Le procès n'a pas encore commencé que la coupable est déjà connue. Nafissatou Diallo (c'est son nom) passera le reste de sa vie à regretter ce maudit jour où elle a rencontré DSK. Que le tribunal lui donne raison ou pas, son destin est scellé : ce sera dorénavant celui d'une paria condamnée à raser les murs et à subir la vindicte des puissants, les regards des vicelards et les chuchotements des bigots. La femme dans ce genre de situation est toujours la suspecte : toutes putes, toutes légères, toutes aguicheuses, est-ce vraiment un cliché ?
Il se produit chaque jour des milliers de viols dans le monde : dans les familles, dans le métro, dans les avions - 1 373 en 2010, rien que dans la ville de New York ! Bon nombre des victimes préfèrent ne pas porter plainte. À quoi bon ? Elles ont peu de chances d'être écoutées et, si le scandale éclate au grand jour, c'est leur bonne foi qui est mise en doute, c'est leur réputation qui est à jamais compromise.
La célébrité de son agresseur présumé aggrave le cas de Nafissatou Diallo. DSK, cela sonne comme JFK : le fric, le pouvoir, le carnet d'adresses ! Avec un nom pareil, on peut tout se permettre : les beaux hôtels, les belles nanas, les bons avocats. D'ailleurs, ces derniers sont formels : leur client sera acquitté comme il l'est déjà par ses nombreux et puissants amis parisiens qui nous jurent ab imo pectore que M. Strauss-Kahn ne peut pas faire ça, ah non, cela ne lui ressemble pas. C'est la faute des comploteurs comme au bon vieux temps de Staline et de Sékou Touré ! C'est la faute de la justice américaine, cette loi de cow-boy qui, sans aucun respect pour les convenances, jette dans le même panier à salade les dealers de Harlem et les notables du 16e.
Officine d'espions
Nafissatou Diallo est impardonnable. Cette poussière de femme sortie des décombres du Bronx a osé enrayer la grande machine de l'Histoire. Par sa faute, DSK ne sera plus ni le plus grand banquier du monde ni le successeur de Louis Napoléon Bonaparte et de De Gaulle. Et cela, on le lui fera payer cher, très cher. Déjà, des millions de dollars sont mobilisés pour la salir. On a jeté à ses trousses toute une officine d'espions, un privilège habituellement réservé aux multinationales et aux États. On va fouiller son passé à New York, mais aussi dans le moindre village de Guinée pour lui trouver les mille et un visages du Mal. On prouvera au monde entier que, si elle n'est pas espionne, elle est sûrement pute, vampire, terroriste ou trafiquante de drogue.
Nafissatou Diallo est devenue une vedette (la femme de ménage la plus célèbre du monde), mais une vedette silencieuse et invisible dans un feuilleton planétaire où elle tient pourtant le premier rôle. On ne connaît rien de son visage, rien de son passé, rien de sa colère, rien de sa détresse. Personne ne se hasarde à les évoquer. Les sympathies et les indignations vont à Strauss-Kahn et dans une unanimité telle qu'elles ont tendance à confondre innocence et présomption d'innocence. Tout est bon pour sauver le camarade Dominique, quitte à marcher sur le corps de Nafissatou Diallo. Mais, avant même que la redoutable machine du pouvoir et de l'argent ne commence son oeuvre de démolition, elle est déjà anéantie, la pauvre. Elle n'est plus qu'un fantôme qui erre de cachette en cachette en tentant désespérément de dissimuler sa douleur et sa honte sous un informe voile blanc.
TIERNO MONÉNEMBO
Écrivain guinéen, Prix Renaudot 2008.
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