systèmes nationaux…

C’est ici qu’intervient le premier point important de cette affaire, à savoir l’origine et les raisons de la création du franc CFA…?

Pour beaucoup de gens bien-sûr mal documentés, mais qui se satisfont volontiers d’une explication qui leur offre une occasion d’exprimer une rancœur qu’ils pensent légitime, ce système aurait été crée selon une initiative du général de Gaulle, dans le but de soumettre les colonies à un rançonnement, dont les plus audacieux vont même jusqu’à prétendre qu’il aurait été calqué sur un système des relations économiques et financières entre la France occupée et l’Allemagne nazie…

C’est un économiste africain pourtant renommé, mais au sujet duquel on est en droit de s’interroger quant à sa véritable compétence, qui s’est employé à entretenir cette histoire totalement incohérente avec une malhonnêteté intellectuelle sans borne, mais en ayant pourtant bien atteint son objectif, celui de faire traiter le système CFA par tous ceux qui n’ont jamais ouvert un livre de leur vie, de “système nazi”…

En réalité, comparer ce qui est tout un système économique et monétaire comme le franc CFA, avec ce qui n’était que les obligations économiques et financières de la France vaincue face à l’Allemagne victorieuse, précisées par l’article 28 de l’accord d’armistice n’a tout simplement aucun sens, puisqu’il n’y a absolument pas eu durant toute la durée de la guerre, d’intervention directe des Allemands dans la gestion de l’institut d’émission français c’est-à-dire la Banque de France, alors que ce genre d’intervention est précisément le point le plus important du système CFA…

En réalité l’accord d’armistice prévoyait entre autre, “l’indemnité d’occupation”, les frais des troupes d’occupation stationnées en France étant à la charge du gouvernement français, ce qui constituait la contrainte la plus lourde, et “l’accord de compensation” avec l’Allemagne aux termes duquel la valeur des exportations françaises vers l’Allemagne était créditée sur un compte en Allemagne, ce qui normalement aurait permis en retour de financer les importations françaises en provenance d’Allemagne. Mais il y en eu très peu en retour, les Allemands ne fournissant presque rien, de sorte qu’il y eut une énorme perte pour la France…

C’est de cet exemple que cet économiste à l’esprit embrumé se sert pour établir une identité avec le système CFA, pour faire dire de lui qu’il s’agit d’un système nazi, mais on cherche vainement à comprendre en quoi ces deux choses sont-elles comparables… !

En nous éloignant de ces outrances propagandistes et sournoisement racistes, ce qu’il faut bien comprendre dans cette affaire c’est que la création du franc CFA en 1945, était non seulement une nécessité objective, puisqu’il fallait bien que les colonies aient une monnaie et que celles de la période de la guerre ne pouvaient plus avoir cours, mais surtout une obligation pour satisfaire aux accords extrêmement contraignants de Brettons Woods…

Tout le baratin des gens qui veulent en faire une manigance du général de Gaulle pour asservir les colonies provient du fait qu’ils ne comprennent pas que la création de ce système s’inscrit logiquement dans ces accords, et c’est d’ailleurs le même jour que la France va faire logiquement sa déclaration de parité, tant pour le Franc français (FF), que pour le franc CFA (XOF et XAF), qui il faut le noter, valait alors 1,7 FF, et en vaudra 2 après la dévaluation du FF en 1948, valeur qu’il conservera alors par rapport aux francs de l’époque, jusqu’en 1994.

Ceci pour dire que critiquer dans son principe même, la création du franc CFA en 1945 à l’heure où les nations africaines de cette zone étaient encore des colonies françaises, est une attitude parfaitement stupide puisqu’il fallait bien qu’il y eut une monnaie qu’elles n’avaient pas lieu, et de toutes les façons pas les moyens, d’émettre elles-mêmes, en tant que colonies. Seules donc peuvent faire l’objet de critiques à ce sujet et à cet instant, une à une, les différentes dispositions statutaires qui furent alors retenues et surtout, la politique économique et financière conduite au sein de l’organisation.

Cependant, il faut remarquer que concernant les dispositions statutaires, il n’y a strictement aucune “invention” qui établirait une spécificité maléfique de la zone CFA, puisqu’il s’agit là de dispositions qui relèvent de techniques bancaires tout ce qu’il y a de plus habituelles, et qui se retrouvent partout ailleurs, même si l’articulation de l’ensemble peut bien-sûr faire l’objet de critiques. Quant à la politique monétaire, telle qu’elle fut fixée au départ, et particulièrement, la question de la “fixité de la parité”, qui impose aux banques centrales d’avoir d’importantes réserves de change afin de pouvoir racheter éventuellement leur propre monnaie, pour en maintenir le cours et en garantir la convertibilité, elle se trouve à la base même des accords de Brettons Woods.

Ainsi, le franc CFA justifié dans sa fondation, a-t-il parfaitement accompli son rôle de monnaie des “Colonies Françaises d’Afrique”, puisque telle était son appellation au départ, en assurant à ces colonies une exceptionnelle stabilité monétaire inconnue ailleurs en Afrique.

Toute la question qui se pose maintenant est de savoir pourquoi ce franc de colonies, s’est-il maintenu à l’heure des indépendances, ce qui a priori semble totalement incohérent…? Et ceci, en faisant la part des choses entre le mythe et la réalité quant à ce que fut l’attitude de la puissance coloniale dont certains prétendent qu’elle aurait usé des plus affreux chantages allant jusqu’à l’assassinat de dirigeants récalcitrants, pour les contraindre de maintenir leur nation dans la zone CFA, compte tenu que c’est par ce système qu’elle parviendrait à tirer des nations africaines exploitées, l’essentiel de ce qui lui permet de vivre.

Ne riez pas, beaucoup d’Africains se nourrissant d’une propagande qui leur procure une justification de leur état de déshérence qui n’engage en rien leur responsabilité, ne s’offrent pas de constater que le Pib de la France est sept fois supérieur au Pib des 14 nations de la zone CFA réunies, et même supérieur à celui des 54 nations africaines réunies. Dès lors, en ne faisant pas la différence entre le prix d’une tonne de cacao avec celui d’une tonne d’Airbus, ils ne prennent pas conscience du non sens total qui consiste à dire qu’une nation a pu par le simple vol de nations africaines, obtenir sept fois plus que tout ce qu’elle aurait pu leur voler en ne leur laissant pas même un seul centime…

Que la France tire profit du système CFA, c’est indéniable, mais prétendre que c’est de là qu’elle tire l’essentiel de sa richesse est totalement stupide, et le fait de gens qui ne font pas le moindre effort de documentation…

Il faut donc rappeler qu’en réalité, aucune nation n’a jamais été empêchée et n’est à ce jour empêchée, de quitter la zone CFA. C’est ainsi que la Guinée à quitté la zone CFA à son indépendance en 1958, que le Mali l’a quitté en 1962, puis y est revenu après une expérience catastrophique en 1984, que la Mauritanie l’a quitté en 1973, tout comme Madagascar dont on sait ce que sera son odyssée monétaire, même si ce pays qui il est vrai, se trouve détaché des autres, n’a pas demandé sa réintégration. Il faut noter qu’inversement, deux pays qui ne furent pas des colonies françaises, la Guinée Bissau et la Guinée équatoriale, ont quant à elles, rejoint la zone CFA.

Prétendre que l’entreprise de déstabilisation dont à été victime en Guinée Conakry le président Sékou Touré qui, en pleine guerre froide, avait fait le choix d’une alliance avec Moscou contre tout l’occident, était du à son refus de demeurer dans la zone CFA, c’est avoir une vision bien simpliste de cette époque compliquée. Ceci, tout comme prétendre que l’assassinat du premier président du Togo, Sylvanus Olympio, serait du à une manigance de la France parce qu’il avait émis l’idée de sortir de la zone CFA, et non pas à la rage de son opposant, le redoutable Gnassingbé Eyadéma, dont il est pourtant reconnu que c’est bien lui qui l’a abattu avec ses soldats tous bien togolais, relève de la même falsification…

Quant à savoir alors pourquoi la plupart des nations sont demeurées dans le système CFA malgré leur indépendance, il faut bien comprendre qu’il en est pour ce système comme pour toute autre chose, celui-ci possède fatalement les inconvénients de ses avantages, et cette façon qui consiste à faire la critique de ses inconvénients, sans jamais citer ses avantages pour le présenter comme étant une nuisance fondamentale, ne permet pas de comprendre ce qui fut alors le choix de la majorité des chefs d’état…

C’est ce que nous verrons dans une deuxième partie où nous rentrerons dans le détail des mécanismes du franc CFA, pour comprendre ce que pourrait et devrait être l’évolution favorable de ce système, et ce qu’entrainerait sa suppression pure et simple…


Paris, le 31 août 2017
Richard Pulvar

Aucun commentaire: