La région du Kivu s'apprête à vivre des jours épineux à cause de la guerre qui lui sera à nouveau imposée. Pourquoi? A quel prix? Il est de responsabilité publique de chercher à répondre à ces questions dans l'optique de proposer des solutions adéquates. Tout observateur avisé n'ignore pas que les négociations qui se déroulent à Kampala en vue de résoudre la crise qui sévit dans cette région de la République Démocratique du Congo, se solderont par un échec.
Ceci pour des raisons multiples.
Premièrement, parce qu'il s'agit ni plus ni moins d'une mascarade mise en place par les acteurs impliqués dans ce conflit pour calmer l'ire de la communauté internationale et échapper à d'éventuelles sanctions politiques et économiques qui pourraient leur être imposées ou, en ce qui concerne le gouvernement congolais, pour gagner du temps et éviter une déferlante des rebelles qui, à n'en pas douter, aurait fini par saper définitivement les bases d'un régime dont les récentes élections ont rendu la légitimité sujette à caution.
On l'aura bien compris, pour le Rwanda et l'Ouganda, il s'agit de détourner l'attention des observateurs internationaux et d'essayer de confondre tous ceux qui émettent des rapports accablants sur leur implication dans ce conflit et, pour le pouvoir à Kinshasa, de s'offrir les moyens de réorganiser les troupes combattantes et d'éviter un affrontement frontal avec l'opposition politique basée à Kinshasa qui pourrait profiter de la fragilisation du pouvoir en place pour se rendre plus virulent.
Deuxièmement, ces négociations, sans vouloir aborder la question de leur légitimité, ne peuvent aboutir car même le moins éclairé des observateurs sait qu'il ne sera jamais possible de concilier les points de vue des belligérants. A titre d'exemple, rien que pour évoquer les clauses de l'accord du 23 mars 2009, comment un État peut cautionner l'idée qui consiste à intégrer un groupe rebelle dans son armée nationale sous condition que ce groupe ne puisse exercer que dans sa région d'origine? Existe-t-il pour un pays d'institution plus nationale que l'armée? Comment accepter un dialogue « inclusif » qui réunit toutes les forces vives de la nation sans tomber dans un piège qui consiste à remettre en question les institutions en place? Comment, pour les rebelles congolais d'expression rwandaise, accepter d'être muté dans une région autre que le Kivu quand on a en mémoire les tristes images qui avaient défrayé la chronique pendant la tentative de renverser le pouvoir à Kinshasa, qui avait été menée par l'armée rwandaise. Peut-on oublier la chasse à l'homme qui s'en était suivie? Qui n'avait pas vu ces images, en boucle sur les télévisions du monde, des hommes jetés par-dessus le parapet d'un cours d'eau avant d'être achevés par des tirs de mitraillettes? A cet effet, quelle attitude fut adoptée par le pouvoir en place? Avait-il au moins condamné ces actes barbares?
Sans même évoquer les individus appartenant à cette communauté qui avait été visée par ce déchainement inqualifiable, que sont devenus les militaires de rang qui avaient quitté leurs régions respectives pour accompagner la marche de la rébellion sur Kinshasa lors de la chute du régime de Mobutu? Dans quelles conditions vivent-ils aujourd'hui avec leurs familles dans cette mégalopole? N'est-ce pas dans des conditions si inhumaines que jamais un soldat ne daignera abandonner, de son propre gré, les avantages qu'ils tirent à travailler au Kivu pour rallier la capitale? Comment négocier avec des politiciens de Kinshasa dont on sait combien l'intérêt suprême de la nation ne fait aucunement partie de leurs vertus, à quel point ils ont une conscience gangrénée, ils excellent dans la démagogie et la cacophonie, des hommes dont l'esprit ne sera jamais effleuré par l'idée de partage et qui feront tout pour s'accrocher à leurs gracieuses prérogatives?
En pensant à tous ces points, on comprend aisément que, très vite, on se retrouvera dans l'impasse et qu'il faudra en venir une nouvelle fois aux armes pour faire entendre son point de vue. Une fois que cette situation se reproduira, qu'adviendra-t-il? Pourra-t-on cette fois-ci éviter la déroute de l'armée congolaise? Cette armée qui, de mémoire d'homme, n'a jamais gagné, seule, une guerre, pourra-t-elle une nouvelle fois bénéficier d'une aide militaire étrangère? Quelle sera la marge de manœuvre de la communauté internationale dans ce conflit?
En analysant exhaustivement la situation, il apparaît clairement que cette armée ne pourra résister à une nouvelle attaque des rebelles. D'abord parce que les conditions dans lesquelles elle combat sont désastreuses, ensuite parce que le moral des troupes est au plus bas. L'armée congolaise est à l'image de la société dont elle est issue, corrompue moralement. Le fossé est immense entre les haut-gradés et la troupe. Cette dernière se trouve dans une situation si miteuse qu'au premier coup de canon elle se rue généralement sur la population civile qu'elle pille à loisir. On a plus l'impression d'avoir affaire aux forbans qu'aux combattants. Dans une telle situation, au lieu d'affronter cette armée pour risquer inutilement sa vie, il s'avère encore plus commode d'acheter sa passivité, sa désertion et de conquérir sereinement les territoires qu'elle abandonne.
Face à une telle réalité, aucune armée raisonnable ne daignera venir porter main forte aux FARC. « On ne peut se battre pour celui qui est susceptible de te vendre à l'ennemi en pleine bataille ». Cela a été constaté avec les forces des Nations Unis présentes à Goma qui ont commencé par apporter un appui aux FARC puis, face à la débâcle de ceux qu'elles épaulaient, ont choisi de se défiler. Sans compter qu'une intervention étrangère aux côtés des FARC ne ferait qu'empirer la situation, car ce n'est pas cette fois-ci en catimini que les armées rwandaise et ougandaise voleront au secours des rebelles du M23. Et puis le M23 aura un avantage psychologique et militaire majeur sur n'importe quelle force étrangère se battant aux côtés des FARC. Cet avantage est caractérisé par la connaissance du terrain, la connivence avec certains groupes locaux et surtout la possession d'une base arrière et de repli. Il est important de signaler aussi que l'intervention des militaires originaires des pays comme le Zimbabwe ou l'Angola aux côtés des FARC peut créer une résistance armée sur le terrain qui mettra à mal le soutien de la communauté internationale dont bénéficient pour l'instant les autorités de Kinshasa. Jamais cette communauté internationale n'acceptera une situation qui pourra devenir très vite incontrôlable et qui engagera directement les pays de la région pour aboutir à des actes génocidaires. La communauté internationale préférera la situation actuelle avec une armée congolaise en passoire et une conquête du M23 sans une importante effusion du sang.
Quelles sont les solutions?
Pour envisager des solutions efficaces et pérennes dans cette région, il convient tout d'abord de reconnaître les réalités suivantes:
Dire que le Rwanda et l'Ouganda interviennent au Congo dans le seul but de piller ses ressources naturelles est purement affabulatoire. Le pillage des ressources s'avère être plus le corolaire de cette situation que la cause. L'objectif poursuivi par ces deux pays est plutôt de sécuriser leurs frontières occidentales et d'éloigner le plus loin possible tout risque de perturbation sur leurs propres territoires qui pourrait provenir de la République Démocratique du Congo. Pour le Rwanda, il s'agit également de protéger les Tutsi du Congo contre les représailles de certains réfugiés génocidaires actifs dans l'est de la République Démocratique du Congo. Jamais le Rwanda ne peut chercher à avoir une influence ou un contrôle sur les structures d'un pays aussi vaste que la RDC.
Dire que le Congo combat l'armée rwandaise sur son sol est une affirmation abusive, discriminatoire à l'égard des groupes ethniques qui composent majoritairement le M23 et une généralisation navrante qui n'a pour but que de détourner l'attention de la communauté internationale.
Par ailleurs, si la guerre éclatait à nouveau, il n'est pas certain que les rebelles du M23, malgré leurs récentes affirmations, veuillent conquérir tout le territoire congolais jusqu'à Kinshasa. D'abord parce qu'ils n'en auraient pas les moyens et que cela les conduirait à prendre un risque inconsidéré du moment qu'ils se retrouveraient de facto éloignés de leurs bases de repli, ensuite parce que la situation n'est pas la même qu'à l'époque de Mobutu; aussi auraient-ils du mal à rallier toute la population à leur cause. Ils se contenteraient donc de prendre la totalité du Kivu provoquant par la même occasion une sécession de fait.
Avancer aussi en permanence, bien que cela soit tout à fait vrai, la thèse selon laquelle une ou deux ethnies ne peuvent faire prévaloir leurs opinions au milieu de plusieurs centaines d'autres est une simplification. Il ne faut pas perdre de vue que les ethnies dont il est question dans ce conflit représentent la composante essentielle de la communauté nationale au Burundi et au Rwanda, deux pays qui partagent non seulement la frontière avec le Kivu, mais également beaucoup d'éléments géoculturels. Au Kivu, cohabitent plusieurs groupes ethniques dont celui composé de personnes d'expression rwandaise, hutu et tutsi, qui sont entièrement congolais avec les mêmes droits et devoirs que tous leurs compatriotes.
Ignorer les particularités du Kivu est également une très grande erreur. Il faut se rendre compte qu'il s'agit ici de la seule entité de la RDC voisine d'un pays qui a récemment subi un génocide ethnique à grande échelle et qui héberge en son sein les protagonistes de cette tragédie. Ensuite, il faut reconnaître que la situation de cette région dont on évoque à chaque occasion l'immensité des richesses naturelles veut malheureusement que toutes ses structures économiques fonctionnent tournées plus vers l'est que l'ouest. Les échanges commerciaux entre le Kivu et les pays de l'Afrique de l'est sont plus importants que ceux réalisés entre le Kivu et les autres régions de la République Démocratique du Congo. Ce phénomène pourrait même conduire une personne avertie à conclure qu'économiquement le Kivu n'est pas viable sans ses voisins de l'est. Le Kivu est un monde à part, un îlot au Congo ouvert vers l'Afrique de l'Est, une zone de hauts plateaux et de montagnes ceinturée à l'ouest par une barrière naturelle caractérisée par la forêt équatoriale faisant partie de la Cuvette centrale.
L'assimilation de ces différents éléments induisent à conclure que les problèmes au Kivu se peuvent trouver de solution que par des mesures combinées aussi bien sur le plan national que régional.
Sur le plan national, par la mise en place d'une véritable démocratie, la promotion de la bonne gouvernance, la gestion rationnelle des ressources naturelles et humaines afin d'améliorer les conditions de vie des citoyens parmi lesquels se trouvent les militaires et l'éradication de la corruption, les malversations et la gabegie.
Sur le plan régional, par l'instauration d'une autonomie régionale au Kivu. Cette autonomie conduira ainsi les autochtones à mettre en place une véritable démocratie locale et participative qui permettra d'impliquer et de responsabiliser toutes les composantes régionales. Elle facilitera une gestion efficiente de ressources pour que tous les groupes ethniques puissent en tirer profit. Cette autonomie permettra également aux ressortissants du Kivu de prendre en mains leur propre destin car seules les solutions qui sont prises au niveau local par les personnes directement concernées par ce conflit rendront possibles la sortie définitive de l'impasse où l'on se trouve et l'inscription de la paix dans la durée. A cette mesure, il convient d'ajouter la mise en place d'une commission sous-régionale de vérité et de réconciliation à laquelle doivent prendre part les différents groupes ethniques et forces vives du Kivu encadrés par des représentants de Kinshasa et les représentants de la société civile du Rwanda, Burundi et Ouganda encadrés par leurs autorités. Ces mesures sont importantes si l'on ne veut pas par ailleurs que l'écart de développement continue à se creuser entre le Kivu et les régions situées sur son flanc oriental qui, faut-il le souligner, constituent la seule référence pour les habitants de cette partie de la République Démocratique du Congo.
A l'heure où les travaux de construction de la ligne de chemin de fer qui reliera la Tanzanie, le Burundi et le Rwanda vont démarrer, il est consternant de constater que la République Démocratique du Congo, embourbée dans des conflits armés, a raté ce rendez-vous important qui aurait permis le désenclavement de ses régions orientales.
Victor Kathémo est écrivain et attaché d'éditions littéraires.
Il a publié le roman Étrange ballet des ombres aux éditions Myriapode, qui est une fresque sur la situation politique, économique et sociale en République Démocratique du Congo.
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