mardi 20 mai 2014

Tribune: L'Europe n'est pas un terrain neutre. Et son patrimoine est irremplaçable


« Bien sûr nous eûmes des orages… »*

On ne tombe pas amoureux d’une courbe de croissance. Certes, certes ! Et pourtan-ant, pourtant… Bon, sans cesser d’agir, cessons d’en parler puisque ça ne parle à personne. 

D’où vient l’Europe ? Pas la divinité convoitée… celle d’aujourd’hui. Celle qui agace tant, exaspère parfois, désespère même, mais sert aussi de cible facile à ceux qui devraient agir en son sein mais préfèrent l’inaction vindicative à la patiente et rude besogne pour l’intérêt général. Ce sont ses ennemis intimes : camelots de l’amertume, doctrinaires de l’impuissance, radoteurs du ‘courage, fuyons !’, ces supplétifs qui, à leur insu ou non, prêtent main forte aux putschistes et aux prédateurs, à ceux qui en vrai arrachent une part du pouvoir, le pouvoir technocratique et le pouvoir financier. D’où vient-elle donc ? De loin, de ses anciennes fureurs puis d’une intuition et d’une ambition, de quelques audaces et de sourds renoncements. D’une improbable mais impressionnante résilience. 

Qu’a-t-elle réussi ? Convenons-en, pas mal de choses ! L’éducation, la mobilité des jeunes, l’accès aux cultures. Pas pour tous encore mais pour beaucoup, et pour ceux-là, quelle différence ! Des fleurons industriels, Ariane, Airbus, des prouesses scientifiques saluées par des prix Nobel, des innovations techniques, des chefs d’œuvre d’arts. Obstinément, elle a imposé dans les textes l’égalité pour les femmes, tiré vers le haut les libertés individuelles, en les défendant parfois contre les Etats. Elle a élevé les standards de santé et d’environnement ; elle a financé le désenclavement des territoires et la solidarité envers les quartiers et les zones rurales ; elle se prépare à faire face au vieillissement de sa population. Elle s’est enfin résolue à contrôler les banques et les contraindre à se garantir plutôt qu’à s’abriter sous les Etats. Elle est en train de muscler son Droit et d’étoffer son arsenal de lutte contre la criminalité organisée, le terrorisme, les corruptions, les fraudes et trafics divers.

Qu’a-t-elle raté ? Avouons-le, elle a calé face au dumping fiscal et capitulé un temps, trop longtemps, devant les écueils de l’harmonisation sociale ; elle s’est ressaisie en interdisant la sournoise concurrence salariale de la directive Détachement et en encourageant l’instauration d’un salaire minimal. Elle a réduit les écarts de richesse entre pays, mais n’a pas été bien regardante quand les injustices et les inégalités continuaient de se creuser à l’intérieur des nations. Ce n’était pas en son pouvoir, mais parce qu’elle se mêle de bonne santé financière et de solidité bancaire, on attend qu’elle s’émeuve des exclusions, des pauvretés et des misères. 

Elle s’est rattrapée en rétablissant l’aide aux plus démunis.

Il nous faut pousser l’avantage. Car l’Europe n’est pas un terrain neutre. Ses orientations et ses priorités sont dictées par la vision politique de ceux qui la dirigent. Les projets politiques ne s’équivalent pas, entre ceux qui professent la dérégulation, les compétitions, les rivalités, et ceux qui exigent l’économie au service des hommes, veulent que la solidarité cimente le destin commun, que les services publics irriguent la cohésion sociale et territoriale. Tel est le défi devant nous. Ce n’est ni au nom de son seul passé ni pour ses exploits qu’il faut choisir des Députés pour renforcer l’Europe, mais pour peser sur l’avenir, du fait de l’état du monde ; car c’est de l’état du monde que nous dépérissons. Contre la mondialisation dévorante qui broie plus qu’elle n’accueille ni ne rassure, œuvrons à la mondialité d’Edouard Glissant pour transformer les cadres institutionnels en espaces de relation, de dialogue, de coopération, de protection contre les vrais périls, non contre les moulins à vent. Pour la première fois, le Parlement élira le président de la Commission. Enfin ! Cet Exécutif ne sera plus issu d’arrangements entre Etats, il émanera du résultat du suffrage universel, sur la base de programmes présentés et défendus durant la campagne. Martin Schulz a parcouru les territoires, conscient de la diversité et de la richesse des paysages, des langues, des cultures, des imaginaires, des modes de vie et de pensée, des gastronomies, des traditions et usages, des techniques, des savoirs, des savoir-faire. Un patrimoine irremplaçable. 

Il n’y a rien de bien nouveau à entendre les cassandres prédire avec délectation la dilution de la Nation. Elles s’inscrivent simplement dans la longue lignée des oracles millénaristes qui voient la fin du monde à leur porte. Quant aux gorgones qui figent et gèlent tout ce dont elles s’emparent, rien de nouveau non plus à les voir pétrifier la vitalité du peuple, la frigorifier dans des rancœurs sans issue. Pendant ce temps, une génération s’interroge. A-t-elle encore droit à un idéal ? Peut-elle encore espérer un avenir ? Que devons-nous à cette jeunesse ardente? Retrouver ‘le goût de la conquête’* ! Avec l’arme du vote.

Christiane Taubira
*Jacques Brel

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