Le raffut provoqué par les propos tenus à l’Assemblée nationale française par Serge Letchimy, suite à l’affirmation scandaleuse du ministre Guéant selon laquelle « toutes les civilisations ne se valent pas », est dû au seul fait qu’il a osé évoquer le nazisme et ses abominations. Letchimy aurait plutôt évoqué le génocide des Amérindiens ou des Arméniens, l’Apartheid ou l’extermination des Aborigènes que son discours serait passé comme une lettre à la poste.
Comment comprendre cela ?
Simple comme bonjour : il y a un tabou européen sur la destruction des Juifs d’Europe. Un tabou, mais aussi et surtout une manipulation visant à faire le reste de l’humanité supporter la honte et le fardeau de s’être livré à pareille barbarie. D’où l’expression douteuse de « crime contre l’humanité ». Car, en effet, « l’humanité », c’est vague, c’est tout le monde, c’est vous et moi, c’est les Nègres, les Arabes, les Chinois, les Indiens, les Polynésiens tout comme les Européens.
Or, désolé, mes ancêtres n’ont pas construit de chambres à gaz. Ni ceux des Chinois, des Arabes ou des Indiens, me semble-t-il. Ces machines infernales sont sorties tout droit du génie européen et de lui seul. Si donc, je condamne avec la dernière énergie le nazisme, si je considère qu’il s’agit d’une abomination égale au génocide des Amérindiens, à l’esclavage des Noirs ou à l’extermination des Aborigènes, je refuse par contre d’en porter la responsabilité. Je refuse de partager la mauvaise conscience des Européens à l’endroit de ceux qu’ils ont transportés à Auschwitz et à Dachau. C’est comme si on obligeait les Chinois à éprouver de la culpabilité à cause de l’esclavage des Noirs ! Ou les Français à cause du génocide arménien (Tiens, au fait, comme c’est curieux, dès qu’il s’agit d’un génocide qu’ils n’ont pas commis, les Européens savent très bien désigner le coupable ! En l’occurrence les Turcs…)
C’est ce que j’avais voulu expliquer il y a quatre ans dans un article qui m’a valu d’être lynché non seulement par la presse française (« Libération », « Le Nouvel Observateur », « Le Monde » etc.) et internationale (« Le Soir » de Belgique, The Los Angeles Times etc.), mais aussi par nombre d’intellectuels antillais et de lumpen-intellectuels comme ce médiocre historien à moitié guadeloupéen au patronyme d’insecticide qui, avec trois comparses universitaires antillais, tout aussi médiocres, a tenté de me faire passer devant le conseil de discipline de l’Université des Antilles et de la Guyane alors que mon article n’avait strictement aucun rapport avec cette dernière ni avec les cours que j’y dispense. A entendre tous ces gens, j’étais le pire des antisémites et à ce titre je devais être cloué au pilori ! Je n’ai guère trouvé, au cours de ce lynchage généralisé, que le quotidien algérien « El Watan » pour prendre ma défense.
Or, l’affaire Guéant/Letchimy vient me donner raison. On n’a pas le droit d’évoquer la destruction des Juifs d’Europe ! Sinon, on se fait dézinguer. Que ne m’avait-on pas dit à l’époque ? Ta carrière littéraire est foutue ! Plus aucun éditeur n’acceptera de publier tes livres ! Fini les prix littéraires ! Finies les invitations à l’étranger ou dans des colloques ! Le Mossad va te descendre ! etc…etc…Nos courageux intellectuels antillais me voyaient déjà mort et enterré. Or, depuis j’ai publié 7 livres, reçu les Prix de l’AFD (Agence Française de Développement) et du Salon du Livre Insulaire d’Ouessant ainsi qu’une trentaine d’invitations de partout (Etats-Unis, Colombie, Trinidad, Tahiti, Angleterre, Japon etc.) que je n’ai pu malheureusement toutes honorer.
Ce refus de dire son fait à l’Europe, cette incommensurable lâcheté, n’est pas propre aux intellectuels antillais, elle sévit chez nombre d’intellectuels du Sud, notamment ceux qui sont planqués dans des universités euro-américaines, des maisons d’édition ou des journaux du Nord. Pour se faire bien voir de leur maîtres et continuer à recevoir émoluments, honneurs et autres, ces lâches avalisent la mystification opérée par l’Occident au sujet de cette abomination européenne que fut le nazisme.
Mystifications à plusieurs niveaux.
Mystification d’abord au niveau de la dénomination même de l’abomination : « Shoah ». Son « inventeur », Claude Lanzman, a déclaré qu’il ne parlait pas l’hébreu !!! Nous non plus. Le reste du monde non plus. Alors pourquoi masquer derrière un mot hébreu mystérieux et incompréhensible, une chose qu’il est si simple de nommer : la destruction des Juifs d’Europe. Là c’est clair ! Là tout le monde comprend ! Là, je sais qui a été la victime et qui a été le bourreau, tandis qu’avec Shoah, tout devient subitement opaque.
Mystification ensuite au niveau de la responsabilité de cette abomination : seuls les peuples européens en sont responsables. Et pas seulement les Allemands, même s’ils furent les plus scélérats. Les Français le sont aussi avec la Rafle du Vel d’Hiv’, les Italiens avec Mussolini, les Polonais, les Tchèques, les Hongrois, les soviétiques etc… Aucun peuple du Sud ne porte la moindre responsabilité dans la construction des chambres à gaz !
Mystification enfin au niveau de l’importance de cette abomination : pour l’Europe et Claude Guéant l’a encore répété la destruction des Juifs d’Europe est « le pire crime contre l’humanité ». Dire pareille chose est une insulte envers les dizaines de millions d’Amérindiens, d’Africains, d’Aborigènes et autres qui, eux aussi, ont eu à subir la rage destructrice du colonialisme européen. Un intellectuel honnête devrait dire : la destruction des Juifs d’Europe est aussi pire que celle des Amérindiens, des Nègres, des Aborigènes etc. Pas plus pire ! Pas moins pire ! Aussi pire.
Or, nos chers intellectuels du Sud avalisent sans sourciller ces mystifications européennes, se permettant même de traiter d’antisémite et de vouer aux gémonies ceux, qui, comme je l’ai fait, osent mettre à nu lesdites mystifications. Et il est comique de voir qu’aujourd’hui, les mêmes qui m’avaient cloué au pilori, voler au secours de Letchimy et se fendre de grands discours indignés dans les médias. Bande de farceurs, va ! De lâches aussi. C’est ainsi que vous ne les verrez aucunement dénoncer l’entreprise de Recolonisation du monde qu’entreprend l’Occident depuis une dizaine d’années, depuis l’invasion de l’Irak en fait, cela au motif d’y détruire des armes de destruction massive (qui n’y ont jamais été trouvées). Recolonisation qui s’est manifestée ensuite en Afghanistan, en Côte d’Ivoire, en Libye et dans le soutien apporté par les Euro-étasuniens aux régimes islamo-obscurantistes au détriment des régimes laïcs. Aujourd’hui, en Tunisie, à l’Université de la Manouba, des étudiantes essaient d’imposer le port du niqab ; en Irak, les chrétiens fuient le pays en masse ; en Libye, les Noirs sont pourchassés ; en Egypte, les homosexuels sont menacés de mort etc…Les Occidentaux appellent ça « le printemps arabe » !
Pire : loin de dénoncer cette recolonisation, nos intellectuels du Sud essaient de nous vendre l’idéologie du « Tout-monde il est beau, Tout-monde, il est gentil » et de l’échange des imaginaires. Au nom d’un humanisme new-look et globalisé, ils ne font qu’endormir les consciences en redorant le blason de la civilisation occidentale grimée sous les oripeaux du « United Colors of Benetton ».
Je persiste donc et signe : oui, la destruction des Juifs d’Europe est une abomination. Oui, il faut la condamner avec la dernière énergie. Oui, le saccage de cimetières juifs et l’apposition de croix gammées sur les synagogues, comme c’est régulièrement le cas en France, doivent être fermement dénoncés. Oui, voir partout la main d’un « lobby juif » est une sottise (sinon il y a longtemps que ma carrière littéraire aurait été brisée). Oui, oui et oui ! Non, en tant que descendant d’esclave, je ne porte pas la responsabilité de la barbarie nazie. Non, je ne m’en sens pas coupable. Non, je n’ai pas de mauvaise conscience envers les Fils de Sion et je suis scandalisé, horrifié même, qu’après avoir traversé une telle tragédie, ils crucifient aujourd’hui le peuple palestinien. Non, non et non ! Aucun intellectuel du Sud n’a eu jusqu’à présent le courage de dire clairement cela ! Eh bien, je le dis et redis, comme il y a quatre ans, et cela quelles qu’en soient les conséquences.
Raphaël Confiant
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