À lire certains éditorialistes français, il faudrait résister à la tentation «séduisante» de voir dans l’affaire Strauss-Kahn un conte moral (sous-entendu simpliste) dans lequel un richissime homme blanc «de gauche» est prêt à renier ses « valeurs » pour s’en prendre à une femme damnée de la terre pauvre, noire et immigrée. Il n’y aurait, à en croire ces commentateurs, qui se couperaient la langue plutôt que de dire aussi qu'elle est musulmane et que Strauss-Kahn, lui, ne l'est pas, qu’un fait divers qui nous cacherait l’essentiel. Bref, nous aurions tort de nous intéresser à l’affaire qui risque de parasiter – quel malheur ! - la campagne présidentielle. Au risque de choquer ces brillants esprits obligés de convoquer Bourdieu pour nous expliquer que, finalement, il n’y a «pas mort d’homme», rappelons quelques points. D‘abord l’ex-patron du FMI n’est pas plus de gauche que ne l’était Mitterrand et n’a jamais mis en place aucune politique économique durable qui corresponde le moins du monde au discours affiché. Les «valeurs» de Strauss-Kahn ? Un mépris absolu des femmes, des immigrés, des gens de couleur et plus généralement des pauvres et des faibles. Le paradoxe c’est que cet homme, qui à fait toute sa carrière à Sarcelles et dont la réussite est liée à la fortune et aux relations d’une femme, n’aurait jamais été autre chose qu’un prof d’économie dépourvu d'intérêt, un banal obsédé sexuel, sans ceux dont, précisément, il fait si peu de cas. Terrifié par la perspective de la prison, le voici qui ne se cache même plus d’être ce qu’il est : un particulier non seulement assoiffé de pouvoir mais aussi entièrement dépendant – au sens pathologique - du sexe et du luxe. Il s’installe dans un palais et tente de prouver à des Américains moyens qu’il était normal qu’une jeune soubrette africaine soit ravie de faire une gâterie à un quidam aussi répugnant et vulgaire que lui. Strauss-Kahn a totalement perdu le sens des réalités, c’est sûr. Tant mieux pour lui si, au fil de journées passées à jouer aux échecs sur son iphone, il se répète le nouveau slogan acheté à prix d’or à ses communicants : à savoir qu’il va être acquitté. Mais là où le problème devient intéressant, et dépasse largement le fait divers, c’est quand on sait que c’est cet homme-là qui a été mis en piste, à peu près sans discussion, par le parti socialiste français pour devenir le champion de la gauche. Que c’est cet homme là qui était annoncé, à grand renfort de « communication », comme le futur président de la République française. Que c’est pour cet homme-là que - s’il n’y avait pas eu le fameux « fait divers » -les éditorialistes de gauche, lecteurs de Bourdieu, auraient très certainement appelé les femmes, les immigrés, les gens de couleur et les pauvres à voter. L’affaire Strauss-Kahn n’est pas un épiphénomène. Appelons un chat un chat. Elle nous éclate en pleine figure pour nous montrer que nos donneurs de leçons sont largement aussi racistes et sexistes que ceux qu’ils prétendent critiquer. Ce n’est pas un hasard si, peu de jours avant qu’elle ne survienne, une certaine gauche avait tenté d’occulter la journée d’abolition de l’esclavage pour évoquer le spectre de Mitterrand. Ce jour-là, au lieu de se recueillir, les nègres n’avaient qu’à aller se trémousser place de la Bastille sur des airs de Yannick Noah ou Alpha Blondy, financés par Pierre Bergé en mémoire du cagoulard qui a fait du FN ce qu’il est aujourd’hui, mais qui, lui au moins, ne s'est jamais fait prendre la main dans la culotte d'une prolétaire. Il était aussi évident, ce soir- là, pour la gauche française, que les nègres votent en masse pour Strauss-Kahn qu’il était normal pour ce dernier qu’une Nafissatou Diallo accepte de se laisser sodomiser par un sexagénaire vicieux. Alors que le discours du parti socialiste soit parasité par l’affaire Strauss-Kahn ne me choque absolument pas. Aux Hollande et aux Aubry de nous expliquer pourquoi ils auraient pu, en d’autres circonstances, appeler à se mobiliser derrière un Strauss-Kahn, tout en n’ignorant rien, absolument rien, de son comportement sexuel borderline et de son train de vie hallucinant. Oui, l’affaire Strauss-Kahn est exemplaire. La manière dont certains la commentent ou l’ignorent l’est tout autant. Il ne s’agit pas seulement d’un naufrage politique. C’est également un naufrage intellectuel et moral complet, dont il reste à espérer que la France en général et le PS en particulier puissent sortir un tant soit peu régénérés.
Claude Ribbe
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