Blog d'informations politiques, économiques, sociologiques et culturelles offrant une vision alternative du monde et des problèmes internationaux auxquels sont confrontés le monde.
vendredi 16 avril 2010
Comment Haïti et la République Dominicaine ont fait la paix
Haïti et la République Dominicaine se partagent peut-être une petite île des Caraïbes, mais ils se sont toujours méprisés. Une situation que le tremblement de terre a peut-être contribué à changer. > Cet article a été publié le 15 avril sur le site internet de l'hebdomadaire américain Newsweek.
Après le séisme du 12 janvier qui a ravagé la capitale d’Haïti, les organisations humanitaires internationales ont inondé le pays d’aide d’urgence — nourriture, fournitures médicales et matériel de construction. Les Etats-Unis ont envoyé des navires de guerre, et Israël fait parvenir sur place des hôpitaux préfabriqués qui furent érigés sur place afin de servir d’unités de soins d’urgence. À côté de ces efforts, les contributions du plus proche des voisins d’Haïti, la République Dominicaine, même moins grandioses, avaient toutes les apparences de la sincérité et de la générosité.
C’était d’ailleurs le cas. Bien que les deux pays partagent la même île, ils partagent également une histoire sanglante — bâtie sur le ressentiment et la méfiance mutuelle. Haïti a occupé la République Dominicaine de 1822 à 1824, une brève période marquée par une dictature brutale et des soulèvements violents. Longtemps après leur indépendance, les Dominicains en ont conservé un profond sentiment anti-haïtien. En 1937, par exemple, entre 12 000 et 25 000 Haïtiens vivant le long de la frontière ont été massacrés par les forces armées dominicaines. Le ressentiment ne s’est jamais réellement calmé. Dans les années récentes, il s’est manifesté sous la forme d’une opposition violente à l’immigration en provenance d’Haïti.
Main tendue
Après des siècles de rancune, le séisme de magnitude 7.0 qui a tué plus de 200 000 personnes a peut-être réussi à faire des amis de ces voisins. Avant le tremblement de terre, la violence anti-haïtienne avait atteint des sommets : en République Dominicaine, les migrants Haïtiens étaient souvent lynchés, brûlés et décapités. Suite à la tragédie, les Dominicains ont apporté à leurs voisins Haïtiens une réponse rapide et charitable. Ils ont ouvert leur frontière aux Haïtiens nécessitant des soins, interrompu les expulsions d’immigrés illégaux Haïtiens, et envoyé des millions de dollars en fournitures de première urgence — ainsi que du matériel lourd destiné à l’évacuation des débris et une armée de volontaires pour en prendre les commandes. Un certain réchauffement dans les relations en a découlé. Une fois passé l’urgence la plus pressante, la République Dominicaine s’est engagé à hauteur de 110 millions de dollars pour la construction d’une université haïtienne qui sera près d’un tiers plus grande que toutes les universités haïtiennes réunies. Parallèlement, les violences en Dominique contre les migrants Haïtiens se sont interrompues. "Depuis le séisme, on n’a plus rapporté d’agressions violentes" indique Michele Wucker, directeur exécutif du World Policy Institute et auteur de Why the Cocks Fight: Dominicans, Haitians, and the Struggle for Hispaniola (le pourquoi d’un combat de coqs : Dominicains, Haïtiens et la lutte pour Hispaniola). Les officiels dominicains ont également contribué de façon importante à permettre l’accès des organisations humanitaires internationales à leur voisin ravagé par le tremblement de terre, indique Wucker. À tous les niveaux de l’administration Dominicaine, on a tendu la main à son homologue haïtien. Le mois dernier encore, les responsables Dominicains saisissaient sur les marchés dominicains l’aide alimentaire volée, pour la renvoyer à Haïtien. L’ancien président Clinton a compris cette évolution, et lors d’une récente conférence des donateurs parrainée par les Nations Unies, fait un éloge appuyé des responsables dominicains pour leur "stupéfiant changement d’attitude".
Modification législative
Selon les experts, le tremblement de terre a suscité plus qu’une aide en vue du sauvetage et de la reconstruction d’Haïti : il a entraîné une modification du schéma narratif de ces deux nations. "Les ultranationalistes ne peuvent plus exploiter le mythe de l’invasion haïtienne pour cultiver le sentiment nationaliste" confirme Bridget Wooding, sociologue à la Faculté Latino-Américaine de Sciences Sociales et qui travaille sur les questions Haïtiennes-Dominicaines. "Il s’agit d’une opportunité sans précédent de changer le cours de l’histoire". L’évolution n’est pas uniforme. Il existe une certaine ambivalence dans la classe politique dominicaine au pouvoir. Préoccupé d’éviter un afflux massif de réfugiés, à l’approche de la saison des cyclones, depuis quelques semaines le gouvernement surveille sa frontière d’un peu plus près, et a commencé à expulser les Haïtiens sans papiers (y compris ceux qui étaient entrés pour obtenir des soins médicaux suite au séisme). Le parlement dominicain a même adopté un amendement constitutionnel refusant la citoyenneté aux enfants d’immigrants Haïtiens sans papiers. Une modification législative proposée en 2009, et mise en œuvre quelques semaines seulement après le tremblement de terre.
Persistance de sentiments xénophobes
Côté haïtien, la gratitude pour toutes ces ouvertures est teintée d’inquiétude quant à la persistance des sentiments xénophobes. "Que les lynchages et les décapitations aient cessé, c’est une bonne nouvelle" indique Marselha Margerin, du Robert F. Kennedy Center for Justice and Human Rights. "Il est néanmoins trop tôt pour savoir si ce changement est définitif". Les activistes Haïtiens et les organisations de droits de l’homme militent pour des lois garantissant le droit à la citoyenneté aux dominicains d’ascendance Haïtienne — et une politique d’immigration pour les Haïtiens qui soit équivalente à celle qu’on applique aux autres immigrants. Ils appellent également à une réactivation de la commission binationale formée en 1996 pour adresser les problèmes de frontière et les politiques de migration, ce qui suppose un niveau de coopération auquel ces deux pays ont renoncé.
Même si le séisme ne suscite pas au final une transformation radicale des attitudes de part et d’autre de la frontière, il a engendré beaucoup de changements par rapport aux postures antérieures au tremblement de terre. "Le gouvernement dominicain a été prompt à apporter son aide" confirme Margerin. Il existe également une "fenêtre d’opportunité pour adresser les questions importantes". Si Saint-Domingue parvient à conjurer sa suspicion de toujours à l’égard d’Haïti, ce pourrait être le début d’une très belle amitié.
Par Jeneen Interlandi
Traduit de l'américain par David Korn
>Lire l'article dans sa version américaine sur Newsweek
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire