IRIB- Après la publication du rapport Sartorius sur la situation financière de Peugeot, on se demande s'il n'y aurait pas comme un oubli.
On a beau commencer à être habitués, ça fait toujours quand même bizarre, ces situations où en lisant la presse, en écoutant la radio, on se demande si on est en train de rêver ou si quelqu’un quelque part nous prendrait pas pour des andouilles.
Pour éviter de sombrer dans la folie, on récapitule alors les événements :
1/ Une restructuration, depuis longtemps, annoncée
Le 12 juillet dernier, le groupe automobile français PSA confirmait le plan de restructuration tant redouté depuis des mois, qui allait aboutir notamment à la fermeture de son usine de fabrication d’automobiles à Aulnay sous bois (93). La restructuration, particulièrement catastrophique (8.000 suppressions d’emploi, sans compter les conséquences, encore inconnues, sur les sous-traitants), était expliquée par la baisse du marché européen, où le groupe prévoyait une baisse de 10 % de ses ventes.
2/ Où l’on apprend que les Iraniens roulent en Peugeot
Parmi toutes les réactions atterrées que cette annonce avait suscitées, l’une d’elles détonait : le délégué syndical CGT de la boîte pointait comme principal responsable des difficultés l’abandon par Peugot du marché iranien,depuis février 2012.
Marché sur lequel Peugeot avait écoulé pas moins de 455.000 véhicules, en 2011, en partenariat avec un constructeur local nommé Khodro.
Et ça, 455.000 véhicules, même en partageant le bénéfice avec un autre, c’est pas rien. Ca représenterait même pas loin de 13 % des ventes mondiales de Peugeot en 2011 (3.549.000 véhicules).
Pourquoi diable Peugeot avait-elle donc décidé d’abandonner ce marché considérable ?
La réponse de la direction était confuse, invoquant un problème de financement lié à des sanctions financières européennes prises contre l’Iran qui gêneraient les paiements interbancaires. Elle minimisait par ailleurs l’impact de l’abandon du marché iranien, évaluant le manque à gagner à 640 à 850 millions d’euros. Autant dire trois fois rien.
3/ Où l’on apprend qu’Obama est actionnaire de Peugeot
Or l’argument du problème bancaire était ridicule, d’autres firmes faisant sans problèmes des affaires, en Iran.
La réalité était plus crue. En février 2012, PSA avait noué une alliance avec General Motors, firme états-unienne détenue à 60 % par l’Etat fédéral (oui, oui, une entreprise publique aux USA : c’est ce qu’on appelle la socialisation des pertes en période de crise), qui est entrée dans le capital de PSA à hauteur de 7 %.
Or l’actionnaire principal du nouvel ami de Peugeot (les USA, donc) est bien connu pour chercher des noises à l’Iran. L’Iran, ennemi de l’impérialisme et d’Israël, qui accueille le sommet des pays non aligné, l’Iran allié de la Syrie. C’est donc l’administration Obama qui a demandé à General Motors d’imposer à Peugeot de se retirer du marché iranien. Cette décision semble même avoir été une condition préalable à l’entrée de GM dans le capital de Peugeot.
Comme quoi une firme capitaliste est capable de sacrifier ses intérêts pour une décision d’ordre purement politique, lorsqu’il le faut vraiment. On aurait pas cru. Ils doivent vraiment pas être sympas, ces Iraniens.
4/ Où un rapport gouvernemental nous apprend que Peugeot n’est pas assez mondialisée
Nous voilà arrivés au 11 septembre 2012, date à laquelle le ministère du redressement productif (ne riez pas, merci) a rendu public le rapport dit «Sartorius» qui était censé faire la lumière sur la situation économique de Peugeot et vérifier si le plan de restructuration était inévitable.
Surprise : la restructuration s’avère inévitable.
Les réactions à ce rapport n’ont pas brillé par leur originalité :
Le gouvernement veut limiter la casse, le Front de gauche refuse de sacrifier l’intérêt du plus grand nombre à l’intérêt des bancques, et le FN accuse l’Etat de ne pas tout faire pour protéger l’industrie nationale contre la concurrence déloyale. Thibault et Chérèque, eux, attendent un autre rapport pour se prononcer.
Et c’est vrai que les rapports, on en a jamais assez. Même un troisième ça serait pas mal pour être sûrs.
De son côté, la presse fustige les «erreurs stratégiques» de Peugeot, coupable d’avoir « manqué d’ambition dans l’internationalisation du groupe »
Bah oui, s’ils avaient délocalisé plus tôt la production à l’étranger, z’auraient pas eu besoin de supprimer des emplois aujourd’hui ; logique, non ?
5/ Où l’on cherche vainement le mot Iran dans le rapport
Bon, à part ça, on se frotte les yeux, on cherche dans tous les articles de presse, et on trouve rien à propos de l’Iran. Finalement, c’était important ou pas l’Iran ? C’est ça ou c’est pas ça qui a fait couler le groupe ? On aimerait bien savoir, mais on nous dit rien.
Alors puisque les journalistes sont des feignasses, on va remonter à la source, on va se taper le rapport Sartorius. Vu que ça fait 47 pages, il en aura bien consacré une au marché iranien (13 % des ventes en 2011, je le rappelle) ?
Eh bien non, on trouve rien. Mais alors, rien.
Pour en avoir le cœur net, on demande à notre logiciel visionneur de document pdf de rechercher le mot « Iran », des fois qu’on l’aurait loupé. Et là on trouve UNE occurrence, dans un tableau intitulé «Répartition géographique des immatriculations PSA (VP+VC) en 2011 (hors Iran)».
Vous pouvez faire l’expérience par vous-même. Le seul endroit où le rapport mentionne l’existence du marché iranien, c’est pour dire qu’il en fait abstraction, sans aucunement expliquer pourquoi.
D’ailleurs, dans un autre tableau (page 7), le rapport mentionne sans aucun problème une répartition des ventes dans le monde dont le total est toujours inférieur à 100 %. Ça lui pose aucune difficulté. Il a juste supprimé une ligne comme d’autres effaçaient des visages sur les photos officielles en d’autres époques et en d’autres lieux. George Orwell, si tu nous lis : ne te sens pas dépaysé.
6/ Où l’on se demande si l’on ne serait pas pris pour des truffes
C’est donc assez raide à quel point le rapporteur se fiche de notre poire. Même en étant de mauvaise foi, il aurait pu expédier le truc un un paragraphe, du genre «contrairement aux allégations de complotistes mal dégrossis, l’abandon du marché iranien et de ses 455.000 véhicules par an n’a eu qu’une incidence dérisoire sur la santé de l’entreprise ». Il aurait aligné trois chiffres, embrouillé le bazar, crac, boum, c’était plié.
Mais non, même pas. Ils s’en cognent tellement de ce qu’on pense qu’ils ne prennent même plus la peine d’emballer leurs foutaises.
Sinon, le rapport nous apprend quand même que, toutes filiales confondues (banque, équipementier...), le groupe PSA n’est pas en déficit au 1er semestre 2012, vu que seule la branche automobile l’est (page 4). Mais ça, on le savait déjà.
Concernant la branche automobile, les difficultés sont cependant réelles, puisqu’au 1er semestre 2012, le résultat opérationnel courant est négatif de 662 millions d’euros. C’est beaucoup. Mais ceux qui ont lu tout cet article depuis le début savent que l’impact de l’abandon du marché iranien était censé coûter 640 à 850 millions d’euros, et que c’était pas beaucoup. D’accord, c’est sur une année, pas sur 6 mois. Mais quand même.
Bon, ben, sinon, pour finir sur une note positive, le rapport Sartorius trouve que l’alliance de Peugeot avec General Motors est plutôt une bonne idée, mais estime qu'il faut faire gaffe quand même que ça supprime pas encore des emplois à force de trouver des synergies (sur les achats aux sous-traitants, par exemple, qui pourraient désormais tous se faire aux Etats-Unis).
Mais vu la réussite de l'alliance avec GM jusqu'ici, on aurait tort d'être inquiets.
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