vendredi 9 avril 2010

Les indésirables des camps haïtiens


Les abris de fortune de toile et de tôle occupent le moindre mètre carré libre de Port-au-Prince, comme ici au camp de la Croix des Bouquets.

A Port-au-Prince, l'occupation de terrains privés par les camps de réfugiés pose des problèmes de propriété. Trois mois après le séisme, leur déplacement est envisagé.

Pour qui a connu Port-au-Prince la semaine suivant le séisme, la situation n'a guère évolué. Des tonnes de gravats jonchent toujours le bord des routes. Les abris de fortune de toile et de tôle occupent le moindre mètre carré libre de la ville. Créés dans l'urgence et censés être provisoires, les quelque 400 camps de la capitale ont tendance à se pérenniser, faute de mieux. Les propriétaires des terrains privés sur lesquels ils sont installés veulent maintenant récupérer leur bien.

Au stade Sylvio Cator, dans le centre-ville, les 6000 personnes qui campent sur la pelouse sont menacées d'expulsion. Souverain, le championnat de foot doit reprendre, réfugiés ou non.

"Nous allons manifester pacifiquement contre le déplacement car on ne nous a donné aucune garantie sur le relogement." Rodney, est remonté contre la fédération haïtienne de football. Avec sa femme et son fils, ils occupent une petite tente de 6 mètres carrés. Ancien entrepreneur, il ne comprend pas ce qu'il qualifie d'acharnement. "Je n'ai rien contre le football mais je pense que notre situation est prioritaire."

S'il le faut, on va se défendre

La rumeur qui enfle dans le stade envoie la police pour les déloger. Le discours se radicalise. Sur la pelouse, on se prépare à résister. "S'il le faut, on va se défendre, on est prêts à incendier des pneus et à les empêcher de rentrer." Une première vague de quarante famille a déjà quitté les lieux. Du côté des officiels, on assure que les départs ne sont pas forcés. Le bras de fer entre les réfugiés du stade et la fédération risque de perdurer.

Même problème au camp du collège St-Louis Gonzague où vivotent près de 11 000 personnes. L'institution a déjà raté la rentrée partielle des écoles haïtiennes le 5 avril dernier, et ne veut plus prendre retard. Il faut évacuer. Le problème est complexe, il faut déplacer les réfugiés alors que personne ne sait où aller.

En partenariat avec l'OCHA (office de coordination des affaires humanitaires), le gouvernement haïtien vient de signer un décret qui définit deux sites de camps organisés pour accueillir les indésirables. Le premier, à Corail est situé à une vingtaine de kilomètres en périphérie de la ville. Le deuxième n'est pas encore prêt. Ce manque de garanties effraie les réfugiés qui refusent de partir.

Quitter les camps, mais pour aller où?

A Port-au-Prince, l'inconnu fait peur. D'autant plus que les camps se sont déjà organisés. A St-Louis, Médecins sans frontières a installé un hôpital de campagne et des latrines. Si les réfugiés sont déplacés, il faudra tout recommencer. "Nous allons voir ce que fait le gouvernement et nous réagirons ensuite. Il n'est pas question de se préparer à un déplacement de St Louis." Salha Issoufou, le chef de mission MSF Haïti est formel: "ce n'est pas dans notre nature d'aider les déplacements de population".

D'après la responsable de l'OCHA en Haïti, les réfugiés ont plusieurs choix possibles. Retourner en province auprès de leurs proches ou d'amis, comme l'ont déjà fait plus d'un demi-million de Portoprinciens; rentrer dans leur maison, après expertise des risques par un ingénieur civil ou s'installer dans un camp "officiel". La première solution semble déjà épuisée, alors que la seconde est logistiquement très difficile à mener. Sans compter les risques d'effondrement.

Les départs seront volontaires, promet-on à l'OCHA. Mais beaucoup de réfugiés ne sont pas prêts à l'entendre. Dans les camps, les anciens habitants des bidonvilles bénéficient d'une meilleure qualité de vie et malgré les conditions de vie précaire, les résidents se sentent en sécurité dans leur quartier. A Port-au-Prince, le provisoire risque de s'éterniser.

Benoît Puichaud,

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