Le nouveau label du ministère de la culture destiné à mettre en valeur les maisons de « personnages illustres » a été appliqué en Martinique de manière très étrange. Si l'on examine les trois maisons « élues » –– celle d'Homère Clément au François, magnifiée par l’excellent travail de la Fondation Clément ; celle de la Pagerie aux Trois Ilets, avec en arrière-plan la Joséphine de Beauharnais ; enfin le domaine de Fond Saint-Jacques avec comme ombre portée le sieur Jean-Baptiste Labat –– on s'aperçoit que les « corrélations » avec les temps esclavagistes, et même avec l’esclavagisme actif, sont inquiétantes. Pour ne parler que du Père Labat je ne vois rien là « d’illustre » : seulement l’abîme qui se noue entre un esprit brillant, à l’ampleur humaniste, et les perversions d’un sinistre esclavagiste. Et toutes ces maisons (que l’on pourrait sans problème qualifier de « remarquables », ou « extraordinaires »), gardent tout de même les échos de l’une des formes de deshumanisation jamais atteinte par tous les esclavages connus de l’histoire d’homo-sapiens-demens.
Élévation et dignité
Le mot « illustre », n’atteste pas seulement d’une grande notoriété (à ce régime-là Hitler serait illustre), il distingue surtout une trajectoire exemplaire du point de vue de l’élévation et de la dignité humaines.Dès lors, si les historiens, responsables politiques et hommes de conscience martiniquais avaient été simplement consultés, on aurait sans doute vu surgir la maison Aliker encore abandonnée rue Ernest Deproges, celle de Césaire à Redoute, celle de Gilbert Gratiant, celle de René Ménil, ou celle d’Edouard Glissant au Diamant, peut-être le siège du Parti communiste martiniquais au Terres Sainville, la maison Lagrosillière à Sainte-Marie…, on aurait cherché quelque lieu de séjour de l’admirable Victor Schœlcher, de Louis Telga, de Rosannie Soleil, de Frantz Fanon, ou encore ces innombrables cases anonymes qui sont autant de traces d’héroïsmes et de courage sans écriture, sans cirque et sans parole… Hélas, notre notion du patrimoine ne sait pas encore identifier, et encore moins valoriser, toutes ces attestations qui pour n’être que des « Traces » s’érigent pourtant en stèles d’une ampleur infinie… Néanmoins, malgré nos incapacités, pour éviter le pire ou conjurer les bizarreries, le balisage symbolique du Lieu-Martinique doit demeurer une stricte affaire martiniquaise.
Patrick CHAMOISEAU
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