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samedi 16 janvier 2010
Haïti : le chagrin et la colère des rescapés
REPORTAGE - Les survivants du séisme, qui ont passé leur quatrième nuit à la belle étoile, manquent de tout.
Dès le lever du jour, les habitants de Port-au-Prince se sont mis à marcher. De longues colonnes silencieuses ont commencé à parcourir les rues après une nuit rendue plus courte par les répliques qui secouent encore la capitale. Chaque fois un grand cri et un mouvement de panique accueillent la nouvelle saccade qui emporte les bâtiments les plus branlants.
La foule cherche de quoi se nourrir. Devant une échoppe du centre-ville, fermée comme tous les commerces, une file s'est formée. On annonce que la boutique va ouvrir. Quand ? Nul ne le sait. L'ouverture est sans doute l'une des multiples rumeurs qui parcourent les camps de réfugiés installés dans les moindres espaces dégagés de la capitale. D'autres partent alors, sac sur le dos, vers les quartiers les moins touchés. L'eau est une quête permanente. «C'est très dur. On n'a rien. Personne ne vient et on se demande qui va nous aider», se plaint Magdalena Jeudy, qui campe avec les siens dans les jardins de la résidence du premier ministre. Demain, elle aura fini ses dernières réserves de nourriture. Après-demain, elle ne sait pas ce qu'il adviendra.
Les prix ont flambé
Les premiers camions d'eau, le plus souvent offerts par des sociétés privées, commencent à tourner en ville. Mais ils sont loin d'être en nombre suffisant. Les vendeurs de sachets d'eau proposent aussi un peu de secours pour ceux qui ont les moyens. Car les prix ont flambé : les dix litres du précieux liquide qui se vendaient un dollar en valent désormais deux. Alors on se groupe autour des rares robinets qui offrent un filet malpropre.
«On se demande où est passé le gouvernement. Le président a parlé vendredi à la radio, mais il n'a rien dit. Nous avons besoin de quelqu'un qui commande, qui organise», tempête Pierre Maxime.
L'homme, avec des dizaines d'autres, patiente depuis des heures devant la station-service Texaco Saint-Louis-Roi-de-France. Il espère pouvoir glaner quelques galons d'essence. «Il nous en faut pour aller chercher nos morts et les enterrer pour qu'ils ne pourrissent pas plus», affirme-t-il. Partout, l'odeur pestilentielle de la mort dégagée par les milliers de cadavres à demi ensevelis commence à se répandre. Mais la station restera fermée. «Je pourrai gérer la distribution. J'ai fait face à des coups d'État, des cyclones, des pénuries. Mais que faire de l'argent gagné ? Il n'y a pas de banque. On me le volerait immédiatement», assure Frantz Delacourt, le gérant. L'insécurité, toujours vive à Haïti, est source d'angoisse. La prison, touchée par le tremblement de terre, s'est en partie effondrée, libérant des milliers de détenus.
Dans les jardins du Champ-de-Mars, les survivants se recroquevillent sur leurs maigres biens. On se jalouse. On s'épie. Lentement une colère empreinte d'impatience et d'incompréhension monte. «On se demande où sont les pompiers, les secouristes. On voit passer des avions dans le ciel, mais ici on ne voit rien venir», explique Charles Jackson, qui vient de dormir quatre nuits dehors avec ses jeunes enfants. «La situation est inquiétante, constate Emmanuel Laguerre, un cadre. Ici, même en temps normal, il n'y a presque pas de police. Et on ne sait jamais ce qui peut arriver. Quand les gens ont faim, ils cessent de réfléchir.»
Jessie Bellerive, la secrétaire exécutive du premier ministre, en est consciente. «Si nous nous trouvions dans leur situation, nous ne réagirions pas autrement», rappelle-t-elle, étonnamment stoïque. Elle reconnaît que le gouvernement a tardé à communiquer, à rassurer. «C'est difficile. Il n'y a pas de téléphone. Les ministres ne peuvent même pas se parler.» Des dizaines de grands immeubles se sont effondrés. La clinique Sodec a enseveli ses 200 malades et médecins. Mais personne n'a tenté d'organiser une opération de secours. Pas plus à l'hôpital Bel-Air ou dans les écoles. «Il y a pourtant sans doute des gens vivants à l'intérieur», reconnaît Sephyrin Ardoin. Ce vigoureux commandant des pompiers d'Haïti, venu de Cap-Haïtien, a commencé dans la nuit à fouiller les décombres de l'université de Port-au-Prince dans la nuit de jeudi. Depuis deux jours, des cris et des appels à l'aide filtrent au travers de l'immense tas de gravats, seul vestige du building de cinq étages.
Sauvetages miraculeux
Devant les lieux, les familles impuissantes ne peuvent que répondre, faire des promesses, et en appeler à Dieu. «Nous avons pu secourir deux étudiantes. Nous sommes en contact avec deux autres. Mais il nous faudrait d'autres matériels pour les extraire», indique l'officier. Finalement, des secouristes américains lui viennent en aide, passant outre les consignes de leur hiérarchie.
Comme la plupart des équipes internationales, les sauveteurs américains se concentrent pour l'heure sur quelques immeubles, à commencer par l'Hôtel Montana. Cet hôtel de luxe, le plus prestigieux de Port-au-Prince, a littéralement glissé le long de la colline à laquelle il s'accrochait. «Il y avait environ soixante clients et une dizaine d'employés au moment du drame», explique Rodriguo Vasquez, l'officier qui coordonne les opérations. Depuis jeudi, une soixantaine d'hommes de la Sécurité civile française sondent les vastes plaques de béton, tentant de repérer un signe. Des Espagnols, des Chiliens fouillent aussi avec acharnement et parfois avec succès. Jeudi, à la tombée de la nuit, alors que l'espoir s'évanouissait, les secouristes français ont établi le contact avec six survivants. À l'aube, quatre touristes américains ont pu retrouver l'air libre, presque indemnes, après trois jours sous terre. Plus tard, le liftier sortait lui aussi, miraculé.
Assis sur une petite chaise, le regard vide, Lucksen ne réalise toujours pas. Coincé dans la cabine d'ascenseur presque intacte, il a gardé espoir. «Je savais que l'on viendrait», dit-il en brossant d'un geste automatique son uniforme à peine poussiéreux. Combien d'autres dans la ville ravagée prient encore dans leur prison ?
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