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lundi 12 avril 2010
Le Sénégal à la veille d’une révolution musulmane
Avec Wade, le Sénégal a sans doute l’âge du fer et du béton, mais le désert a envahi les cœurs, tant la croissance (indiscutable) déconstruit les solidarités basiques, et met sur le trône les symboles venus d’ailleurs, lesquels en retour contrarient la civilisation, la culture et les valeurs d’une société profondément croyante. Sous l’ancien régime, la fracture sociale grandissante ; sous le nouveau, les mêmes inégalités aggravées plus l’injustice, en même temps que cette impunité à ciel ouvert. Dans ces conditions, le Monument comme seule trouvaille, antidote et parade contre la déprime (sociale) et le désarroi moral a, sans doute, droit de cité (car ce pays est tolérant de tradition et par culture), mais c’est un peu court en guise de viatique pour une société qui a mal partout et qui dit sa souffrance.
Passe encore pour le signifié (la Renaissance africaine), qui peut prendre plusieurs formes selon l’inspiration de l’artiste ou du visionnaire (musulman, chrétien, franc-maçon, traditionniste, moderne, contemporain, etc.), mais que dire du signifiant (les trois figures humaines du Monument) ? Si la création est libre, chaque œuvre s’autorise d’un imaginaire et d’une posture qui varient d’un lieu à l’autre de l’espace sociétal. La symbolique musulmane de la Renaissance africaine ne sera pas de même facture ni de même élan ou de même allure que la franc-maçonne, l’animiste ou la catholique et l’animiste. Si une partie du peuple abhorre le Monument, c’est parce que ce dernier magnifie le culte maçonnique de l’homme sans Dieu et si le Monument est une réfutation constante des mœurs et des croyances du pays, c’est par suite de son inspiration humaniste athéiste. Pour les religions abrahamiques, la force est dans le souffle de l’Esprit, non dans le muscle saillant, pas plus que le beau n’est dans la plastique hellène, ni l’esthétique négro-africaine dans le gigantisme du néo-réalisme staliniste. Ce Monument a le droit de vivre, comme il y a de la place encore sur les Mamelles ou ailleurs, pour d’autres monuments symbolisant la même Renaissance africaine qu’il est loisible à chaque croyance et sensibilité de traduire selon son langage et ses codes.
Partant, ce qui intéresse, ce n’est pas tant le Monument, mais l’en-deçà de celui-ci, c’est-à-dire l’arrière-plan social, moral, intellectuel où s’activent et se télescopent les puissances morales de la société qui manifestent leurs existences par l’intermédiaire des symboles qui les figurent. Aussi ce Monument, est-il au fond, tout ce que le vieux messianisme d’inspiration occidentale s’est encore révélé capable de produire quand il a eu les mains libres de créer du neuf ou de faire une œuvre originale. Que faut-il sanctionner dès lors ? La rupture avec l’humanisme négro-africain ou la fidélité à l’inspiration des maîtres ? L’initié qui rend hommage à ses initiateurs ou la Mère patrie qui n’a pas su protéger sa progéniture contre les déviances ? A l’inverse, qui seulement peut se targuer de réciter ce qu’il n’a pas appris ? Si l’Afrique a perdu l’initiative historique depuis des siècles, peut-elle se plaindre de cet inconvénient et de cette inconséquence qui auront jeté tant de ses fils dans les marais de l’Occident ? A qui la faute ?
Toujours est-il que les passions nées du Monument de la renaissance n’ont pas d’importance intrinsèque en elles-mêmes, mais pour ce qu’elles ont mis en lumière les projets de sociétés et les symboliques de civilisation et de culture qui leur correspondent dans le peuple et les élites, au-delà des camps politiques partisans, de l’opposition comme du pouvoir, qui dans les faits, ont refusé de débattre, et se seront réfugiés derrière des appareils religieux chargés d’établir en toute naïveté si l’Islam admet les statues ou non, comme s’il s’agissait précisément de cela !
En un mot, le débat qui n’a pas eu lieu, ni avant l’inauguration du Monument, ni aux Colloques sur la Renaissance africaine, c’est que la controverse sur le Monument a mis la société devant les choix que les messianismes traditionnels se sont révélés incapables d’assumer et de prendre en charge sous peine de montrer leurs limites : Quel régime social ? Quel (s) projet (s) de société, de culture et de civilisation ? Quel régime des libertés civiles et citoyennes, artistiques et littéraires ? Quel (s) art (s) et quelle(s) culture (s) ? etc. Autant de questions auxquelles les réponses des messianismes dominants jusqu’ici s’étaient révélés incapables de répondre, au regard des intérêts de caste de la classe politique sénégalaise dans son ensemble, au-delà de ses clivages politico-idéologiques convenus.
Si donc le débat n’a pas eu lieu, c’est en vertu d’un consensus interne à un jeu multipartisan traversé de part en part par les mêmes obédiences, c’est-à-dire modéré, quant au fond, par les mêmes maîtres des Loges et des territoires. Aussi le grand perdant dans cette affaire, est-il la société contemporaine et ses dynamismes pourtant patents, qui auront été floués par une conspiration des nantis des deux bords, c’est-à-dire par les tenants des messianismes déjà anciens, voire démodés face aux principes nouveaux qui ont fait brèche dans la société sénégalaise, depuis en particulier la révolution islamique d’Iran en 1979, suivie dix années plus tard de la chute du Mur de Berlin et de l’effondrement de l’ex-empire soviétique.
Partant, il y a des raisons de penser que la pseudo-controverse sur le Monument de la Renaissance africaine aura tenté de contenir, sans pouvoir toutefois la dissimuler, une dynamique sociétale irréductible aux querelles partisanes des ‘francisés’ et des ‘arabisés’ convertis à leur religion.
Moyennant quoi, le besoin d’égalité et de justice dénigré sous l’ancien et le nouveau régime passera tôt ou tard, des mains des messianismes d’origine européenne qui sont aujourd’hui esseulés - parce qu’ayant fait leur temps sur les plans politique, symbolique et à celui de l’imaginaire - à celles des puissances de réformation endogènes, dont la plus autorisée d’un point de vue historique, sociologique et culturel, demeure mutatis mutandis l’esprit musulman ou Islam Jullit séculaire, c’est-à-dire une pensée stratégique que la domination française - directe comme indirecte - n’a pas réussi à ‘déschouke’ (‘déraciner’ en créole antillais) sur la longue durée. Le Sénégal à la veille d’une révolution musulmane ? Le problème mérite d’être posé.
Muslimisme ou panafricanisme ? La fin des messianismes politico-idéologiques européens des XIXe et XXe siècles en Afrique : Le cas du Sénégal A présent que le continent célèbre sa destinée future, et subséquemment, se produit en acteur historique armé de symboles nouveaux susceptibles d’entraîner les Etats, les peuples et les élites dans la mondialisation présente, à l’effet de modifier le cours de l’histoire contemporaine, il serait indiqué de s’interroger sur le mode de composition de ce monde nouveau que nous appelons de tous nos vœux, en examinant de très près le détail du terrain et l’état des milieux. Il ne s’agit plus en effet de disserter sur le Tout formé par l’Afrique et les diasporas africaines considérées comme un bloc, mais de questionner la manière d’être des parties constitutives, c’est-à-dire les unités élémentaires et moléculaires qui spécifient l’Afrique en question.
Ki-Zerbo J. se demandait : ‘A quand l’Afrique ?’. Mais nous, ne sommes-nous pas payés pour savoir ce qui se passe réellement dans chaque pays ou groupe de pays, région ou sous-région ? N’est-il pas impérieux de s’interroger sur cette interpellation de l’historien burkinabé en regardant l’Afrique telle qu’elle est et telle qu’elle vit et mute dans chaque segment de base de la Mère Patrie, en l’occurrence les territoires, les espaces et les sociétés, les idéologies et les cultures, les religions et les croyances autant que les rapports de pouvoir qui, dans chaque nation prise séparément ou dans chaque groupe de peuples, dans chaque région ou continuité culturelle, servent de cadre d’expression aux représentations stratégiques qui suscitent, motivent et encadrent l’action africaine et panafricaine ?
Evidemment, ce n’est pas un hasard si c’est encore le Sénégal qui est à l’initiative, depuis Senghor, des rassemblements panafricains d’une certaine ampleur ; et ce n’est pas non plus une incongruité si la Renaissance africaine a trouvé dans cette vieille terre un champ fertile à son expansion, et des symboles à sa dimension en particulier, le Monument de la Renaissance africaine dont l’inauguration offre une opportunité d’échanges et débats d’idées sur le fond.
Assurément, de 1960 à nos jours, le pays de Ndiadiane aura fait en cinquante ans le travail d’un siècle ou plus, tant ses bonds sont prodigieux, de la fin des années 50 à l’An 50 de l’Indépendance, et ce, dans tous les domaines, en particulier celui de la production des idéologies de transformation des sociétés sénégalaises et africaines, de Cheikh Anta à Senghor et Wade. Mais à l’expérience, les idéologies messianiques qui ont dominé le Sénégal depuis l’indépendance, ainsi que le groupe social des ‘évolués’ qui lui correspond, n’ont plus le monopole de la représentation et des valeurs, des options de sociétés et des types d’Etat, en particulier, du fait d’une rationalisation multiséculaire plongeant ses racines dans les traditions et les religions, une rationalisation qui, dans les conditions de la mondialisation et ses effets socio-économiques et culturels ou politiques, se présente comme un défi certain, sinon une alternative tendancielle, aux messianismes d’origine européenne : le Muslimisme, d’une part, et le Panafricanisme de l’autre ; deux options de caractère endogène à l’Afrique et aux diasporas africaines, portées par des groupes de ‘mutants’ en rupture plus ou moins évidente avec les évolués de l’entre-deux guerres.
En somme, si, au début des indépendances, le débat idéologique et politique était centré sur les rapports entre l’occidentalisme et la négritude, au regard de la prépondérance des évolués auxquels l’Occident avait fourni les moyens et les termes de la contestation interne du système de domination, à présent, l’équation de l’émancipation de l’Afrique prend la forme d’une tension plus ou moins vive, voire d’une confrontation entre deux options originales qui se situent au-delà des problématiques d’émancipation du début des indépendances. Par suite, le Muslimisme et le Panafricanisme (reconfiguré) des élites mutantes, figurent - dans les conditions du Sénégal tout au moins et jusqu’à une certaine mesure - le trait novateur de la pensée stratégique africaine du Sénégal, un demi-siècle après l’indépendance. Ceci n’implique nullement que les idéologies classiques issues du prétendu ‘Siècle des Lumières’, les représentations et les options messianiques héritées des époques successives de la domination européenne et de l’expansion capitaliste sont abolies, loin de là ; mais seulement que ces dernières doivent désormais composer au Sénégal même, et sans doute en Afrique, avec autant d’options et de résolutions nouvelles, lesquelles ne résultent ni du même moule ni des mêmes considérants, postulats et attendus épistémologiques et méthodologiques ou historiques que ceux de la période mercantiliste, de la traite, de la colonisation et/ou de l’assimilation coloniale, de la fin du XV° siècle aux crises de décolonisation de l’après-guerre.
De fait, et quoiqu’à tous égards, l’idéologie francophone sénégalaise ait produit jusqu’ici tant de monuments littéraires, politiques, idéologiques, scientifiques ou autres, il reste qu’elle est présentement l’objet d’une remise en cause sévère de la part des rationalisations endogènes qui, non seulement, contestent l’hégémonie, mais tentent de prendre le relais progressif des idéologies d’emprunt et des pratiques non-conformes à la civilisation, aux cultures et aux croyances.
Aussi est-ce tout naturellement par la critique des élites et des représentations des élites que ce travail commence, pour autant que ces dernières fixent des orientations et des stratégies, proposent ou imposent des buts et des méthodes, des finalités et des options, lesquels se laissent décliner en termes d’institutions et de pratiques sinon légales, du moins légitimes qui orientent les conduites collectives, sans oublier les passions et les faits d’opinion ou d’émotion qui accompagnent les rites et les jeux de pouvoir et de représentations empruntés à l’Occident, au Certificat d’études, au dressage spécifique de l’armée coloniale ou à la chicotte du commandant de cercle. Si le monde colonial a produit la mentalité des évolués ainsi que les pratiques et les croyances qui lui correspondent, il faut s’attendre à ce que l’époque des mutations s’accompagne de manières singulières de penser le devenir et d’agir sur le social ou de symboliser la vie, de créer du bonheur ou de la morale. Mais, ce processus de réévaluation et de réappropriation peut-il se faire sans une révision critique des manières anciennes et des générations qui les manifestent ? Que nenni !
Partant, la critique des idéologies, des options stratégiques et des orientations s’impose, qui ne devrait pas être négligée au profit d’un pragmatisme empirique qui pourrait s’avérer coûteux en l’absence d’un réexamen circonstancié des matériaux à l’effet de comprendre les équations du présent et déblayer les voies du futur pour des sociétés africaines qui courront, dès lors, le risque de s’enliser sans comprendre ce qui leur arrive. Aussi considéré dans son acception la plus générale, l’aspect agité, voire remuant, mais confus du paysage intellectuel, politique et idéologique présent, où s’entrechoquent pêle-mêle traditionnistes et modernistes, groupes-supports des cultures et des traditions, d’une part, et d’autre part, élites arabophones, par exemple, n’est-il que le reflet du processus d’un processus de mutation profonde et basique qui force les puissances morales de la société d’hier à aujourd’hui de s’expliquer ou de céder la place.
Dès lors, la question de l’Etat politique ne devrait plus être examinée avec innocence comme par le passé, en relation aux référentiels idéologico-programmatiques tout faits et prêt-à-servir venus d’Occident ou de l’ex-métropole, mais en liaison étroite avec l’historicité des sociétés concernées et les dynamiques à l’œuvre au sein de celles-ci.
De toute autorité, c’est donc la question de l’Etat qui demeure l’énigme non résolue de la plupart des pays de l’Afrique contemporaine. Or donc, cette dernière est demeurée jusqu’ici tributaire des idéologies messianiques d’origine européenne en particulier : libéralisme, socialisme, franc-maçonnisme, laïcisme, démocratisme, etc. Le but de cette communication est de montrer à partir de l’exemple du Sénégal, comment les processus à l’œuvre dans les régions, les Etats ou les groupes de pays, demeurent des lieux pertinents d’observation pour juger du panafricanisme réel et non les schématisations globales et les fresques historiques, qui, en épousant des totalisations abstraites ou en proposant des délais d’unification surréalistes, nourrissent les tendances centrifuges qui bloquent toute percée sérieuse vers les Etats-Unis d’Afrique.
Malick NDIAYE Sociologue, Maître de Conférence Université Cheikh Anta Diop de Dakar
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