L’arrêté présidentiel proclamant le jour de l’Ascension jour de congé ne peut être considéré que comme un mauvais précédent, aux yeux de la logique républicaine. La république haïtienne sera laïque ou ne sera pas. Les quelques acquis démocratiques obtenus de haute lutte par le peuple haïtien sont la liberté d’expression, un début de laïcisation de l’Etat et de la vie civile, la représentation (pour maladroite qu’elle soit) de couches sociales jusqu’ici interdites de politique dans la vie politique du pays.Une présidence vigoureuse nous change certes du laxisme honteux auquel nous avaient habitués les années Préval, en particulier depuis le 12 janvier 2010. Dans notre galerie de chefs d’Etat, René Préval gardera une place particulière. Avant lui, il y avait eu les soulouqueries de Faustin 1er, la ruse de Canal, l’infamie de Borno, le mulâtrisme de Lescot, les beuveries de Magloire, la violence de François Duvalier, le pillage des finances publiques sous la dictature molle du jeanclaudisme, les gesticulations d’Aristide. Sous Duvalier on avait eu peur, sous Aristide on craignait la démence. Nombreux sont-ils qui nous ont mal servi. Mais jamais de mémoire de citoyen on n’a eu aussi honte que sous le règne Préval : notre misère à l’encan. N’importe quel prétendu aideur faisant tout, rien et n’importe quoi ; un gouvernement muet, ce qui était peut-être un mal pour un bien, puisque lorsqu’il prenait la parole, sa l di a ak sa l pa di a se te menm bagay la ; des élections réalisées dans l’indignité, la « communauté internationale » corrigeant les copies et décidant des résultats. Il y a des personnages dans l’histoire qui –indépendamment de leurs intentions, si intention il y a – finissent par être méchants par défaut, par apathie et ignorance totale des valeurs symboliques. On demandait donc un changement, une présidence, enfin. C’est aussi pour cela que Michel Martelly a été élu. Un peu de nerfs et de (bonne) volonté, choses qui nous auront beaucoup manqué au sommet de l’Etat ces dernières années.Mais la bonne volonté ne suffira pas. Et très vite on risque d’arriver à une situation dans laquelle qui veut faire l’ange fait la bête si ce volontarisme fait fi des acquis démocratiques et des principes républicains. La république n’est ni catholique, ni protestante, ni vodouisante. Le devoir de l’Etat et du gouvernement est d’assurer le libre exercice des cultes et de l’athéisme dans la sphère privée. On se souvient des malheurs causés par la tristement célèbre campagne anti superstitieuse. (De toutes les façons, comme le rappelait un célèbre anthropologue français : « la superstition, c’est la religion des autres. ») On vit aujourd’hui des conflits larvés, certains représentants des cultes réformés s’arrogeant le droit d’accuser le catholicisme et le vodou de compter parmi les causes de nos malheurs. Voilà que le président vient lui-même mettre de l’huile sur le feu en proclamant un jour de congé pour une croyance qui ne concerne que les catholiques et ne s’inscrit pas dans une symbolique nationale. C’est pour le moins une erreur de jugement, et au pire une menace sur les acquis démocratiques si elle annonce une ligne de conduite.S’il vous plait, monsieur le président, monsieur le premier ministre désigné, messieurs et dames les ministres pressentis, vivez vos croyances en privé et gardez-les hors des affaires publiques. Libres à vous et à tous d’avoir qui ses Jésus, Marie, joseph, qui ses Damballah et Erzulie, qui son mystère de la trinité et de l’immaculée Conception, qui ses mystères tout court qui dansent sa tête, qui pas de mystère du tout et la simple espérance que « l’humanité ne se pose que des problèmes qu’elle peut résoudre ». Dans la sphère privée. Mais n’imposez à personne vos mythes et vos prières.« Repons peyizan » et bigoterie catholique, mariage ranje ou divorce annoncé ? Dans tous les cas, cet arrêté présidentiel est contraire à l’esprit de la Constitution et place un culte religieux au-dessus des autres, et ce n’est pas pour cela que nous payons le Président.
Lyonel Trouillot 2 juin 2011
Lyonel Trouillot
2 juin 2011
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