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lundi 11 janvier 2010
Gregoire (Mana) : Le "non" massif sorti des urnes ce dimanche n'est-il pas tout simplement un vote de défiance envers les élus locaux, auxquels les électeurs ne souhaitent pas donner plus de pouvoir ?
Christiane Taubira : Il y a une part de ça, c'est indiscutable. Pendant la campagne, il y a eu une appréciation très sévère du bilan de l'équipe régionale sortante. C'est un argument qui a fait mouche car, effectivement, il y a à débattre. Je ne suis pas élue locale et, pendant des années, j'ai été moi-même très critique sur la gestion régionale. Mais nous devions voter pour ou contre l'article 74. C'est un article de la Constitution qui nous donne l'occasion de définir un projet territorial et de négocier avec l'Etat la réalisation d'un schéma de développement qui serait propre à la Guyane. Les pro-74, dont je faisais partie, voulaient saisir cette opportunité.
Les anti-74 ont fait croire que, au deuxième scrutin qui sera organisé le 24 janvier, on aurait un article 73 aménagé, donc un changement prétendument plus en douceur. De toute façon, il n'était pas raisonnable de demander aux citoyens de devenir des spécialistes du droit constitutionnel. Face à ces questions, tous les arguments, et leur contraire, pouvaient faire mouche. Mais la ruse première a été, de la part du président de la République, d'imposer deux consultations, alors qu'une seule lui était demandée, et ainsi de faire croire aux électeurs qu'ils auraient une session de rattrapage.
ND : Avec la victoire du "non", les DOM ne s'enferment-ils pas dans une situation de dépendance à l'égard de la métropole, en refusant plus d'autonomie ?
Christiane Taubira : Ce rejet d'une possibilité de disposer de plus de libertés et de responsabilités locales correspond effectivement au maintien d'une situation où l'on subit des lois nationales inadaptées à nos économies, à nos sociologies et à notre position géographique. Tant que nous restons dans l'article 73, nous relevons du droit commun, et les décisions pour l'essentiel sont prises en fonction des urgences et des priorités de la société française. Une société qui n'est pas au même stade des réalités historiques, économiques et sociales de la Guyane.
Il est certain que, alors qu'on comprend partout qu'il faut prendre un certain nombre de décisions au plus près du citoyen, ce refus est contraire à une dynamique de rationalité et d'efficacité de l'action publique. Au lieu d'expliquer aux gens qu'il est urgent de sortir de cette dépendance, on leur a fait croire qu'il y avait des risques de perdre ces revenus de dépendance (revenus sociaux, taux d'importation), ce qui est faux.
Christophe Sirodot : Plutôt que de débattre des questions institutionnelles, n'est-il pas plus urgent d'apporter des réponses concrètes aux problèmes du chômage et du pouvoir d'achat ?
Christiane Taubira : La situation économique est effectivement très difficile. Lorsque les indicateurs économiques et sociaux sont les suivants : 30 % de chômage, 55 % chez les jeunes, 85 % de dépendance à l'importation pour la consommation, à peu près 20 % de personnes dépendant des minima et revenus sociaux et un taux de croissance démographique de 3,8 % par an, cela veut dire, pour le quotidien des gens, des difficultés matérielles, une angoisse liée à leur fragilité économique et l'absence de perspectives. Les responsables politiques doivent définir les actions publiques et les conditions dans lesquelles on apporte des réponses durables à ces difficultés.
Louise B. : Les populations antillaise et guyanaise se sont mobilisées l'an dernier contre la cherté de la vie. La situation a-t-elle évolué depuis ?
Christiane Taubira : Non, la situation n'a pas évolué, parce que l'Etat s'est contenté d'un cautère sur une jambe de bois. Sur le prix des carburants, qui a tout fait flamber, il s'est contenté d'installer un observatoire des prix sans aucun pouvoir d'investigation ni de sanction. Il a gelé les prix, mais a recommencé à les augmenter sans avoir réformé le dispositif de fixation des prix administrés. Il a imposé une baisse de prix sur certains produits et s'est contenté de constater que ces produits avaient disparu des rayons.
L'Etat n'a procédé à aucune réforme de fond sur nos économies organisées pour la dépendance, il n'a donc pas touché aux situations de rente des négociants et importateurs, qui fragilisent les productions locales. Et on peut penser que le refus de l'autonomie est un cri de détresse de personnes qui se disent que, si en étant totalement sous la responsabilité de l'Etat il y a si peu d'initiatives en faveur des citoyens, qu'est-ce que cela risque d'être si on ne peut même plus obliger l'Etat à faire.
Tina T. : Est-ce qu'une autonomie accrue aurait été une solution à ces problèmes socio-économiques ?
Christiane Taubira : Pour la Guyane, une autonomie accrue consacrée à réaliser un projet de développement aurait bien sûr permis de réduire le chômage, de réduire les importations de biens, de marchandises, de rationaliser les modèles de consommation, de créer des richesses, de générer des revenus. C'est possible parce que nous avons un grand territoire terrestre, avec des ressources naturelles, une biodiversité, donc des possibilités de métiers d'environnement, de métiers d'artisanat, de métiers industriels. Et nous avons aussi un grand territoire marin dont le plateau continental a été étendu l'année dernière, avec à la fois des ressources halieutiques, des ressources minérales et des ressources énergétiques. Il est possible pour la Guyane de concevoir un développement vertueux qui réponde à la fois au souci que nous avons de préserver la forêt amazonienne et de respecter sa fragilité – ainsi que sa contribution à la lutte contre le réchauffement climatique (par la séquestration du carbone) –, et à la nécessité de développer des activités qui permettent à la jeunesse d'accéder à un emploi, donc à une vie sociale.
Cerrumios : Quel vont être selon vous les conséquences de ces scrutins sur les élections régionales à venir ?
Christiane Taubira : Ceux qui se refont une vertu à l'ombre de la victoire du "non" s'imaginent que les électeurs sont amnésiques et ont oublié leur participation aux exécutifs territoriaux, donc au pouvoir local. Je crois, pour l'avoir abondamment entendu pendant la campagne, que les citoyens font la part des responsabilités des uns et des autres et qu'ils peuvent avoir suivi un mot d'ordre sans forcément faire confiance à certains partisans du "non" et ne pas avoir suivi un mot d'ordre tout en gardant leur confiance à des élus favorables au "oui". Les régionales serviront à éclaircir tout cela.
Garry : Quelles sont selon vous les options qui restent aux ultramarins pour bénéficier d'un traitement proche de celui des métropolitains au niveau économique et social ?
Christiane Taubira : Il n'y en a pas. Le rendez-vous du 10 janvier était un rendez-vous d'opportunité. Ce n'était pas le processus idéal, mais il était ainsi. Il offrait une occasion d'engager avec l'Etat des discussions sur le fond. Désormais, les options sont soit la réforme administrative, c'est-à-dire une extension aux collectivités de la politique drastique de réduction des effectifs dans la fonction publique, soit, éventuellement, la réforme territoriale proposée par Edouard Balladur. Mais tout cela reste dans le champ juridique et institutionnel et ne traite absolument pas des problèmes des gens. Ça ne concerne absolument pas les grands dossiers.
Garry Weishaupt : Serez-vous candidate aux régionales en Guyane ?
Christiane Taubira : Je réserve ma décision à après le scrutin du 24. Les problèmes de la Guyane sont extrêmement graves. La jeunesse représente 60 % de la population, et la moitié n'a pas d'emploi. Nos jeunes sont éjectés des lycées car il n'y a pas assez de places. Ils ne sont pas accueillis en formation parce qu'il n'y a pas assez d'options et que celle-ci est frappée par un taux de chômage de 55 %. Le territoire est dans un état de pillage (l'orpaillage clandestin), et d'extraversion (exploration du pétrole par une multinationale). Si la mission principale de la région consiste uniquement à faire de la fusion administrative, je réfléchirai au lieu et aux conditions les plus efficaces pour servir l'intérêt général. Les urgences et les priorités sont d'arracher cette jeunesse à la déréliction, de recréer le lien social, de dissoudre les enclaves ethniques afin de construire de la cohésion, de normaliser les relations avec les pays voisins, bref, de dégager l'horizon pour redonner de l'espoir.
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