Le monde change-t-il vraiment ?
C’est la question que je me suis posée à la relecture d’un petit essai intitulé « Guadeloupe tes quatre vérités », commis en 1984, publié par les « Editions Caribéennes », en pleine crise de terrorisme perpétrée par une fraction dure du mouvement indépendantiste guadeloupéen.
Le monde Oui ! Les hommes, pas vraiment !
C’est la réflexion que je voudrais partager avec vous, amis lecteurs, en reprenant ici, coup sur coup, la publication de chacune de ces « Quatre vérités » telles qu’elles s’imposaient à moi, il y a déjà… vingt six années.
En voici donc une première :
En voici donc une première :
Guadeloupe tu es française
La Guadeloupe est française depuis 1635, soit trois siècles et demi. Elle veut le rester.
Depuis cinq ans, un groupe d’indépendantistes joue de la bombe terroriste. Son but premier est de faire croire au monde extérieur que nous sommes prêts à tout, y compris le recours au terrorisme, pour nous détacher de la France. Cette démarche des séparatistes s’adresse d’abord – par médias interposés – aux autres Français de la République. Ils voudraient les amener à faire pression sur le gouvernement, pour que celui-ci unilatéralement décide d’une séparation que, par nos votes, nous avons toujours rejetée.
Dans le même temps, ils tentent par leurs bombes de nous effrayer. Dans le désordre et l’anarchie, quand on a peur, on se laisse conduire par les activistes, pensent-ils. A force, ils voudraient créer le sentiment fataliste que, contente ou pas mais inéluctablement, la Guadeloupe aboutira à l’indépendance.
La colonisation à la française a toujours été toute autre que la colonisation britannique. LaGrande-Bretagne est, comme son nom l’indique, une grande île et cet état a fait d’elle, dans l’histoire, une puissance essentiellement maritime et commerciale. Dans son empire qui fut si vaste elle a toujours pratiqué « l’administration indirecte », s’appuyant sur les systèmes locaux de gouvernement ou de chefferie, système non seulement maintenus mais méthodiquement utilisés. Il n’est jamais venu à l’idée d’un Anglais de faire Anglais un Pakistanais ou un Jamaïcain. Imagine-t-on un Félix Eboué britannique ?
Cette évolution a abouti à deux résultats opposés. Au sortir de la Guerre Mondiale de 39-45, tandis que les Antilles Britanniques réclamaient le divorce et marchaient à l’indépendance, les Antilles Françaises, elles, demandaient le mariage. Et elles l’obtenaient, en 1946, avec la loi dite de Départementalisation.
Près de quarante ans ont passé. Le bilan, bien évidemment, n’est pas que positif, mais il l’est : nos parents sont là pour le dire.
Prenons l’exemple de l’enseignement secondaire : il laisse beaucoup à désirer et pourquoi se priverait-on de le dire très haut, mais le fait est que son volume en effectifs d’élèves et en établissement a été multiplié par trente.
Il en va de même dans tous les domaines : la santé, l’habitat, la prévention et la maîtrise des catastrophes naturelles, la sécurité sociale, l’énergie, les équipements routier, portuaire, aéroportuaire, etc. En tous ces domaines, nous avons acquis une avance remarquable sur les pays caraïbes voisins et comparables. Aussi, dans son bon sens, notre peuple s’étonne que certains viennent lui proposer ces voisins comme modèles et il ne veut pas lâcher la proie pour l’ombre.
Cela dit, nous ne sommes pas dupes. La France n’est pas un ange et nous sommes sur terre. Quoiqu’en disent les « Cartiéristes » de l’hexagone accusant les Antilles de coûter trop cher, la France a intérêt à avoir Guadeloupe, Martinique (et Guyane) avec elle ;
C’est pour elle une présence très valorisante – pour son rayonnement, sa culture, son économie – dans cette région du monde qui est la nôtre, entre les deux Amériques. C’est un élargissement considérable de son domaine maritime. C’est, devant la communauté internationale, une intéressante publicité : voyez ce que la France réalise par rapport aux autres puissances, occidentales ou autres.
Au besoin, et plus subtilement, tout ce que la France a réalisé ici peut lui servir de justification contre nous : avoir fait beaucoup donne prétexte pour ne pas en faire davantage, pour refuser d’aller jusqu’au bout. Ce qui fait le succès de ce slogan facile : Français à part entière ou Français entièrement à part ?
Au total, nous ne sommes pas la colonie quelconque d’une puissance coloniale quelconque : les cas ne sont interchangeables que dans les idéologies et pour l’esprit de système, mais ils ne le sont pas sur le terrain. Notre rapport à la France est singulier.
En dépit de tout – et Dieu sait qu’il y eut de tristes pages dans nos trois siècles et demi d’histoire commune, et comment « République » et « démocratie » ont été durement acquises par nos ancêtres, et qu’il reste de quoi nourrir bien des colères -, en dépit de tout, notre rapport à la France est étroit.
De quelque souche ethnique qu’il se sente ou se veuille, pas un Guadeloupéen ne peut nier qu’il est profondément imprégné de la civilisation française et de l’idéal français : Liberté, Egalité, Fraternité.
Pour la quasi totalité des Guadeloupéens, le langage de la raison rejoint celui du cœur et se concrétise dans un NON très net au séparatisme.
Une séparation nous ferait faire un gigantesque retour en arrière. Elle priverait nos enfants de toutes les chances dont nous avons bénéficié pour la formation intellectuelle, l’apprentissage professionnel, le développement social, etc. Elle aurait pour conséquence de nous confiner dans un espace géographique riquiqui. Une fois perdu le passeport français, imagine-t-on avec quelle cruauté s’imposerait à nous les dimensions de notre île et sa vulnérabilité ?
Nous sommes aujourd’hui indépendants des Etats-Unis et de l’URSS et en dehors de leur affrontement, comme nous ne le serions plus jamais. L’histoire des vingt dernières années est là pour nous le démontrer avec l’exemple de Cuba et, plus récemment, celui de Grenade : les Antilles sont des terres convoitées par les deux grands. La France, de ce point de vue, nous assure la paix.
Outre ces considérations « matérielles », une séparation d’avec la France serait ressentie par l’immense majorité d’entre nous, comme une atteinte à notre être. Un déchirement. Nous avons avec la France tant vécu, tant combattu pour les mêmes causes généreuses. Nous avons avec la France tant éprouvé et réalisé, que ces épreuves et ces réalisations nous appartiennent autant qu’à tout autre Français.
Et puisque certains cherchent par tous les moyens à nous forger une histoire distincte de celle de la France, rappelons-leur qu’au plus fort d’une situation désespérée, luttant contre rien moins que le rétablissement de l’esclavage, Delgrès ne songe pas un instant à la rupture mais il en appelle, par delà les gouvernants indignes du moment, à la France.
Juillet 1984
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